Suivre la Messe - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Suivre la Messe

Traduit par Pierre

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Au début de mes études supérieures j’ai eu la chance de loger dans le même dortoir qu’un ancien nommé Jerry Hawhee. Jerry était presque aveugle, il se déplaçait en tatonnant de sa canne pour éviter les obstacles. Mais ce que nous avons retenu de l’enseignement de Jerry, c’est l’art d’écouter la grande musique : assis, penché, au bord du siège, totalement attentif, littéralement plongé dans la musique.

La défaillance de sa vue explique sans doute la relative acuité de ses autres sens ; Jerry adorait écouter de la musique. Voyant son visage, on avait l’impression qu’il savourait chacune des notes, chaque phrase, chaque tonalité. Sa main suivait le tempo comme s’il dirigeait lui-même l’exécution.
Pourtant, alors qu’il ne ratait rien — en parlant après, il pouvait vous dire comment les bassons avaient joué, bien ou médiocrement — il ne guettait pas les fautes d’exécution. Il était pleinement conscient, attentif, à la présence particulière de Mozart, Bach, ou Händel. Quand venait une fausse note, çà se voyait sur son visage, comme pour dire : « Oh ! ce n’est pas vrai !». Mais ce qui retenait davantage son attention était l’âme du compositeur transmise par les musiciens — flottant alors dans la salle de concert à ce moment.

On aurait pu à cet instant lui appliquer le célèbre commentaire de T.S. Elliot dans « The Dry Salvages » [Les ilots sauveurs] :

Musique entendue si profondément

Qu’on ne l’entend pas du tout, c’est vous, la musique

Alors que dure cette musique.

J’ai récemment pensé à cette sorte d’attention émue portée à ce que ne donnaient pas toujours les meilleures exécutions de musique classique dans notre modeste Fac comme un modèle de la manière dont nous devrions suivre la Messe. Nous aussi devrions, assis mais non adossés, écouter attentivement, nous imprégner. Ce n’est pas sans raison que nos frères orientaux Orthodoxes lancent avanr les Évangiles cet avertissement : « Soyez attentifs !».
Un aspect désolant de la Messe est qu’après les rites d’introduction, les paroissiens s’assoient pour les lectures, et on peut voir (et même sentir) s’échapper l’énergie comme l’air s’échappe d’un ballon crevé. Bien souvent, si vous tentez de vous rappeler de quoi parlait la première lecture quand débute la lecture de l’Évangile, néant ! Et cette première lecture n’avait été dite que quatre ou cinq minutes plus tôt.

Imaginez que vous voyez quelqu’un parler à Jésus-Christ, puis que peu après vous demandez à cette personne : « Que vous a-t-Il dit ?» et que sa réponse soit : « À dire vrai, je ne me rappelle pas vraiment. Je n’écoutais pas attentivement.» Vous n’écoutiez pas ? Vous n’écoutiez pas Dieu? Y avait-il sur votre portable un SMS plus important que Dieu ? Si Warren Buffet [NdT: un des hommes les plus riches du monde.] vous donnait des conseils d’investissement, diriez-vous « bon, mes pensées ont commencé à vagabonder, et j’ai décidé de songer à une recette de tarte aux pommes.» ? Votre porte-feuilles d’actions est-il plus important que le salut de votre âme ?
Mon ami Jerry était totalement conscient et attentif à la présence intime de Mozart, Bach ou Händel quand il les écoutait, même si c’étaient de médiocres interprétations ; alors, de même, nous devons écouter le génie particulier de Matthieu, Marc, Luc, Jean, Paul et tous écrivains bibliques, car ils étaient les instruments à vent dont jouait l’Esprit, produisant une symphonie de voix aussi profondes et émouvantes que celles d’un chœur angélique. Nous devrions porter attention à ces paroles comme si elles étaient musique céleste — ce qu’elles sont. Nous devrions écouter la voix de notre Seigneur qui s’exprime par elles.

Quand je suis obligé de souffrir encore un de ces pénibles sermons [NdT : Homélies, en novlangue] — baclés, personnalisés (pourquoi toujours une anecdote personnelle du prédicateur ?), pleins de cette sorte de sentimentalité que Flannery O’Connor citait un jour comme appartenant à la religion comme la pornographie fait partie de l’art — je pense à Jerry. Lors de ces concerts de la Fac, alors que nous écoutions les notes de musique, Jerry écoutait ce génie particulier, cette « voix » spéciale des compositeurs dont il connaissait la musique comme d’autres gens connaissent leurs meilleurs amis. En plein de ce qui était parfois une cacophonie, il entendrait « son bon vieil ami ». Et, souriant, il s’inclinerait.

Ce serait une bonne chose si je pouvais convaincre les prédicateurs d’avoir foi en la parole. Les gens aiment les airs « pop ». Faciles à entendre. Pas de questions. Mais pour ces raisons, on s’en lasse aussi facilement. Ils ne sentent pas planer un esprit.

Voici pourquoi je recommande aux prêcheurs de se tenir à l’écart. Qu’ils laissent les gens entendre les voix de Matthieu, Marc, Luc et Jean comme les musiciens s’efforcent de leur faire entendre les « voix » de Bach, Mozart, Beethoven, et Haydn. La virtuosité ne se juge pas par la communication personnelle de l’exécutant mais par ce qu’il transmet. Quand les gens commenceront à entendre à nouveau ces voix — les voix qu’ils reconnaissent comme le troupeau reconnait la voix de son pasteur — alors ils recommenceront à écouter attentivement. Ils ne remarqueront même pas les fausses notes ni les expressions désordonnées tant qu’à la fin ils puissent reconnaître la voix du Seigneur qui les appelle.

Nous, qui devons supporter ce qui, parfois, est une cacophonie perturbante de mots, devrions écouter attentivement cette voix et, en l’entendant, nous dire : « le voilà, mon cher vieil ami.» Et puis sourire, et nous incliner.

30 avril 2016.

Source :How to Listen at Mass

Tableau : Saint Dominique (fondateur de l’ordre des prêcheurs)
Claudio Cœllo, vers 1685 – Musée du Prado, Madrid.