Sur le déterminisme - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Sur le déterminisme

Traduit par Bernadette Cosyn

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Regardons le déroulement de notre vie depuis la conception jusque maintenant. Tout semble avoir été « obligé » d’arriver de façon définie et consécutive. Sinon, nous n’aurions pas pu être ce que nous sommes. Même de légères inflexions de cette ligne qui jalonne notre existence auraient changé ou empêché ce que nous sommes.

Nous pourrions facilement conclure que nous « devions » être ce que nous sommes. Si nous n’existions pas, qui le remarquerait ou s’en soucierait ? Que quelque chose de libre soit également impliqué dans notre existence est déclaré illusion. Le monde et tout ce qu’il contient sont déterminés pour être ce qu’ils sont.

Bien sûr, si tout est « déterminé », nous pourrions nous demander quelle est la source de ce déterminisme. Cette source, quelle qu’elle soit est-elle aussi prédéterminée ? Mais quand nous pensons à ces choses, nous sommes généralement satisfaits que les événements aient tourné comme ils l’ont fait. Sinon, nous ne pourrions pas exister. Nous pensons généralement que ce n’est pas une mauvaise affaire que nous soyons venus au monde. Pourtant, ce sentiment tenace persiste. Cette explication « déterministe » manque de quelque chose de fondamental.

Chesterton a dit quelque part que, si le monde est prédéterminé, ça n’a pas de sens de remercier le serveur parce qu’il vous apporte la moutarde. Remercier veut dire que quelque chose qui s’est passé ne devait pas obligatoirement se passer. Bien sûr, on pourrait dire que, que nous disions merci ou non, nous sommes dans l’un ou l’autre cas prédéterminés. Aussi correctement que le déterminisme puisse expliquer les événements du passé, il semble insuffisant pour les choses actuelles et à venir, les choses qui vont advenir parce que nous l’avons choisi.

Aristote nous dit que l’éthique concerne ces choses que nous pouvons louer ou blâmer. L’éthique se réfère aux choses qui pourraient être différentes, les choses que nous avons suscitées ou modifiées. Nous pouvions agir ou ne pas agir, faire les choses de telle manière ou de telle autre. Cela n’a pas de sens de louer ou de blâmer quelqu’un pour ses actes s’il a fait devait arriver en dépit de toute initiative de sa part.

De même, si le meurtrier « devait » commettre son crime, il est injuste de le blâmer en quoi que ce soit. Ces derniers temps, la même approche a été faite en ce qui concerne ce que l’on nommait autrefois « les péchés de la chair » pour ôter la plus grande partie de la culpabilité et du plaisir de ces activités très prisées. Dans un monde prédéterminé, « je t’aime » ne signifie rien.

Si le monde est prédéterminé sous tous ses aspects, rien ne peut se produire librement en son sein. On peut seulement dire que c’est arrivé. Pourquoi se fatiguer à dire quoi que ce soit d’ailleurs, si tout est prédéterminé : je n’en vois pas l’utilité. Alors, si un ailier fait une belle capture de balle, il semble sans objet de l’acclamer. De vrai, votre acclamation est aussi prédéterminée que son action. Le monde n’est qu’une gigantesque illusion.

Une autre version du déterminisme soutient que Dieu fait absolument tout. Il n’existe pas de vraie causalité secondaire. Nous ne pouvons rien faire. Toute action visible vient de Dieu. On ne trouve pas de relation entre ce que nous faisons et ce qui arrive. Les choses pourraient être le contraire de ce qu’elles semblent être. Dans cette optique, tout est autorisé parce que Dieu est sans limites. Il peut transformer ce qui est en son contraire. Il peut transformer le meurtre ou l’adultère en vertu, alors pas de souci. Vous ne devez vous inquiéter de rien. Vous avez juste donné l’impression de faire quelque chose. Tout vient de Dieu.

Bon, il faut qu’il y ait quelques lois déterminées. Si je laisse échapper un verre, il faut qu’il se brise en tombant. S’il n’en était pas ainsi, les lois de gravité ne tiendraient pas. Et si ces lois ne tenaient pas, je devrais être en train de flotter en l’air, de même que le verre.

Mais nous sommes un peuple excessivement préoccupé par la liberté, d’où qu’elle vienne. Pourquoi tous ces discours sur le déterminisme ? Pourquoi ne puis-je pas me transformer en ce que je veux être ? Pourquoi suis-je lié par des lois qui ne peuvent être autres que ce qu’elles sont ? Pourquoi quelque chose ne peut-il être bon un jour et mauvais le lendemain ou bon ici et mauvais là ?

Dans le monde, un individu agissant est vraiment libre de faire certaines choses. Il ne peut pas changer les lois de la gravité ou de la morale, mais il peut choisir de ne pas les respecter. S’il décide d’ignorer les lois de la gravité et de sauter d’une falaise, on ramassera sa dépouille au pied de celle-ci. Sa bravade ne fait pas cesser d’exister les lois de gravité.

Si un être humain transgresse les lois morales, il y aura de même des conséquences. Sinon, pourquoi les transgresser ? De telles actions portent la marque de leur origine. Le monde est également plein d’actions qui n’étaient pas nécessaires mais qui ont cependant eu lieu. C’est le monde dans lequel existent louange, blâme et reconnaissance. Il n’est pas prédéterminé, nous le déterminons librement.

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James V. Schall, qui a été durant trente-cinq ans professeur à l’université de Georgetown, est l’un des écrivains catholiques les plus féconds en Amérique.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/01/03/on-determinism/