3089-La Pop-louange française mord la poussière - France Catholique

3089-La Pop-louange française mord la poussière

3089-La Pop-louange française mord la poussière

L’arrêt des groupes français et catholiques de "pop-louange" illustre-t-il un déficit de compréhension, de la part de l'Église, des nouveaux enjeux de l'évangélisation ?
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En ce soir de début octobre, une foule joyeuse, jeune ou familiale, cosmopolite, populaire se presse dans la grande salle de spectacle du Zenith à Toulon : c’est un événement exceptionnel en France car le groupe australien « Hillsong », le plus « succesful » des groupes de pop-louange évangéliques au monde (1) – se produit pour la première fois en France, avec notamment l’appui promotionnel du diocèse de Frejus-Toulon.

Ces 2 h 30 de concert sont un vrai choc : par vagues, un puissant feu roulant d’action de grâce, de louange et de prière fervente dans l’Esprit, de communion et d‘évangélisation, alternant des temps d’intériorisation et d’exhortation où le Nom et le Salut du Christ sont explicitement annoncés et confessés, où l’invitation est faite d’accueillir Jésus comme Maître et Seigneur : qu’il soit catholique, protestant ou évangélique, l’essentiel du public des 3 000 per­sonnes communie dans la foi en scandant les différentes exhortations de retentissants « amen », et en reprenant à pleine voix ces chants qui sont devenus des « tubes » pour de nombreuses assemblées chrétiennes.

Pourtant, beaucoup découvrent pour la première fois ce « style » évangélisateur puissamment attractif, qui parvient à percer des cœurs, même parmi les plus endurcis : en fin de concert, beaucoup apparaissent littéralement « scotchés » et retournés parce qu’ils ont vu et entendu, touchés et ébranlés par une telle ferveur évangélique qui proclame si explicitement le Salut reçu dans le Christ, dans l’allégresse avec un style si entraînant et accessible. Un certain nombre de pasteurs catholiques ne s’y sont pas trompés : on y retrouve dans la salle des prêtres, des séminaristes, des membres de communautés nouvelles, des animateurs et des jeunes d’aumôneries, des parents y emmenant leur ados et leurs copains… « Du pain béni pour notre rôle d’éducateur, nous dit l’un d’eux, même si bien entendu il faudra réajuster, ‘catholiciser’ un discours évangélique sans beaucoup de nuances ».

Qu’importe, l’essentiel est là : dans un style moderne, la proclamation du kérygme dans toute sa simplicité et vérité ; cette annonce directe qu’il nous est aujourd’hui encore si difficile d’assumer dans nos diocèses, nos paroisses ou nos mouvements comme le reconnaissait le cardinal Danneels lors du congrès missionnaire Paris-Toussaint 2004 : « L ‘Eglise catholique est un géant catéchétique mais est devenu en occident un nain kérygmatique ! ». De tels groupes, dont la musique n’est qu’un prétexte pour évangéliser la jeunesse occidentale, ont tellement à apprendre aux catholiques en raison d’une capacité incomparable à rejoindre le cœur du plus grand nombre et des non-croyants : non pas simplement pour séduire par l’émotion partagée, mais rejoindre, toucher, « mener à Christ » selon leur expression.

Flash back : cinq ans auparavant, quasiment jour pour jour, nous étions en famille dans ce même Zenith à Toulon pour assister au premier concert de lancement du tout jeune groupe Glorious, formé par les trois frères Pouzin : Aurélien, Benjamin et Thomas. Autour de leurs parents se laissant conduire avec foi dans cette folle aventure de leurs rejetons, une poignée de baptisés à cette époque soutenait cette initia­tive si nouvelle, née d’un appel pressant à l’évangélisation des jeunes par les jeunes lors des JMJ à Rome en l’an 2000. Pour les frangins, l’appel du Pape devait être pris au sérieux, ici et maintenant : « Jeunes, si vous faites confiance à Jésus, vous mettrez le feu au monde entier ! ». Jean-Paul II lui-même les bénira et les encouragera personnellement lors d’un aller-retour express à Rome dès la sortie de leur premier CD.

Retour en octobre 2002 au Zénith de Toulon : l’évêque de Toulon – comme ce le sera pour l’évêque d’Avignon quelques semaines plus tard dans la cité des papes en janvier 2003, ou pour le cardinal Lustiger lors de Paris-Toussaint 2004 – accueille Glorious et bénit ce concert qui rassemble plus de 1500 personnes venues de toute la Provence. Même si la qualité n’est pas encore au même niveau que leurs aînés (Hillsong existe depuis 1992), la qualité musicale et spirituelle est étonnamment présente pour ce tout jeune groupe dont la moyenne d’âge est de 20 ans : louange, prières, ferveur et exhortations dans le nom de Jésus… et la foi catholique ! Le public est conquis, enthousiaste, cha­vire : un vrai bouleversement par rapport à ce qu’on connaissait dans l’Église en France ; chacun alors ne s’y trompe pas : nous avons la grâce de vivre là un événement missionnaire surprenant et majeur !
Ce soir-là marquera en effet le vrai lancement de ce qu’on dénomme désormais l’école française de la « pop-louange ». Avec la sortie de leur premier CD, il sonnera comme un déclic et constituera immédiatement un puissant levier de créativité musicale et de ferveur spirituelle pour bien d’autres groupes franco­phones, connus ou inconnus. Cette « école » est à ce point surprenante et attractive qu’elle saura interpeller les nombreux médias bien au-delà du seul cercle confessionnel, puisque les frères Pouzin seront les invités des animateurs-vedettes des télés, des journaux et hebdomadaires profanes, bien peu suspects de bondieuseries et peu enclin à favoriser l’annonce de l’Évangile. Depuis les JMJ de 1997, l’Église et sa jeunesse n’avaient pas revêtu une telle image positive dans la presse française, sans rien renier de la foi catholique et de son rôle missionnaire. Et en terme de modernité, du jamais vu en France !

Au cœur de l’Église catholique, tout en n’étant le fruit d’aucun plan pastoral préétabli, cette nouvelle pop-louange (2) désinhibe le zèle et la soif de louer et de chanter Dieu de toute une jeunesse, qu’elle soit de souche catholique ou nouvellement convertie : elle accompagnera notamment la démultiplication de groupes de prières et d’évangélisation dans toute la France qui illustre ce puissant réveil spirituel en cours : chaque semaine, ce sont sans doute plusieurs milliers de jeunes fervents qui se retrouvent en Eglise pour louer, prier, invoquer l’Esprit, écouter la Parole, annoncer l’Évangile… et se ressourcer pour mieux s’engager au cœur du monde, discerner leur vocation, etc.

Dur retour au présent : octobre 2007 ! La nouvelle officielle tombe comme un couperet : Glorious – après 100 000 disques vendus, des dizaines de concerts, trois grandes tournées – s’arrête ! Idem pour les deux autres groupes du podium de la pop-louange catholique en France, moins médiatiques mais tout aussi talentueux (sinon plus au plan musical) mais au public plus « ciblé » : Totus, plus « pop-rock », et Spearhit, le groupe « reggae ». Les raisons ? Bien sûr, certaines erreurs de leur part (discernement, positionnement, per­tinence des choix, organisation…) qu’ils reconnaissent humblement, mais peut-on vraiment les incriminer au regard de leur jeunesse et de leur manque d’expérience ? Et nous en témoignons ici : ce n’est vraiment pas le courage, l’abnégation, les nombreux sacrifices qui leur ont manqué !

Le fond du problème n’est donc pas là : l’origine de l’arrêt de ces groupes vient essentiellement de l’incompréhension, de l’indifférence, du manque de soutien et d’accompagnement (voire des critiques ou du rejet explicite) d’un certain nombre de responsables français de la pastorale de la jeunesse et de médias chrétiens. Des illustrations exemplaires ? À la conférence des évêques de France (cf. article de La Croix 17/7/2007), on affirme que l’émer­gence, la mission et l’impact de ces groupes de pop-louange ou leur arrêt n’a jamais suscité aucune réflexion pastorale interne… Nombreuses radios chrétiennes sont restées ces dernières années sur des programmations musicales soit pro­fanes, soit religieuses ‘vieillottes’ et imper­méables à la culture moderne, se contentant parfois d’un paiement… De nombreux diocèses, mouvements ou régions apostoliques ont organisé des rassemblements ou des pèlerinages pour jeunes : les groupes catholiques de musique étaient trop souvent ignorés (ou alors invités à se produire gracieusement), tandis que des groupes ou chanteurs évangé­liques y ont été régulièrement invités, promus et s’y produisent, avec des cachets raisonnables mais usuels dans le domaine profes­sionnel.

Qu’on soit bien clair : les groupes comme Exo ou Hillsong font un travail musical et missionnaire exemplaire, et c’est une bénédiction pour les catholiques de les écouter et de les accueillir, et pour cela de rémunérer leur professionnalisme et leurs investissements. De plus, nous ex­périmentons ainsi une manière très concrète et nouvelle de vivre à grande échelle un œcuménisme spirituel et missionnaire vis-à-vis de la jeunesse. Cependant, ne soyons pas dupes, car l’échange œcuménique s’opère aujourd’hui dans ce domaine à sens unique : le principal distributeur de ce type de musique en France refuse d’inscrire par exemple à son catalogue les groupes catholiques, craignant de faire fuir (!) le public issu des églises évangéliques… et à notre connaissance, aucun de nos groupes catholiques n’a été invité lors de rassemblement de jeunes protestants ou évangéliques.
Ce puissant moyen de la musique d’évangélisation va incontestablement dé­­­ferler sur la France dans les années à venir, et toucher toute une jeunesse et un très large public que l’Église catho­lique ne rencontre même plus depuis bien longtemps ! (3) Des investissements et des moyens très conséquents sont d’ores et déjà mis en œuvre par les groupes anglo-saxons, car la France figure au cœur de leurs priorités missionnaires en Europe. Tant mieux avant tout pour l’évangélisation ! Mais quel sera alors demain le rôle des catholiques : simples promoteurs ou observateurs impuissants de la vague qui s’annonce ?
Inspirons-nous de l’expérience brésilienne et adaptons-la à notre propre culture française : mandatées explicitement par leurs évêques, de nombreuses et foisonnantes nouvelles communautés ou paroisses catholiques se sont inspirées de l’expérience de leurs frères évangé­liques, tout en la « catholicisant » : en dix ans, elles ont ainsi enrayé une hémorragie constante de l’Église vers les sectes depuis les années 70 ! Des célébrations dominicales ferventes de di­zaines de milliers de personnes se déroulent par exemple dans les grandes villes et des maxi-festivals d’évangélisation sont aussi organisés durant les vacances : y alternent des concerts de tous les Glorious ou Totus brésiliens (4), des exhortations spirituelles et des enseignements, de grandes eucharisties, des temps d’adoration… dans un esprit de fête mais aussi de foi et de grande ferveur pour tous ces jeunes : ces festivals rassemblent ainsi régulièrement chaque année des centaines de milliers de participants(5) dont beaucoup auraient sans doute déserté l’Église catholique sans ces propositions adaptées. CQFD !

Que va décider l’Église de France ? Laisser tout le champ libre de ce puissant espace missionnaire de la jeunesse aux seuls groupes évangéliques ? Ou l’investir avec discernement et justesse, en y exprimant toute notre identité catholique mais sans fausse pudeur ? Pour l’instant, malgré quelques responsables avertis, l’Église de France n’a saisi ni l’enjeu, ni la nécessité d’appuyer cette nouvelle vague de la pop-louange catholique. Si cette situation perdurait, cela serait – selon nous – une profonde erreur pastorale, une grande opportunité manquée. Les cinq dernières années ont montré que l’enjeu n’est surtout pas de courir derrière les évangéliques, mais d’accueillir comme un appel pressant de l’Esprit-Saint lui-même celui de nous emparer désormais de ce vaste champ missionnaire : nous en avons et la grâce, et les talents, grâce à Dieu !

À l’Église catholique en France, d’encourager, de promouvoir, d’inviter à se produire les groupes de pop-louange en fonction de leurs charismes, de leurs talents… et de leurs budgets ; à elle de veiller à ce que soit mis en place un cadre pertinent d’accompagnement et de professionnalisation dans la durée (et non plus dans la précarité) ; l’Église rejoindrait en cela ce qu’elle n’a cessé de faire depuis des siècles pour favoriser l’évangélisation de la modernité de chaque époque par sa culture et les arts de son temps. Ni plus, ni moins.
N’est ce pas pourtant trop tard ? L’arrêt actuel des Glorious, Spearhit, Totus et autres est un vrai gâchis, mais comme leurs membres le confessent, ils se laissent encore du temps, pour souffler, écouter, prier et discerner les appels de Dieu… Cet arrêt est de plus un mauvais signal pour toute une jeunesse catholique, engagée, fervente et missionnaire : certains se sentent blessés, et même trahis. Pourtant, la Résurrection ne surgit-elle pas de la Passion et de la Croix ?

Si bien entendu la pop-louange n’est pas aujourd’hui « la » solution, ni la panacée de l’évangélisation – l’Esprit-Saint parle et vient toucher les cœurs de manière si mystérieuse et diverse -, elle n’en demeure pas moins un puissant levier missionnaire de la jeunesse dont la culture musicale est devenue planétaire. Pourtant, la veine française et catholique vient de mordre la poussière…

À nos pasteurs de l’entendre, de se laisser interpeller et guider là où l’Esprit-Saint désire les conduire…

À nous autres de prier, d’intercéder, de témoigner, de soutenir, de proposer, de s’engager… car l’enjeu missionnaire pour l’avenir est immense.

Alex LAURIOT-PREVOST

Notes

(1) Avec sans doute Delirious, un groupe anglais ; en France, c’est plutôt le groupe EXO qui tient la vedette.
(2) Combinée certes avec la créativité des communautés nouvelles françaises qui ont opéré depuis 25 ans un très important travail de renouvellement et de dépoussiérage de nos cantiques et chants d’assemblée.
(3) Pour s’en convaincre, nous vous invitons à écouter et voir les CD-DVD de Hillsong comme UNITED WE STAND ou de Delirions comme NOW IS THE TIME.
(4) qui rivalisent dans le TOP 50 national
(5) Quel dommage que le « Festival de Pâques » à Chartres, à la programmation de haut niveau, et qui accueille des groupes de pop-louange soit encore boudé ou ignoré par tant d’aumôneries, de mouvements ou de diocèses… dont certains limitrophes !