Terre sainte : le pèlerinage de 1882 - France Catholique
Edit Template
L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
Edit Template

Terre sainte : le pèlerinage de 1882

Ils étaient plus de mille Français, de toutes conditions, pour 40 jours sur les pas de Jésus. Il y a 130 ans… 450 prêtres pour les soutenir et les accompagner. Parmi eux, le « Saint de Toulouse », le fameux Père Marie-Antoine… Le P. Marie-Antoine au 1er Pèlerinage en Terre Sainte 1882 par le P. Ernest-Marie de Beaulieu. Récits et témoignages de pèlerins, rassemblés et annotés par Jacqueline Baylé, 15 x 20 cm, 50 illustrations d’époque, 15 €. En librairie et aux éditions du Pech, 25 rue de la Concorde 31000 Toulouse.
Copier le lien

Le pèlerinage en Terre sainte de 1882 était le premier du genre. En quoi la démarche était-elle novatrice ?

Jacqueline Baylé : Le nom exact donné au pèlerinage de 1882 par ceux qui l’ont inspiré, les frères Tardif de Moidrey, parle de lui-même : « Pèlerinage populaire de Pénitence en Terre Sainte ». Le tombeau du Christ et Jérusalem, dès les premiers temps du christianisme, ont attiré les pèlerins de toutes conditions, et davantage quand le monde vit en paix et les chrétiens à l’abri des persécutions. Au début de ce XIXe siècle, Lamartine et Chateaubriand les ont remis au goût du jour et, depuis 1853, un comité d’organisation permet, chaque année, à quelques dizaines de pèlerins français de se rendre en Terre sainte. Mais en 1882, ils sont 1013 à partir d’un coup, dont 450 prêtres. La démarche ne peut qu’être novatrice, sur tous les plans. Le pèlerinage fut populaire grâce aux dons collectés, très importants : les participants appartenaient à toutes les couches de la population. Et il est un pèlerinage de pénitence dans l’exacte perspective du message de Lourdes (Bernadette est morte trois ans plus tôt), pour une France qui a connu 1870, une défaite cinglante, la perte de l’Alsace-Lorraine, la Commune, et qui sort du traumatisme de l’expulsion de ses religieux. Les assomptionnistes ont créé le magazine Le Pèlerin, ils organisent depuis dix ans des pèlerinages, en particulier à Lourdes : ils prennent tout naturellement la direction de ce pèlerinage en Terre Sainte.

Parmi les pèlerins, 450 prêtres. Comment la forte personnalité du P. Marie-Antoine a-t-elle rendu sa participation remarquable ?

Et parmi ces prêtres, un certain nombre de personnalités, de tous ordres et rangs. Pour le capucin, tous les aspects de sa personnalité vont s’épanouir et s’adapter aux événements durant ces quarante jours.
La force de sa foi, la simplicité à l’exprimer avec pédagogie, son aisance toute naturelle à se mouvoir dans le surnaturel, ses accents de vérité, sa fidélité à l’Évangile et à l’Église, cette honnêteté intellectuelle qui lui « faisait faire d’abord ce qu’il prêchait », cette présence toute charismatique, son autorité, avec ses outrances et ses folies qui se rient de la prétendue sagesse du monde. Et finalement beaucoup de bon sens. Un amour, une charité pour ses frères qui le faisaient patient et attentif à leur détresse face à des conditions souvent pénibles.

Beaucoup d’idées, d’imagination, pour rendre les temps de dévotion vivants, festifs. Il eut l’initiative et la charge des trois jours de retraite qui ont préparé les pèlerins aux fêtes de Pentecôte, avant le départ dès le lundi. Et il s’est avéré, de bout en bout, et au retour dans les diverses plantations de la Croix ramenées des pèlerinages postérieurs, comme le prédicateur par excellence de la croix.

Quel a été l’impact de ce pèlerinage ? Notamment sur le plan politique ?

Ce pèlerinage a mobilisé les forces vives du catholicisme français, à l’appel du Pape Léon XIII qui a encouragé le projet dès ses débuts, désigné le P. François Picard supérieur général des assomptionnistes pour le diriger, veillé à l’esprit et aux buts affichés. Le Saint-Père a multiplié les indulgences attachées au pèlerinage, reçut les pèlerins à Rome le 15 octobre suivant, venus lui offrir leur croix. Chaque diocèse désigna ses représentants prêtres et laïcs en veillant à ce que toutes les couches sociales soient représentées, grâce à l’extraordinaire largesse des fidèles qui ne pouvaient partir. Même les religieux en exil ne furent pas oubliés.

C’était pour la France catholique un acte de pénitence en réponse à la demande de Notre-Dame à Lourdes, mais aussi, dans ces années de persécution, une reconnaissance de fait dans leur propre pays, une fierté d’être catholique et français à Jérusalem, y compris pour les expatriés, une foi et une espérance en des jours meilleurs. Une sorte de reconstruction qui rendra plus facile le ralliement à la République encouragé par Léon XIII dix ans plus tard dans son encyclique Inter Innumeras Sollicitudines. Ralliement qui n’empêchera pas une recrudescence anticléricale dont le début du siècle suivant verra l’épilogue avec les expropriations et l’exil.

Comment cette masse de pèlerins a-t-elle été perçue en Palestine ?

Il faut imaginer le retentissement extraordinaire de l’événement venant de cette France dont on se souvient surtout, à Jérusalem, qu’elle est la « fille aînée de l’Église ». L’accueil, mêlé de surprise et de curiosité, est à la hauteur, si l’on oublie les infrastructures en matière d’hébergement et de transport quasi inexistantes. La veille du départ à Marseille, les franciscains historiquement très implantés en Palestine, envoient, affolés, ce télégramme aux organisateurs : « Ne venez pas ! » Ils sont partis quand même.

L’entrée à Jérusalem, avec l’appui des autorités locales, fut triomphale, avec ses bannières et ses chants. Tout Jérusalem est dehors, Musulmans, Russes, Grecs, Juifs, Arabes du désert regardent en silence… « Jamais rien d’aussi saisissant, d’aussi religieux ne s’était vu », écrit un témoin vivant là-bas. « C’était vraiment beau. Les plus incrédules, les plus sceptiques y étaient pris. Ces braves gens, tout couverts de poussière, brisés de fatigue, sont magnifiques. C’est la foi rayonnante des premiers âges… » Et ce sera une manne pour les artisans en tout genre chez qui les commandes afflueront.

Que peut inspirer la lecture de ce livre publié 130 après ?

L’expérience est aussi porteuse, sur tous les plans, hier qu’aujourd’hui. On n’a jamais tant publié, témoigné sur un pèlerinage que pour ce pèlerinage en Terre sainte de 1882. Les textes réunis ici, sur une trame de l’auteur, le P. Ernest-Marie de Beaulieu, un capucin contemporain du P. Marie-Antoine et son biographe, donnent une idée de la variété des mentalités, des réactions, de la piété des participants, de leurs sentiments. Ce livre est émouvant, parfois drôle. Ou dramatique quand on sait que les conditions spartiates qui les attendaient ont fait, le climat aidant, quelque six morts, curieusement tous prêtres, parfois très jeunes. Certains ont connu la sépulture en mer, dans ce qui est apparu une solitude infinie.

Ce pèlerinage est une suite de pèlerinages aux sources de la foi, proches des temps bibliques parce qu’encore hors de portée d’une urbanisation à outrance. Enrichissante enfin, l’action des grâces reçues au retour. Beauté, émotion religieuse, que servent cinquante gravures d’après des croquis de pèlerins.