Début de la vie
En France, alors que le débat sur l’avortement semblait interdit, des statistiques tendent à le réveiller. Malgré un taux record d’usage de la contraception, on découvre en septembre que l’IVG a grimpé encore de 3,6% de 2003 à 2004. La contradiction n’est qu’apparente : la mentalité contraceptive fait peser sur les femmes une injonction « morale » à n’accueillir que les enfants « programmés ». Les techniques de contraception ont une forte « efficacité théorique » mais leur « efficacité pratique » est aléatoire : les « accidents de contraception » sont les premiers mobiles de l’IVG.
Entre 1990 et 2003, l’avortement des 15-17 ans a augmenté de 32% ! Face à ce constat, une fuite en avant se dessine : un tiers des filles de 15 à 24 ans ont déjà pris la pilule du lendemain Norlevo, produit aux effets mal connus, partiellement anti-nidatoire, donc abortif précoce. Un million de boites ont été diffusées en 2005 et la tendance est à la hausse. Que le Norlevo qu’on présentait comme un recours exceptionnel se banalise comme « oral de rattrapage » interroge les professionnels de l’éducation : serait-il déresponsabilisant ? Fin 2006 les autorités sanitaires préconisent de rendre libre et gratuite la contraception pour les mineures, au risque d’amputer davantage la mission éducative des parents.
Dans le monde, le contraste des situations révèle un malaise : au Portugal, interminable débat avant un nouveau référendum sur l’avortement (qui reste quasi illégal) ; en Espagne, scandale des filières catalanes d’avortements tardifs (jusqu’au 8e mois !) ; en Grande-Bretagne rejet d’une proposition de loi qui aurait réduit le délai légal qui demeure donc à 22 semaines ; en Pologne étude d’un projet visant à rendre l’avortement inconstitutionnel ; aux Etats-Unis interrogations sur le renouvellement de la Cour suprême américaine et l’initiative du Dakota du Sud interdisant l’avortement. C’est d’Asie que pourrait venir la prise de conscience : le 2 août, un militant chinois des droits de l’homme est condamné pour avoir dénoncé des milliers d’avortements forcés. En Inde, c’est un charnier de fœtus de sexe féminin qui est découvert pendant l’été. Dans ces pays comme au Pakistan les avortements sélectifs des filles (illégaux) ont pris des proportions gigantesques à mesure des progrès du dépistage prénatal du sexe. Un déséquilibre de la pyramide démographique y induit des problèmes ingérables, compte tenu du nombre d’hommes condamnés à vivre seuls… où à émigrer. Les « féministes » occidentales découvrent qu’un geste conçu comme libératoire pour les femmes en fait les premières victimes. Un reportage diffusé en octobre sur Arte estime à cent millions le nombre de femmes manquantes en Asie.
Science & bioéthique
En France, alors que les dernières lois bioéthiques se mettent en place, c’est à l’approche du 20e Téléthon que s’ouvre une controverse inédite.
Le décret d’application permettant l’expérimentation sur les embryons « surnuméraires » est signé le 7 février. Pour Mgr André Vingt-Trois « on nous fait rêver d’un avenir fantasmatique où l’on pourrait guérir les maladies de Parkinson ou d’Alzheimer. Il s’agit d’un acte de foi que l’on n’oserait pas demander dans le domaine religieux ». Le professeur Marc Peschanki est le premier chercheur à mettre en œuvre cette transgression en France. Qu’il le fasse avec le financement de l’Association Française contre les Myopathies (AFM) qui héberge son laboratoire n’est pas étranger à la polémique ouverte avant le Téléthon 2006. A partir d’une note de l’observatoire sociopolitique du diocèse de Toulon, des évêques mettent en cause l’usage des fonds récoltés. Ils pointent la chosification de l’embryon humain par la recherche et la pratique du DPI (Diagnostic préimplantatoire ou tri embryonnaire), une technique revendiquée par l’AFM et qui s’est développée grâce aux résultats de la recherche. Même si l’Eglise est accusée d’inhumanité, elle a su – sans que s’effondrent les dons à l’AFM – briser le silence sur une dérive inquiétante : est-il « thérapeutique » de supprimer des malades au stade précoce de leur existence ?
Avec l’échographie, les tests sanguins, l’amniocentèse et l’avortement « médical » ce sont les personnes trisomiques qu’on tend déjà à éradiquer. Un système de santé très « protecteur » a tellement accru la surveillance des grossesses, qu’elle les rend de plus en plus « anxiogènes »… et sélectives.
Le 27 septembre, on découvre que le DPI est désormais utilisé à Strasbourg pour certaines prédispositions génétiques au cancer. Cette nouvelle option divise les scientifiques. La France est l’un des pays du monde qui « flirte » le plus avec l’eugénisme avoue le professeur Didier Sicard. Président du Comité consultatif national d’éthique, il affirme pourtant à propos des positions de l’Eglise sur l’embryon qu’elle « n’a pas le droit d’en faire une manifestation publique ».
Rendu à la veille du Téléthon un rapport parlementaire préconise de généraliser l’expérimentation sur l’embryon et de légaliser le clonage pour la recherche, renommé « transposition nucléaire » pour échapper à l’opprobre qui pèse sur le mot.
Aux Etats-Unis, le 19 Juillet, le président Bush exerce son premier véto historique contre le financement public de la recherche sur l’embryon. Ce succès est attribué aux lobbies religieux. De son côté, le Vatican organise en septembre un congrès scientifique international sur les potentialités des cellules souches adultes. Un changement de ton est alors observé chez les journalistes spécialisés : pourquoi des recherches ayant déjà fait leur preuve et éthiquement neutres ne bénéficient-elles pas de la médiatisation et des financements obtenus par la recherche embryonnaire qui n’a pour le moment donné aucun résultat ? Une « fascination » douteuse pour l’embryon est suspectée.
Définition de la famille
& sexualité
En France, le débat s’est focalisé sur la légalisation du mariage entre personnes de même sexe assortie d’un droit à l’adoption d’enfants.
Le non-lieu prononcé le 27 septembre sur l’affaire Sébastien Nouchet (un homme qui s’était dit victime d’une atroce agression en raison de son homosexualité) suggère que c’est sans-doute une tentative de suicide qui nous a valu le dispositif de lutte contre l’homophobie intégré à la loi à la suite de ce drame. Quant aux « mariés » emblématiques de Bègles, ils sont condamnés en octobre pour escroquerie…
De son côté, le député Christian Vanneste est condamné le 12 décembre pour avoir jugé l’homosexualité « inférieure » à l’hétérosexualité. Sa liberté d’expression a été sacrifiée sur l’autel du politiquement correct. Mais les députés rejettent un amendement qui prétendait aligner la fiscalité du Pacs sur le mariage.
L’année 2006 aura surtout vu se cristalliser les prises de position préélectorales : le 9 juin, le ralliement de Ségolène Royal au mariage et à l’adoption homosexuels lève le dernier obstacle à son adoubement par le PS. Même Lionel Jospin la suit fin août dans ce revirement (il envisage alors d’être candidat). A droite, François Bayrou reste au milieu du gué en proposant « l’adoption simple ». Nicolas Sarkozy tente le compromis avec une Union civile, en mairie mais sans adoption. Les affiches de Philippe de Villiers contestent « le mariage homo » et Jean-Marie Le Pen, qui reste hostile au mariage gay, dit s’accommoder du Pacs. La plupart de ces postures traduisent une érosion de l’opinion, surtout chez les plus jeunes. Pourtant, selon le sondage Ifop commandité en novembre par l’Appel des maires pour l’enfance (12 563 signataires), 74% des maires se disent hostiles au mariage et à l’adoption homosexuels et 81 % souhaitent « maintenir le modèle parental avec un père et une mère au nom de l’intérêt de l’enfant ». Leur prise de position rejoint celle de l’entente parlementaire réunie sur le même thème derrière le député Jean-Marc Nesme (174 signataires le 11 janvier 2006, et près de 300 fin 2006, tous de la majorité).
Des personnes homosexuelles n’attendent pas la loi pour utiliser des systèmes de procréation artificielle (inséminations « bricolées » en privé, ou modalités plus techniques obtenues à l’étranger) et faire valoir les nouvelles revendications que les dérives bioéthiques leur ouvrent. Pour la troisième fois, une adoption simple est prononcée en octobre (à Belfort) pour la « compagne » d’une femme ayant conçu en Belgique un enfant par insémination artificielle.
La Belgique achève de légaliser l’adoption homosexuelle le 20 avril, rejoignant des pays d’Europe du nord, l’Angleterre et l’Espagne.
Dans un tout autre domaine, l’approche de la coupe du monde de Football déclenche le scandale sexuel planétaire de l’année : une gigantesque maison close s’est ouverte près d’un stade. En Allemagne, la prostitution est légale et l’on parle de dizaines de milliers de prostituées « importées » des pays de l’Est. Des pays abolitionnistes – qui considèrent que la prostitution porte atteinte à la dignité humaine – menacent l’événement sportif de boycott. Dès le match d’ouverture, le sport reprend ses droits…
Fin de vie & euthanasie
En France, le procès de Berck n’aura pas lieu. Le 2 janvier 2006, le procureur de Béthune prononce un double non-lieu pour Marie Humbert et le docteur Chaussoy 27 mois après l’euthanasie de Vincent Humbert. Son motif : une « contrainte psychologique » aurait pesé sur la mère de Vincent, par « la pression » de son fils, et sur le médecin réanimateur par les médias. A la fois déçus et soulagés les bénéficiaires des non-lieux se mobilisent : une pièce de théâtre prétendant jouer le procès est présentée à la mairie de Paris le 17 septembre par l’association « Faut qu’on s’active » ; un téléfilm, réalisé à l’automne 2006, doit diffuser en 2007 sur TF1 une version orientée de l’affaire.
Le lobby de l’euthanasie se rabat sur un autre fait divers, celui de Dordogne. Cette fois, la Justice ne peut se dérober sous peine de provoquer une dépénalisation jurisprudentielle de l’euthanasie. Le 18 mai, Chantal Chanel et Laurence Tramois, respectivement infirmière et médecin, sont logiquement renvoyées en Cour d’Assise pour l’euthanasie de Paulette Drouais. Leur procès devrait se dérouler en mars 2007, avant les élections présidentielles…
Pendant ce temps, l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) obtient au mois d’août un agrément ministériel national pour représenter les usagers des hôpitaux dans leurs instances officielles. L’Alliance pour les Droits de la Vie porte l’affaire devant la justice administrative et lance un « Appel contre le lobby de l’euthanasie à l’hôpital ».
C’est d’Italie qu’est venue, en toute fin d’année, une nouvelle affaire à retentissement international. Après qu’il a demandé en vain à la Justice d’ordonner son euthanasie Piergiorgio Welby, sexagénaire atteint d’une dystrophie musculaire incurable meurt cinq jours avant Noël : son médecin anesthésiste a débranché le respirateur qui le maintenait en vie depuis des années.
Comme pour l’euthanasie de Terri Schiavo en 2005, l’Eglise se prononce au plus haut niveau contre le suicide assisté de M. Welby, et le cardinal Ruini, tout en proposant une messe d’intercession, refuse à la famille du défunt des obsèques religieuses. Critiquée, sa position vise à défendre la dignité des personnes dépendantes et à ne pas cautionner un geste suicidaire. Une fois encore la liberté de l’Eglise se manifeste face aux mises en demeure du monde… et aux pressions médiatiques.
Tugdual DERVILLE