Suis retourné sur la Place du Ralliement jeudi soir. Nuages bas, près à s’effondrer. On verra bien. Je suis en avance, mais je vois quelques contradicteurs stagnant près des jets d’eau. Un peu d’inquiétude, je ne vois pas où se trouvent les Veilleurs… En haut de la Place, sur la droite des Galeries Lafayette, les véhicules des gendarmes sont rangés paisiblement.
À 21 heures pourtant tout le monde sort du bois. Le groupe des braillards est là, légèrement moins nombreux que la semaine passée : alors entre soixante et soixante-dix. Cette fois entre cinquante et soixante. Plus de flonflon, seulement des casseroles, des bidons, des sifflets. Visages rigolards. Les veilleurs par contre passent d’environ 150 personnes mercredi dernier à 200 cette fois-ci, vers 9 h 45…
La pluie ne se décide pas à tomber, tant mieux, mais j’éprouve quelque difficulté à contenir mon exaspération : je me penche vers mon voisin de droite, lui disant « Mais comment font-ils pour sortir autant de bourdes à la minute ? »
Il y en a un plus exaspérant que tous les autres réunis : il est armé d’un haut-parleur et s’en sert trop souvent. Il caricature le cabot en ses œuvres. Il feint la bonhommie, grotesque à écouter ses propos : un prêchi-prêcha d’une totale insipidité. Il nous plaint d’être possédés par des illusions : ne voyons-nous pas que la loi a été votée et qu’elle va s’appliquer ? Sans cesse, il ne cesse de s’adresser à nous comme à des chrétiens alors que nous sommes multiples, chrétiens fourvoyés à droite… Une femme s’empare de son haut-parleur le plus souvent possible, mais elle doit batailler pour y parvenir, afin de nous inviter rageusement à rester dans nos églises ou nos maisons. La petite foule reprend en rythme : « Cathos restez dans vos églises »… Un prêtre dont je me souviens disait au contraire : « Après la messe, allez partout témoigner de l’amour du Christ ». Je m’essaye à m’y tenir, mais c’est aussi difficile que pour elle de s’emparer du haut-parleur…
Une autre fois : « Les cathos hors des rues, les cathos à la maison ». Tiens donc ? Serions-nous interdits de « domaine public ». Qui paye l’impôt a le droit d’aller où il veut à travers le domaine public… Un vieux bonhomme à chevelure de clochard – ce qu’il n’est pas – éructe lui aussi dans l’appareil… Impossible de le comprendre. Il leur faudrait un spécialiste en expression orale.
J’en vois quatre, sur le devant, qui ne disent rien, ne bougent pas, regardent droit devant eux, ne sourient pas… J’ai l’impression qu’ils sont là pour y être mais sans le moindre enthousiasme. Comme frigorifiés par ce qu’ils entendent. Une jeune fille, de petite taille, est plus active, mais elle est attentive. Parfois, une certaine lassitude se remarque.
À d’autres moments, certains tentent d’écouter ce que disent les Veilleurs, mais très vite vient tout interrompre un jeune homme noir de barbe, quelque peu hystérique ; il s’empresse de mettre de l’ambiance, fait le pitre, fais des gestes incongrus, danse à la cloune avec une ou deux fois de petits hésitant à être obscènes ; il répète dans le haut-parleur, décidément de bonne composition, que « la loi est passée, souvenez-vous, elle est passée, je vous le répète pour vous vous en souveniez » : dix fois de suite au moins… Sa voix se fait roucoulante comme pour mieux nous persuader. Le bon garçon ! Son public est ravi de son spectacle de parfait cabotin.
Quelques grosses gouttes éparses nous font lever la tête vers le ciel ; nous le scrutons avec un peu d’angoisse. Je me dis qu’il faut naturellement se résoudre à être trempé mais surtout ne pas partir.
Simple avertissement, car le nuage pisseur quitte la scène.
Long texte, de notre côté, sur l’histoire du « gendeure », comme pour bien signifier au « gueuloir » que nous n’en avons pas qu’après le mythe du mariage pour tous… Au début, la parole avait été donnée à Saint-Exupéry. J’ai oublié les noms des autres auteurs cités.
Il y a tout de même quelque chose qui m’échappe : nous formons un groupe soudé, heureux d’être là tous ensemble comme pour bien signifier que nous existons et que nos raisons d’être là sont sérieuses, réfléchies, portées par des arguments solides, mais eux s’obstinent à vouloir nous interdire de présence, nous interdire de nous exprimer alors qu’ils gueulent « Liberté – égalité, liberté – égalité »… Je me dis qu’il faudrait leur faire un cours pour qu’ils comprennent que le concept d’égalité ne permet pas toutes les confusions, dont la première est qu’à deux situations différentes s’appliquent des solutions elles aussi différentes.
En fait ils sont les seuls, pensent-ils, sur la Place à pouvoir être entendus, à avoir le droit de s’exprimer – quoique la petite sono des Veilleurs percent parfois au point que ces grincheux s’en étonnent et laissent filer par-dessus leurs têtes trois ou quatre phrases, qui les touchent à l’improviste…
Je me persuade, peut-être trop facilement, que certains des contradicteurs observés achèvent cette soirée quelque peu déconcertés. La violence de leur groupe les aurait-elle insupportés ? Je l’espère.
Dominique Daguet
Pour aller plus loin :
- L’état d’esprit des catholiques américains à la veille de la visite du pape
- L’UMP à la veille des grandes vacances
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- Soirée cinéma avec Hannah Arendt et veillée chez les Veilleurs
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?





