28 - Un catholicisme qui croit au Pape ! - France Catholique
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28 – Un catholicisme qui croit au Pape !

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Excessive cette manière d’écrire ? Point du tout !

La fiabilité et même l’attention au Pape n’allait point de soi… en ces années. Sans parler des autres, de jadis et de naguère.

En janvier 1955, dans la F.C. (7/1/55), le directeur-adjoint de Ouest-France faisait part de sa peine d’avoir lu, dans L’Express, un Révérend Père Dominicain ne répondre qu’après maintes circonvolutions à la question d’une lectrice : « Faut-il prier pour le Pape ? »

Cette récrimination avait été provoquée par le texte signé par le prestigieux Père Avril (Ex 25/12/54). Il est vrai que, en cette circonstance, on eut pu écrire moins alambiqué. La preuve qu’en tout clerc – fut-il de l’ordre de saint Dominique, un jésuite est aux aguets. Néanmoins, l’émotion du directeur d’Ouest-France était – au moins, vue d’aujourd’hui – excessive.

D’autant que dans le même Express, en suite du point de vue du RP Avril, la réponse du romancier Gilbert Cesbron était émouvante de délicatesse.

Aussi bien, le mieux est que vous en jugiez vous-même :

Faut-il prier pour le Pape ?

La récente aggravation de l’état de santé du Souverain Pontife a donné lieu à d’indécente manifestation qu’on pourrait presque qualifier d’idolâtries, dont la presse s’est complaisamment fait l’écho. Du moins, est-ce mon avis. Certes, la santé du pape est chère à tous les chrétiens dont il est le père spirituel. Mais l’humble chrétienne que je suis s’insurge contre le caractère exhibitionniste de certaines démonstrations et je pense que si le Seigner a décidé de rappeler auprès de lui le vicaire du Christ sur la terre il faut que sa volonté soit faite et non la nôtre.
Mme Bouvet, Paris

Le R.P. Avril répond :


C’est continuellement qu’il m’est donné d’enregistrer des réactions analogues à celle de Mme Bouvet. Je ne crois donc pas qu’il convienne de les tenir pour négligeable.

Je ne sais pas exactement qu’elles sont les « indécentes manifestations » qui, dans les circonstances présentes, ont choqué notre correspondante. Mais le fait qu’il faut bien constater, c’est que le ton de certains articles de journaux ou de magazines relatifs aux Souverain Pontife, a le don d’exaspérer, de peiner ou de scandaliser (selon leur tempérament) nombre de chrétiens sincères : il leur paraît que la louange y est assénée sans mesure eet que les protestations d’obéissance et d’amour y relèvent par trop de l’hypocrite flagornerie.
Les auteurs de ces dythyrambes ne se rendent sans doute pas compte de l’effet produit, qui est exactement le contraire de celui qu’ils visaient.
Le premier grief qu’on peut leur faire, c’est qu’ils n’évitent pas toujours le ridicule et que, pour les esprits malintentionnés, ce ridicule risque d »éclabousser celui même qu’ils prétendent magnifier. Je me souviens que, peu après l’élection de Pie XII, un hebdomadaire catholique publia des « laudes » du nouveau pape, sorte de litanies où, parmi cent autres gentillesses du même genre, il était appelé (parce qu’il avait jadis de l’alpinisme !) : « Pape des sommets » et « âme d’edelweiss » ! Mon confrère le R.P. Deman, qui vient de mourir professeur de théologie morale à l’Université de Fribourg, remarquait à ce propos dans la langage à la fois « noble » et mesuré qui lui était habituel : « Le Pape s’honorerait en repoussant de tels hommages ! » J’ai eu bien des fois, depuis, l’occasion de me rappeler ce mot.

Un autre danger, et plus grave sans doute, c’est que devant de telles démonstrations, les âmes les plus délicates se sentent paralysées et n’osent plus exprimer leurs sentiments vrais. Je ne puis m’empêcher de penser à la première scène du ROI LEAR, où le vieux roi, décidé à partager ses Etats, se déclare prêt à avantager celles de ses filles qui lui manifesteront le plus d’amour. Les deux aînées se répandent aussitôt en protestations excessives et d’ailleurs parfaitement hypocrites. La troisième, qui est la seule à aimer réellement son père (comme elle le prouvera dans le malheur) se sent incapable de se mettre à ce diapason. Elle dit : « Que fera Cordélie ? Aimer et se taire… » Et encore : « Je suis dûre que mon cœur est plus riche que ma langue ». Elle est naturellement incomprise et rejetée. L’application est facile à faire au cas qui nous occupe.

Je ne pense pas qu’il y ait trace de « papolâtrie » dans la masse du peuple chrétien. Pourquoi faut-il que des porte-parole sans madat en donnent parfois l’impression ? Ce qui peut, à la rigueur, consoler les catholiques, c’est qu’aucun écrivain chez eux n’a atteint au lyrisme des ladateurs de Staline. Après la mort du « Père des peuples » le ton a d’ailleurs singulièrement baissé : Si transit gloria mundi ! Mais c’est au Pape, le jour même de son couronnement, qu’on adresse ce grave avertissement. Au fait, lui-même ne se décerne que le titre, très évangélique, de « Serviteur des serviteurs de Dieu ». C’est là sa véritable grandeur.

QUant aux prières que l’on fait pour lui dans sa maladie, est-il besoin de dire qu’elles sont pleinement justifiées ? je ne saurais approuver les dernières lignes de Mme Bouvet. Il faut, cela est certain, « que la volonté de Dieu soit faite ». Mais il entre dans la volonté de Dieu que les enfants prient pour leur père, qu’ils aient du chagrin s’il leur est enlevé et qu’ils fassent tout leur possible pour le garder. Nous ne sommes pas des « Témoins du Chgrist » de Montfavet, pour ne pas soigner nos malades !

Quand Pierre était en prison, nous disent les Actes des Apôtres, toute l’Eglise priait pour lui sans relâche. L’Eglise pouvait alors se rassembler tout entière dans une seule maison de Jérusalem. Elle est incomparablement plus étendue aujourd’hui : il n’est pas étonnant que son émotion, ses inquiétudes, ses supplication fassent plus de bruit dans le monde. Il est indadmissible de parler d’exhibitionnisme à ce propos.

Mais la prière de l’Eglise reste parfaitement confiante. Elle sait bien que la mort du Pape ne sera pas pour elle une catastrophe : le Christ se suscitera un autre Vicaire et l’assistance du Saint-Esprit ne lui fera pas défaut. Ce qu’elle demande pour son Chef, c’est « qu’il parvienne un jour à la vie éternelle avec tout le troupeau qui lui est confié ».


Gilbert Cesbron nous écrit :

En même temps que la réponse du R.P. Avril nous est parvenue une lettre de Gilbert Cesbron. Nous la publions ici parce qu’elle fait écho aux mêmes préoccupations que la lettre de Mme Bouvet.

« Bienheureux ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés » n’est pas une maxime de lavettes, de trempeurs de mouchoirs ! Il ne s’agit point de « pleurer comme ceux qui n’ont point d’espérance » ; il s’agit d’accepter toute la douleur qui nous est envoyée et d’assumer, en supplément, sa part de la douleur du monde que d’autres n’ont pas la force de supporter seuls.

Le chrétien n’est pas un maniaque des larmes. Il se définirait même, plutôt, par un certain sourire… Mais, comme son frère et seigneur Jésus dans la nuit des oliviers, il marche à la rencontre de la douleur ; et lorsqu’il fait vraiment trop froid dehors et trop bon chez lui : « Levez-vous, partons d’ici ! » ordonne-t-il à son tour.

Ainsi, il ne lui suffit pas d’avoir suivi, minute par minute, l’agonie de son propre père et, nuit par nuit pleuré sa mort, il se suscite un second père, entre ciel et terre et, lorsque celui-ci va mourir à son tour, le chrétien espère, souffre et pleure.

Il se peut que la santé du pape soit aussi la matière à journaux du soir, à photos en couleurs ; mais c’est, d’abord, l’objet de nos paupières closes et de nos mains jointes. Les autres s’imaginent, et souvent pour s’en irriter, que le pape est seulement notre chef – et, bien sûr, il l’est ; mais, malgré son titre admirable, ils oublient l’essentiel et qu’il est notre père.

Le Saint Père se meurt ; il souffre en ce moment. Où sont les fastes excessifs et les honneurs de cour ? C’est un homme nu qui se bat contre la mort ; non pas pour guérir ce corps exsangue, mais pour voir clair à temps dans son âme. Tous ses doutes sur lui-même sont revenus, toutes ses hésitations, et il n’a plus la force de les affronter. A cette heure de vérité, tout ce que certains ont pu lui reprocher, soyez assurés qu’il se le reproche. Car il faudrait autant d’inconscience pour mourir en paix que pour vivre en paix dans ce siècle-ci. Mais lui, le Père, il souffre plus qu’aucun d’entre nous, parce qu’il assumait chacun d’entre nous. De ce mystère de la mort du Père, il n’est permis de parler qu’avec amour.

Je n’ai pas toujours été d’accord avec Pie XII : j’ai souffert de certaines décisions et la docilité de tant de chrétiens, à tort ou à raison, m’irritait. Je persiste tristement à penser qu’à de certains moments, il s’est trompé, on l’a trompé. Mais, de son vivant, je n’étais pas toujours d’accord avec mon propre père. Et cela a-t-il atténué d’une seule larme mon déchirement à sa mort ?
Or voici qu’aujourd’hui, loin de moi, cet inconnu tout blanc se meurt – mon père se meurt. Je pense à lui. Je prie. J’ai mal.

En mars 1975 (FC 28/3/75) André Piettre, dans un article titré : « Le Pape ? connais pas ? » affirmait : « Il faut avoir la franchise de l’écrire : pour beaucoup de « catholiques », non seulement laïcs mais clercs (et clercs de grades et de hiérarchie) moralement le Pape n’existe plus… On ne l’écoute plus ».

Assurément, rien de tel à La France Catholique. Sans doute, à l’heure de celle de Castelnau, on n’était papiste qu’avec modération et sous réserve d’inventaire, au moins en ce qui concerne la politique temporelle.

Dans celle de Jean Le Cour-Grandmaison et de Fabrègues, l’ordre régnait avec Rome ! Le Pape ? On l’admirait ! On l’écoutait, le servait, quel qu’il fut ! Le Pape, c’était le Pape ! Et peu importe qu’il s’appelât Pacelli, Roncalli, Montini !

Les messages de Noël de Pie XII furent, chaque année, commentés plusieurs semaines durant. Il est vrai que leur contenu était riche.

Jean XXIII, Paul VI bénéficièrent de la même aura et du même traitement, qui ne lésinait pas dans l’admiration : « L’intelligence, la doctrine, l’amour, ces dons du Saint-Esprit, nous les avons vus là unis… Un Pape qui sait écouter et parler… L’éclatante valeur humaine de ce prélat si simple, si modeste, si accueillant… le reflet du Saint-Esprit dans un homme… » (à propos de Paul VI, 28/6/1963).

Bref un catholicisme qui dans la voix de Pie, de Jean ou de Paul, écoutait la parole de Pierre !