Une Eglise riche pour les pauvres ? - France Catholique
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Une Eglise riche pour les pauvres ?

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Vendredi dernier, le pape François a prononcé l’un de ces discours que la presse internationale adore présenter comme un autodafé idéologique. S’adressant au Conseil des chefs de secrétariat des organismes des Nations Unies pour la coordination (CCS) – du jargon bureaucratique emberlificoté au-delà de toute expression -, il a instamment prié les « coordonnateurs » internationaux, réunis en « conclave », d’assurer encore mieux la coordination, ce que, comme nous le savons, ils font si bien, et d’inclure les exclus et les marginalisés dans un système mondial plus équitable.

Bref, le genre de déclaration qu’est censé prononcer un pape et qui ne devrait pas forcément faire la une des journaux.

Mais le pape François a employé l’expression « légitime redistribution des biens économiques par l’Etat », ce qui pour certains journalistes à l’affût du moindre signe, signifie qu’il doit détester les hommes d’affaires et éprouver de la sympathie pour le parti démocrate, si ce d’une certaine manière pour les socialistes et même peut-être pour la théologie de la libération.

Plusieurs journalistes conservateurs ont également semblé croire qu’en se bornant à signaler que l’Etat pourrait jouer un rôle dans l’activité économique le pape condamnait l’économie de marché tout entière et ouvrait la porte à un étatisme de plus en plus poussé.

Les informations circulent si vite à présent sur Internet – plus vite que la pensée elle-même – que je recommande aux lecteurs de consulter calmement la version anglaise ainsi que les versions espagnole et italienne (nous avons déjà appris le pape François a été desservi par de mauvaises traductionsJe l’ai signalé moi-même à propos du par. 54 de l’Exhortation dans « Les écoles parfois rivales d’exégèse du pape François ».). J’aurais franchement préféré moi-même qu’il n’ait pas employé le mot « redistribution » qui prête à plusieurs mauvaises interprétations.1Mais cette expression controversée figure dans le contexte suivant :

« A ce développement [équitable] contribueront tant l’action internationale, qui s’efforce d’obtenir un développement humain intégral en faveur de tous les habitants de la planète, que la légitime redistribution des biens économiques de la part de l’Etat et l’indispensable collaboration de l’activité économique privée et de la société civile. »

Notez bien les mots qui suivent immédiatement « légitime redistribution » : « l’indispensable » collaboration de l’activité économique privée – c’est-à-dire des marchés opérant en toute légalité – et, indication encore plus importante, « la société civile », c’est-à-dire les institutions humaines intermédiaires – les personnes, les familles, les communautés, surtout les églises, etc.- qui par définition ne sont pas l’Etat.

Pour comprendre tout cela, il nous faut plus de détails sur la façon dont le Pape perçoit ces trois éléments et leur articulation. Mais, de toute évidence, il n’est pas un simple partisan de l’étatisme.

Comme dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium (vous pouvez vous y reporter), il estime que les entreprises et les acteurs non-étatiques ont un rôle légitime à jouer. Il n’a peut-être pas une idée très claire de la nature précise de ce rôle – et qui d’ailleurs en a une, les Nations Unies ? Mais ce n’est pas vraiment le travail d’un pape. Dans l’encyclique Centesimus Annus (par. 42 sqq.), Saint Jean-Paul II a été aussi loin qu’un pape peut se le permettre dans son exposé détaillé des avantages et dangers des marchés, des majorités, de l’activité économique, de la société civile, des systèmes de protection sociale, de l’étatisme et de toutes les questions connexes. Mais il affirme pourtant que l’Eglise n’a pas de modèle à proposer. Il serait bon de relire ces paragraphes de temps à autre.

Tous ceux qui connaissent bien les rouages de « l’activité internationale » douteront fort qu’on puisse vraiment les améliorer ou même les modifier. Il y a pourtant des moments où la « coordination » peut assurer de modestes avantages (bien plus modestes que l’élévation du niveau de vie des pauvres par les marchés, soit dit en passant). Il n’y a rien de mal à ce qu’un pape encourage cette approche, tant que nous en évaluons les limites et comprenons la tendance des organismes internationaux à imposer des programmes idéologiques, comme le Vatican en a récemment fait deux fois l’expérience. (Rappelez-vous : le pape actuel analyse la situation dans l’optique de l’ouvrage « anti-utopique » [apocalyptique] du père Robert Benson Le Maître de la Terre).

Mais voici une contre-proposition : l’Eglise ne pourrait-elle pas s’imposer à nouveau en tant qu’institution de la société civile et ne plus dépendre autant des Etats pour s’acquitter des tâches que l’Eglise assumait autrefois dans l’éducation, la santé, les services sociaux et bien d’autres domaines ? Rien que dans l’éducation, par exemple, le monopole virtuel de l’Etat du jardin d’enfants jusqu’au collège a entraîné non seulement une concentration superficielle sur l’emploi et l’économie, mais aussi un endoctrinement réducteur tel que pour la plupart des enfants le gouvernement devient une sorte de remède universel.
Pour ces tâches ainsi que pour d’autres tout aussi cruciales, l’Eglise ne peut pas être une « Eglise pauvre au service des pauvres », comme le recommande le pape François. Il faut, bien sûr, que l’Eglise pratique l’esprit de pauvreté, mais aussi qu’elle soit dotée de riches ressources matérielles, intellectuelles et spirituelles pour répondre aux besoins.

Bon nombre d’entre nous sont d’âge à se souvenir d’une Eglise qui, surtout en Amérique, jouait précisément ce rôle. L’un des points qui divisent les catholiques aujourd’hui est la relation entre l’Eglise et l’Etat. Les « gens de gauche » ont tendance à croire que seul l’Etat peut assumer certaines fonctions dans le monde moderne. C’est possible, mais nous devons les évaluer très soigneusement avant de les éliminer de la sphère de la société civile et de l’activité économique privée.
La nature morale des êtres humains est délicate et complexe. Dès les années 90, il était clair en Amérique, même avec un président démocrate, qu’une mauvaise conception d’un filet de protection sociale, chose pourtant nécessaire, pouvait en fait nuire à la population censée en bénéficier. Si nous voulons vraiment renouveler le débat sur les moyens d’améliorer le sort des pauvres et des marginalisés, nous devons d’abord prendre en compte les structures politiques, économiques et sociales. D’une manière ou d’une autre, le rôle de l’Etat dans ces dernières est évident, n’en déplaise aux conservateurs. Mais nous devons aussi prendre en compte les familles, l’éducation et les principes moraux qui constituent un contrepoids indispensable à l’Etat.

La voix du pape François permettra peut-être de stimuler ce nouveau débat. Il serait certainement utile que le synode sur la famille qui va s’ouvrir cet automne ne s’enlise pas dans des problèmes de divorce et de remariage, d’unions homosexuelles, d’avortement, de contraception et d’autres sujets épineux proprement séculiers. La famille – et non pas l’individu isolé – est la cellule fondamentale de la société. L’économie doit la placer au centre de ses objectifs. Rien de surprenant à ce que le déclin de la famille et du nombre des personnes issues de familles solides ait entraîné la dilatation de l’Etat.

Voilà peut-être une question que le Conseil des chefs de secrétariat des organismes des Nations Unies pour la coordination devrait méditer.
Robert Royal est le rédacteur en chef de The Catholic Thing et le président du Faith& Reason Institute de Washington (D.C.). Son ouvrage le plus récent est The God that did not Fail : how Religion Built and Sustains the West.

Photographie : le pape François accueille Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’ONU

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/a-rich-church-for-the-poor.html

  1. Ce mot très courant en français, italien, espagnol (langues latines) existe bien en anglais, mais son champ sémantique est différent : il donne l’idée que (comme le préconise Mélanchon) l’Etat va tout prendre en mains et dépouiller de force les riches pour donner aux pauvres.