Le 25 août 2003, Chantal Chanel, infirmière, et Laurence Tramois, médecin, ont euthanasié une femme à l’hôpital de Saint-Astier (Dordogne). Agée de soixante-cinq ans, Paulette Druais avait subi une piqûre de potassium alors qu’elle souffrait d’un cancer du pancréas en phase terminale. A en juger leur mobilisation, les promoteurs de l’euthanasie légale pensent tenir l’affaire idéale : ils affirment que la patiente était demandeuse ; sa famille soutient les accusées ; la presse décrit la maladie de la victime avec force détails sordides qui nous révulsent. Marie Humbert s’était déjà rendue à St-Astier pour soutenir les soignantes mises en examen. Frustrée de son procès, la mère de Vincent espère trouver dans l’affaire de Dordogne l’occasion d’avancer d’un pas de plus vers l’euthanasie légale qui constitue désormais son obsession. Quant au docteur Chaussoy, il l’a rejointe à l’audience de la Cour d’appel de Bordeaux, s’affichant au premier rang aux côtés du fils de Madame Druais.
Bénéficiaires d’un non-lieu après la mort de Vincent Humbert, lui-même euthanasié de deux piqures létales, les protagonistes de l’affaire de Berck ont beau jeu de souligner que c’est le même procédé qui pourrait valoir aux soignantes de Dordogne un renvoi devant la Cour d’assise. D’un côté, ils revendiquent un non-lieu, prétendant que l’argument de la « contrainte morale » qu’avait fait valoir le juge de Boulogne-sur-Mer à propos de la mort de Vincent Humbert devrait tout autant s’appliquer à celle de Paulette Druais. Et ils invoquent par ailleurs « un état de nécessité ». Mais d’un autre côté, ils désirent un procès médiatique pour accélérer la légalisation de l’euthanasie dans l’Hexagone.
La référence au procès de Bobigny qui avait précipité la dépénalisation de l’avortement dans les années 70 est dans toutes les têtes. Mais pour y parvenir, il ne faut pas aller trop vite. Prudemment, ceux qui instrumentalisent le procès de Dordogne invoquent donc une euthanasie « exceptionnelle » alors qu’ils réclament, ultimement, son application élargie. Henri Cavaillet n’avait-il pas été jusqu’à donner l’exemple d’une personne qu’un accident de la circulation aurait affligé d’une cécité définitive ? Selon l’ancien sénateur, un tel handicap ouvrirait le droit d’accès à « une mort digne », pour une personne considérant sa dignité humaine incompatible avec la privation de la vue.
Avec l’affaire de Dordogne, la Justice est piégée. Soit elle répond aux revendications d’un non-lieu, et la piqûre de potassium bénéficiera d’une dépénalisation jurisprudentielle. Soit elle offre au lobby de l’euthanasie le procès susceptible d’enflammer une Lopinion publique tétanisée par la peur de l’acharnement thérapeutique, au risque – en pleine période préélectorale – de « faire craquer » les politiques.
Réponse le 13 juin. En cas de non-lieu, les effets pourraient être désastreux dans les services hospitaliers puisqu’un geste qui demeure clairement proscrit par la déontologie médicale, deviendrait une solution admise. Par ailleurs, les promoteurs de l’euthanasie dénonceraient « l’hypocrisie » d’une pratique tolérée sans loi. De nombreux médecins estiment que la confiance entre soignants et soignés s’en trouverait ruinée.
Pour François de Closets, auteur d’un vibrant pamphlet pro-euthanasie (« La dernière liberté ») on trouve encore parmi les opposants à l’euthanasie, aux côtés de l’Eglise catholique, une bonne partie du corps médical, qu’il accuse de toute-puissance. Mais pendant que l’avenir de l’euthanasie légale se joue dans les prétoires, une autre menace guette l’hôpital. Dans son exposé des motifs, la récente loi sur la fin de vie assimilait l’alimentation à un « traitement » et non pas un « soin ». Or un soin est toujours dû au patient mais un traitement peut s’avérer « disproportionné » et être arrêté. Les consignes éthiques de certaines professions médicales ont commencé à tenir compte de cette confusion : on rapporte de premiers cas d’arrêt d’alimentation et d’hydratation suivis de mort. Il s’agit bel et bien à chaque fois de meurtres délibérés à l’appui de la loi Leonetti. Une euthanasie qui, cette fois, ne dit plus son nom.
Tugdual DERVILLE