Une question qu'on ne peut évacuer - France Catholique
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Une question qu’on ne peut évacuer

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En 1996 parut un numéro spécial de la revue « First Things » [NDT: mensuel de tendance chrétienne conservatrice] intitulé « La fin de la démocratie? Usurpation judiciaire de la politique ». Il posait sérieusement une question : les dérives par rapport à la constitution allaient-elles en fait aboutir en Amérique à un régime ayant perdu sa légitimité.

Dur à avaler, évidemment. Plusieurs membres du conseil du magazine démissionnèrent alors. Même largement d’accord avec l’énoncé du problème, ils réagissaient vigoureusement à la conclusion brutale que beaucoup d’Américains n’éprouveraient plus de loyauté envers un tel régime.
Ce numéro spécial donne à réfléchir quand on pense aux arguments superficiels qui ont voltigé autour des débats de la Cour Suprême la semaine dernière sur le système « Obamacare ». Il fallut, voici seize ans, un groupe de penseurs réputés pour cibler les graves problèmes posés par nos dirigeants. De nos jours, quiconque — ou presque — s’y intéressant peut voir la gravité de la menace (les deux tiers des Américains souhaitent la révision ou l’abrogation de la réforme du système de santé).

Mais même si cette loi est rejetée, le soulagement ne sera que provisoire, car un lot de questions bien concoctées fera indubitablement surface pour nous harceler sous peu.

Les juges ont voté vendredi dernier, apprend-on, pour ou contre l’annulation de l’obligation individuelle d’assurance, ou même pour ou contre l’annulation de la loi en totalité. Le juge Kennedy, dont la voix ferait basculer le vote, a lourdement insisté pendant les débats sur « l’immense difficulté à justifier… un changement des rapports entre l’individu et le gouvernement. » Il a même suggéré que la contrainte judiciaire pourrait simplement faire annuler tout le texte, et non simplement décider lesquelles des 2.700 pages pourraient être conservées.

Le juge Scalia a bien blagué en demandant si le gouvernement pourrrait bientôt nous obliger à manger du brocoli, et le juge principal Roberts se demandait si chacun serait obligé d’avoir un téléphone portable pour appeler en cas d’urgence médicale. Il est trop facile d’ironiser sur les pouvoirs que le gouvernement prétend s’octroyer, presque inconsciemment, puisque les limites du pouvoir sont maintenant une notion moribonde. Interrogée sur la constitutionnalité du texte « Obamacare », Nancy Pelosi [présidente du groupe Démocrate (gauche) au Congrès] a simplement répondu: « êtes-vous sérieux? »

La semaine dernière, la Cour était très sérieuse, heureusement pour les libertés civiles et religieuses. Mais il se peut aussi que, la loi étant annulée pour des motifs constitutionnels, nos officiels de l’administration restent fidèlement attachés à la notion que des traitements moralement inacceptables sont des droits fondamentaux pour la « santé de la femme ». Le Président Obama a publié cette semaine une video en faveur du Planning familial classant l’avortement dans ce domaine pour le moins glissant.
Le numéro spécial de 1996 montre pourquoi une simple bonne décision ne peut à présent défaire des décennies de mauvaises habitudes. Feu le Père Richard Neuhaus décrivait ainsi le débat: « la question étudiée ici, en pleine connaissance de ses conséquences dans le long terme, est de savoir si nous avons atteint, ou allons atteindre, un point où les citoyens consciencieux ne pourront plus accorder leur confiance au régime actuel.»

Traitant de la forme et du fond de décisions sur des sujets tels que l’avortement et l’homosexualité, il les comparait à ce « long défilé d’abus et d’usurpations » invoqué dans la Déclaration d’Indépendance : « Les tribunaux ne se sont pas donné de limites, peut-être ne le peuvent-ils pas, et il se peut que sous le régime actuel aucune autre limite efficace ne soit applicable. S’il en est ainsi, nous assistons à la fin de la démocratie. . . . Ce qui se passe actuellement est la soumission croissante de millions d’Américains à un gouvernement qu’ils ne reconnaissent pas comme le leur: ce qui se passe actuellement est l’érosion de l’adhésion morale à ce système politique.»

Derrière tout cela git une série de décisions judiciaires forçant à choisir : « Dieu ou la Nation ».

Pour Robert Bork, autre participant, un autre problème se pose car il ne s’agit pas d’une simple question courante: « On présente l’idée qu’interpréter la Constitution selon sa signification initiale serait une attitude extrémiste. C’est bien commode pour ceux qui veulent des résultats que la démocratie ne leur procurerait pas, mais en vérité c’est bien la violation des origines de la Constitution qui devrait être considérée comme une position extrêmiste. On peut affirmer sans risque que, dans l’état actuel de nos institutions, la Cour [Suprême] ne peut être considérée comme un élément légitime d’un pouvoir fondamentalement démocratique.»

À gauche les observateurs du système légal bavent sur un tel langage. Après tout, ce ne n’est que sur des sujets particuliers qu’ils ont gagné. Mais parmi les intervenants, Russell Hittinger a exposé cette ligne de raisonnement pour ce qu’elle est, non pas une question de monuments isolées, mais: « selon une interprétation appuyée sur la loi fondamentale, de telles lois seraient des lois (1) refusant la protection aux faibles et aux vulnérables, spécialement en matière de vie et de mort, et (2) confisquant systématiquement au peuple le pouvoir politique légal de redresser la situation. Un pouvoir qui promulgue et défend de telles lois ne mérite aucun soutien loyal.»

Hadley Arkes, un « pilier » de « The Catholic Thing », a vu une pire menace trop évidente ces dernières années : une chose est de dire, comme des tribunaux l’ont déjà fait, que les préceptes moraux du Christianisme et du Judaïsme ne peuvent se substituer à la loi dans un état laïque. Une tout autre chose est de dire que les gens prenant ces préceptes au sérieux peuvent subir des poursuites et des sanctions légales s’ils osent annoncer leur adhésion à ces préceptes et en faire la base de leur comportement y compris dans leurs actes privés.»

Pour conclure, Robert George met les points sur les « i » : de tous temps on a cru qu’une loi immorale n’est pas une loi, on doit s’y opposer — pas par « opposition personnelle », et on ne doit jamais la tolérer. Il cite l’encyclique « Evangelium Vitae » de Jean-Paul II : quand la dignité humaine est négligée, « la démocratie contredisant ses propres fondements se dirige vers une forme de totalitarisme.»

Et il ajoute: « les hommes de bonne volonté — quelle que soit leur foi religieuse — qui sont disposés à écouter l’enseignement de « Evangelium Vitae » ne peuvent s’empêcher, sobrement et les yeux grands ouverts, de se demander si notre régime est en train de devenir un « état tyran démocratique » contre lequel il nous met en garde.
La question n’est pas évacuée et pourrait bien être posée à nouveau — bientôt, et plus pressante qu’on l’imagine.


Couverture de la revue : « La fin de la démocratie? »

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/a-question-that-wont-go-away.html