3085-L’avènement d’une doctrine sociale œcuménique à Sibiu - France Catholique
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3085-L’avènement d’une doctrine sociale œcuménique à Sibiu

Du 4 au 9 septembre s’est tenu à Sibiu (Roumanie) le 3e Rassemblement œcuménique européen. Organisé par la CEC (Conférence des Eglises Européennes) et le CCEE (Conseil des Conférences Episcopales d’Europe), cette manifestation a réuni plus de 2500 délégués appartenant aux diverses familles chrétiennes européennes (catholiques, orthodoxes, protestants, anglicans, etc…) et plus de 350 journalistes. C’est la première fois qu’une assemblée œcuménique de cette importance se tient dans un pays de tradition chrétienne à majorité orthodoxe.
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Les participants au rassemblement n’ont pas trouvé de consensus avec les autorités européennes venus présenter une vision généreuse mais réductrice des relations entre les Eglises et l’Europe. Manuel Barroso, président de la Commission européenne, et René van der Linden, président de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ont plaidé pour une coopération renforcée entre les religions et les institutions européennes pour la défense des droits de l’homme. Mais leur vision ‘à hauteur d’homme’, selon l’expression de Denis de Rougemont cité par M. Barroso, n’a pas convaincu les délégués des Eglises. Encore marquées par les persécutions religieuses dont ont été victimes les chrétiens au XXe siècle au nom d’idéologies toutes autant pavées de bonnes intentions, méfiantes à l’égard d’une laïcité à la française qui a abouti à la marginalisation de la foi chrétienne dans l’espace public, les confessions chrétiennes représentées à Sibiu ont demandé dans leur déclaration finale aux institutions européennes à être considérées comme de véritables partenaires et non comme des faire-valoir.

Il est vrai que les progrès fulgurants en matière de rapprochement de la doctrine et de la pratique chrétienne depuis 60 ans ne se sont pas encore accompagnés d’un travail d’information auprès des populations chrétiennes d’Europe. Ceci nuit à l’influence des Eglises sur le processus de construction européenne. Cette lacune a également pour conséquence de miner l’homogénéité retrouvée du christianisme. En effet à Sibiu les Eglises ont montré qu’elles étaient de plus en plus déchirées par des lignes de fracture plus identitaires que confessionnelles. Si au sein de la Congrégation pour la doctrine de la foi on interprète désormais de façon exclusiviste la relation de l’Eglise du Christ à l’Eglise catholique, les mondes orthodoxe et protestants sont eux aussi de plus en plus partagés entre ceux qui rejettent en bloc le monde moderne (au risque de se couper de ses fondements chrétiens) et ceux qui cherchent à l’évangéliser (au risque de s’en accomoder).

Malgré cette fracture nouvelle au sein du monde chrétien, l’assemblée de Sibiu a cependant fait apparaître des points de consensus nouveaux entre les différentes traditions chrétiennes sur les questions de justice, de paix et de défense de l’environnement. Après l’assemblée œcuménique de Bâle (1989) et de Graz (1997), l’Eglise Orthodoxe du patriarcat de Moscou a en effet adopté en juin 2000 un document présentant pour la première fois sa doctrine sociale. Le patriarcat œcuménique de Constantinople a quant à lui multiplié les initiatives en matière de protection de l’environnement depuis 1991. Le Conseil Œcuménique des Eglises a rangé dans ses placards les déclarations utopistes de l’assemblée de Séoul pour promouvoir lors de son assemblée générale à Porto Alegre en 2006 un alter-mondialisme plus pragmatique et consensuel. Quant à l’Eglise catholique, pionnière en la matière à l’époque contemporaine, elle a su faire partager à Sibiu son expérience de façon didactique sans avoir l’air de donner des leçons.

La conférence à Sibiu de Andréa Riccardi, fondateur de la Communauté San Egidio, a été à ce dernier titre exemplaire.

Le théologien italien a longuement cité des théologiens orthodoxes comme pour rappeler que l’expertise en matière de justice sociale n’est pas étrangère à l’Orient. « Que veut dire aider l’Europe à ne pas vivre pour elle-même? » a demandé Andréa Riccardi. Dans sa réponse il a cité Olivier Clément qu’il a présenté par la suite comme son maître spirituel : « C’est avoir la capacité de vaincre la tentation nationaliste. En 1968, dans ses dialogues avec le patriarche Athénagoras, Olivier Clément, un des grands chrétiens européens de notre temps, observait déjà les débuts d’un processus de mondialisation : ‘d’une part… l’avènement de l’homme planétaire, dans une histoire qui devient mondiale : de l’autre… chaque peuple s’accroche à son originalité…’. Et le patriarche, père de l’œcuménisme du 20e siècle, lui répondait : ‘Nous chrétiens devons nous situer à la jonction de ces deux mouvements, pour tenter de les harmoniser… Églises sœurs, peuples frères : tels devraient être notre exemple et notre message’. Ne pas vivre pour soi-même, c’est se situer à la jonction et trouver le point d’équilibre pacifique entre l’unification globalisante et le particularisme grandissant. »

Andréa Riccardi a également expliqué que le témoignage commun en matière de justice sociale ne serait possible que grâce à ‘l’échange des dons’ entre les Eglises. Pour lui le monde orthodoxe a permis à l’Occident de retrouver le sens et la vénération des icônes. Inversement l’Occident peut contribuer à aider l’Europe de l’Est a soigner les populations victimes de la pauvreté. Pour Riccardi : « Les chrétiens ont une force de paix. Je le dis en partant de l’expérience de la Communauté de Sant’Egidio en Afrique (par exemple la réalisation de la paix au Mozambique, après une guerre qui a fait un million de morts). Aujourd’hui, tout le monde peut travailler pour la paix, pas seulement les grands États. »

Riccardi a également fait vibrer la sensibilité protestante au cours de son discours. Pour lui, « ce que nous proposons et que nous proposons à l’Europe c’est de ne plus vivre pour soi. La Parole de Dieu nous propose la pensée qui nous inquiète et qui inquiète la culture européenne : que les vivants, ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour nous ! Les chrétiens doivent se libérer de la peur et de l’avarice insatiable (quelles qu’en soient les raisons) qui nous font vivre pour nous-mêmes, impuissants, renfermés, aux prises avec nos petites disputes familiales, jouissant d’un présent riche en bien-être et en paix, sans nous soucier de ceux qui hors de l’Europe vivent sans paix et n’ont pas une vie digne. »

La pensée juive enfin a également été mobilisée par le théologien catholique. Il a cité le rabbin Hillel et Martin Buber. Selon Riccardi, « la recherche de Jésus crucifié, vécue par les Chrétiens, peut faire basculer la culture de la peur, la dissipation de la paix, du bien-être, de la liberté. Martin Buber affirmait avec sagesse : ‘Commencer par soi même : c’est la seule chose qui compte…le point d’appui d’Archimède à partir duquel je peux aussi soulever le monde est la transformation de moi-même’. L’homme spirituel commence par soi mais ne renonce pas à soulever le monde. »

Tout comme la pensée de Jim Wallis dans le monde protestant américain, de Rowan Williams, archevêque de Canterbury, dans le monde anglican, du métropolite Anastassios d’Albanie dans le monde orthodoxe, la doctrine sociale oecuménique présentée par Andréa Riccardi fait émerger aujourd’hui une bonne nouvelle pour le monde moderne: le consensus croissant entre les chrétiens sur les meilleures façons de s’engager socialement. Celui-ci est rendu possible par un retour de la théologie prophétique en complément de la théologie de la Loi. Comme le dit Andréa Riccardi, « La justice ne peut être absente de notre prophétie. C’est un mot dont on a perdu, après tant d’utilisations politiques, l’écho profondément biblique. Mais Jésus en parle dans les Béatitudes, en portant un regard d’amour vers ceux qui en sont assoiffés. La justice doit inquiéter les politiques économiques de nos pays, où il y a trop de pauvres ; elle doit inquiéter les relations économiques entre nous et avec le monde, avec l’Afrique. Oui, l’Afrique doit être pensée en même temps que l’Europe, parce qu’elle est un banc d’essai de la moralité de la politique internationale. »

Antoine ARJAKOVSKY