Denis Vadeboncœur, prêtre canadien de 65 ans, a été condamné le 22 septembre par les assises de l’Eure à douze ans de réclusion criminelle pour des viols sur un mineur, un verdict conforme aux réquisitions du ministère public. Le procès de l’ecclésiastique, déjà condamné en 1985 pour des faits similaires dans son pays, a permis de reconnaître pleinement à Jean-Luc V., 30 ans aujourd’hui – 13 à l’époque des premiers abus qui se sont transformés en une relation complexe de dix ans – le statut plein et entier de victime.
La Justice française a tout fait pour que le jeune homme trouve, dans ce procès, la force de remonter la pente, à l’image de l’avocat général lui déclarant « Il faut saluer votre courage, vous êtes arrivé à vous en sortir », avant de conclure : « Vous pouvez vous regarder dans une glace, car vous avez gagné le combat. Maintenant, c’est une belle page blanche qui s’ouvre ».
On peut douter que ces paroles, même si elles ont ému aux larmes Jean-Luc, suffiront à panser ses blessures. Comme souvent dans ce genre d’affaire, il a été manipulé au point qu’il s’est longtemps cru responsable de ce qu’il subissait, pris au piège de l’affectivité apparemment non-violente de l’homme dont il endurait les débordements.
Y a-t-il quelque chose de pire pour un enfant que d’être abusé par un adulte invulnérable, auréolé de son statut d’autorité – ici morale et spirituelle – alors qu’il lui a été confié en toute naïveté par un parent ? Car la sexualité a quelque chose de sacré, on l’a bien senti dans ce procès qui est pratiquement celui d’une profanation. Le père Vadeboncœur avait d’ailleurs été, au moment des faits, jusqu’à infester les gestes criminels qu’il infligeait par des considérations spirituelles.
Le condamné s’est montré effondré par la gravité de ses actes, reconnaissant désormais sa « pleine responsabilité ». Il est aujourd’hui présenté comme « dépressif ».
L’exigence de la
compassion pour la victime
Comment les chrétiens peuvent-ils réagir à la révélation de faits aussi brutaux ? La première exigence est celle de la compassion pour la victime, avant même d’espérer, pour son agresseur une repentance sincère.
Une question s’impose ensuite : comment éviter la répétition de tels scandales ? Notons bien que, pour l’Ecriture, le mot « scandale » désigne un grave abus, une tromperie dont les « petits » sont victimes de la part de ceux qui ont autorité, bien plus que leur éventuel retentissement dans l’opinion
publique. Avant de poser un problème de communication difficile pour l’Eglise – elle est accusée d’avoir fermé les yeux sur le passé d’un homme et mis en danger des enfants – une affaire comme celle qui vient d’être jugée la situe devant un défi humanitaire. Une fois la justice rendue aux victimes avérées, les victimes potentielles de ce type d’agression doivent être protégées. Certes, l’institution ecclésiale n’est pas la seule où peuvent être perpétrés de tels forfaits, loin s’en faut. Même si cela ne saurait la dédouaner, on sait que tous les milieux professionnels ou associatifs, voire familiaux, dès qu’il y a des enfants, sont concernés, et leur image est régulièrement salie par ce qu’on nommera leurs « brebis galeuses ». Celles qui se sont « égarées », l’Evangile incite, à la suite du Christ, à les ramener au bercail, mais il n’est aucunement question de couvrir des crimes, ou, pire, de les laisser perdurer. On peut certes expliquer au plan psychologique, sans l’excuser au plan moral, la tendance naturelle des institutions à protéger leurs coupables plus promptement que les victimes : le statut qu’y occupent ces « prédateurs », parfaitement insérés – on dira même « embusqués » – rend souvent difficile leur mise en cause, d’autant que les liens fraternels internes à la « communauté » sont forts.
Dérives libertaires et ténèbres humaines
L’ancien évêque d’Evreux, Mgr Jacques Gaillot, a exprimé au tribunal ses regrets et demandé pardon pour avoir cru bien faire en donnant ses chances à un repris de justice. Il confesse aujourd’hui un aveuglement provoqué par un élan de miséricorde mal ajusté, teinté d’angélisme. Lorsqu’il reconnaît avoir été « moins sensible à ce problème de la pédophilie qu’aujourd’hui », il exprime une évolution personnelle qui est sans conteste celle de toute la société.
Certains ont tout de même noté que la chute de Denis Vadeboncœur est celle d’un « soixante-huitard » qui était allé jusqu’à mettre en pratique, au Canada, ce qu’un officier de police a décrit à la barre comme des « théories fumeuses, avec apologie de la nudité et de la masturbation collective » ! Les audiences ont par ailleurs explicité la responsabilité de deux étranges éducateurs spécialisés d’un centre pour enfants. C’est eux qui ont facilité la « réinsertion » du prêtre dans ce diocèse. Le procureur a sévèrement tancé l’un d’eux : « Avec vous, je ne mets plus de limite entre l’homosexualité et la pédophilie.
Vous êtes un homosexuel accompli, vous êtes ami avec un pédophile avec lequel vous avez eu des relations sexuelles, vous comme votre ami. Vous ne pouviez ignorer que Vadeboncœur avait des tendances pédophiles, vous avez laissé faire et en plus vous-même vous avez eu des relations sexuelles avec un mineur. C’est vous qui avez introduit le loup dans la bergerie ».
De telles dérives ont quelque chose de suffocant, mais on aurait tort de croire que seule serait « à risque » une frange de l’Eglise contaminée par l’idéologie libertaire, comme celle que fréquentait le pédophile au Canada. Car toutes les sensibilités sont concernées. A chaque nouvelle affaire, on peut mesurer l’ampleur des dégâts tant chez les victimes directes que chez tous ceux qui voient soudain s’effondrer la confiance qu’ils avaient mise dans les personnes à la perversité dévoilée… et inévitablement dans l’Eglise.
Certes, la délinquance sexuelle représente la première cause d’incarcération en France et une dizaine de milliers de détenus de nos prisons en relèvent. Des associations de lutte contre la violence sexuelle estiment que 25.000 viols sont perpétrés chaque année et que près des deux tiers concerneraient des mineurs.
L’Eglise en cause
Il ne faut cependant pas s’étonner que l’écho médiatique d’une affaire de mœurs soit d’autant plus grand qu’un ecclésiastique est en cause : il y a une telle antinomie entre ces faits et la vocation spirituelle ! Ses conséquences pèsent malheureusement sur l’ensemble des prêtres ou religieux, innocents dans leur immense majorité, mais brutalement suspectés dans ce qu’ils ont de plus intime, cadeau fait à Dieu, incompris des hommes. Tout geste de tendresse pouvant être mal interprété, ils se savent menacés par des accusations ou interprétations injustes et s’en protègent. Le risque est alors d’aggraver l’impression que les religieux sont des êtres désincarnés, incapables d’exprimer de l’affection.
Nous n’en finirons jamais de prendre conscience de la part ténébreuse qui peut envahir notre humanité, spécialement lorsque la sexualité est en jeu.
Inutile donc, voire dangereux, d’idéaliser telle ou telle personne ou fonction, ni même l’Eglise en ce qu’elle est faite d’hommes de chair et de sang. Le cardinal Ratzinger le soulignait en toute transparence lors du chemin de croix du Vendredi Saint 2005 : « Que de souillures dans l’Église, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement ! » Dans un tout autre domaine, son sincère aveu de faiblesse, comme pape tout juste élu, s’étonnant du choix d’un si « humble ouvrier » pour succéder à son prédécesseur, mérite d’être médité.
Les évêques de France ont, quant à eux longuement abordé la question de la pédophilie en 2000, produisant une plaquette de prévention qui fait référence.
Le devoir de prudence
C’est avec une gravité sereine qu’il nous faut encourager et soutenir les responsables de l’Eglise qui ont la lourde responsabilité de la guider, fragile, pécheresse et sainte à la fois. Le danger serait dans la présomption. Les parents ou les responsables de mouvements de jeunes ne devront jamais renoncer à la prudence, celle qui anime de plus en plus les évêques lorsqu’ils se soucient de ne pas laisser leurs prêtres seuls, isolés, vulnérables.
« On n’entend parler que d’inconduite parmi vous et d’une inconduite telle qu’il n’en existe pas même chez les païens… » s’indignait déjà l’apôtre Paul écrivant aux membres de la petite église de Corinthe à propos d’un inceste. Lui reprochant en substance de ne pas avoir grandes raisons de s’enorgueillir, il l’exhortait à bannir toute complaisance vis-à-vis de ses membres, sources de scandale, prenant soin de préciser « En vous écrivant dans ma lettre, de n’avoir pas de relations avec les débauchés, je n’entendais nullement les débauchés de ce monde […] ; car il vous faudrait alors sortir du monde Non, je vous ai écrit de n’avoir pas de rapport avec celui qui, tout en portant le nom de frère, serait débauché […] et même, avec un tel homme, de ne point prendre de repas. »
Une dureté qui n’est peut-être pas à prendre au pied de la lettre aujourd’hui, mais qui peut faire réfléchir à une époque où une compassion mal ajustée a pu conduire à déplacer un fauteur de trouble, au lieu de le neutraliser.
Tugdual DERVILLE