Responsabilité des « irresponsables » - France Catholique
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Padre Pio, ses photos inédites
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Responsabilité des « irresponsables »

Le chroniqueur de L'Obs, Delfeil de Ton — l'un des fondateurs de Charlie-hebdo — s'est permis de critiquer, le 15 janvier, l'irresponsabilité revendiquée par Charb, assassiné le 7 janvier avec l’équipe du journal satirique. On s'étonnera moins encore de la critique du père Daniel-Ange envers une surenchère suicidaire qui est d'abord une violence faite à l'autre — certes seulement verbale ou de papier — mais non sans conséquences...
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Nous voilà bouleversés par ces victimes, endeuillés avec leurs familles, mais surtout atterrés par la régression de régions entières du globe dans la barbarie et la folie, érigées en système de domination (Da’ech, Al Qaïda, Boko Haram, Shebab, Talibans, AQPA, Al-nosra, et toutes leurs ramifications de la Mauritanie à l’Indonésie…). Notre gigantesque réaction populaire et internationale doit englober ces pays trop oubliés. Nos attentats nous rappellent brutalement que là-bas, c’est le… quotidien. Pas un seul jour ne passe (Liban compris), sans attentats, terrorisant des populations.
Mais pour la France, je me risque à poser une question politiquement taboue, car je revendique la liberté d’expression 1. Les odieuses caricatures du Prophète du Coran dans Charlie Hebdo, ne relèvent-elles pas aussi de la violence au moins morale ? Elles ont heurté des foules de croyants et pas seulement les extrémistes, mais nos frères musulmans modérés, bien insérés dans notre société. Combien en gardent une profonde amertume, qu’ils ne peuvent évidemment exprimer, sous peine d’être lynchés médiatiquement malgré la-dite liberté d’expression ?

Les chrétiens peuvent le comprendre, devant eux aussi subir en silence des blasphèmes dégueulasses de leur Seigneur et de sa Mère. Mgr Pierre Claverie, évêque d’Oran – martyr lui aussi de la liberté d’expression : « Nous devons subir silencieusement les absurdités de ceux qui dénigrent, déforment, ridiculisent nos convictions… Faudra-t-il se laisser égorger en silence ? Est-ce faire de la politique que de crier son désarroi devant la terreur ? »
On ne tourne pas en dérision de manière aussi vulgaire ce qu’il y a de plus sacré pour l’être humain. Et quoi de plus sacré au monde, de plus intime que la relation personnelle avec son Dieu ? Quand on peut se moquer agressivement d’une religion, on casse ce droit humain fondamental : la liberté de croire. Il y a déjà tant de personnes, de choses, de situations que l’on peut tourner en dérision, pourquoi en rajouter dans ce domaine sensible entre tous ? « La sacralisation de la dérision et de l’injure ne peut produire en retour que la haine. (…) Mais il faut extirper les causes de ces violences si l’on veut pour l’avenir s’épargner le chaos. À un journaliste qui m’interrogeait hier : « Monseigneur êtes-vous Charlie ? » j’ai répondu : « laissez-moi d’abord être moi-même, c’est-à-dire chrétien. » » (Mgr Rey,11 janv. 2015). Paradoxes : On ne cesse d’encourager à juste titre le dialogue interreligieux, mais en même temps, on laisse faire ces écœurantes attaques contre l’islam, sans avoir le courage de se faire leur voix pour exprimer leur, et donc notre désapprobation 2.

On veut heureusement protéger les musulmans ouverts et modérés contre toutes représailles et tout amalgame et on laisse faire ces agressions. Comment peut-on écrire : « le Coran c’est de la m… » quand on sait que pour 1 milliard deux cent millions de personnes, il est leur intouchable charte de vie ?

Je dis : non et non ! Respectez mon frère musulman ! On censure, heureusement, les satires antisémites, mais on laisse faire celles islamophobes et christianophobes (les dernières n’impliquant évidemment aucun risque, les chrétiens n’en n’étant plus au XIIe siècle !) Honnêtement, peut-on faire de l’argent en crachant sur les croyants ? En appelant à chier sur vos crèches comme vœux de Noël ?

On appelle à juste titre à la cohésion sociale, à la convivence nationale et l’on applaudit aux caricatures et slogans qui ne font qu’attiser la haine, exaspérer les tensions, pousser à la vengeance.

« Je dis à ceux qui sont détenteurs de la liberté d’expression : « Trempez deux fois votre encre dans l’encrier, pensez aux conséquences pour les autres, pour le pays ! » Il y a des moments dans l’histoire où il est essentiel de faire preuve de retenue. Il faut faire attention à ce que l’on dit et dessine, il en va de la vie humaine. 3 »

La liberté d’expression n’a-t-elle pas des limites comme la liberté tout court : (je ne puis tuer quand j’en ai envie). Elle en a déjà pour la diffamation. Des autorités chrétiennes ou musulmanes auraient-elles pu faire des procès en diffamation ?

En Allemagne, Autriche, Irlande, la loi interdit les atteintes au sacré. Élémentaire prudence !

Jésus Lui-même semble mettre un lien entre le meurtre et l’insulte : « On vous a dit : “tu ne tueras pas et si quelqu’un tue, il en répondra au tribunal“ Eh bien moi, je vous dis : “si quelqu’un dit à son frère raka (tête sans cervelle, crétin), il en répondra au Sanhédrin…“ (Mt 5,21). Oui, des paroles peuvent tuer ! « Le sacré exige révérence et respect. Faute de quoi, c’est le chaos. Nulle part, jamais, depuis qu’il y a des hommes, il n’a été licite de tout dire.  4
»

Comment les plus hautes autorités du pays osent-elles affirmer : la satire, le cynisme, les obscénités, font partie intégrante de notre culture ? Comment en même temps se gargariser d’être le pays des droits de l’homme et en même temps bafouer le premier de ces droits : le respect de la liberté religieuse ?
Peut-on dire que les auteurs ne mesuraient pas les risques pris et les conséquences redoutables ? La caricature danoise de 2005 a provoqué d’innocentes victimes par centaines au Proche et Moyen-Orient 5.

Charlie Hebdo avait déjà été incendié et recevait menaces sur menaces. N’était-ce pas de l’inconscience, pire : de l’arrogance, de continuer, de renchérir, sachant bien que les extrémistes passeraient un jour ou l’autre à l’acte, comme ils le font habituellement ailleurs ?

Et même si les auteurs avaient le courage d’être martyrs de la liberté d’expression — ce que certains peuvent admirer — a-t-on pour autant le droit d’aller au-devant du martyre ? — Ils auraient dû prévoir qu’en cas d’attentat bien prévisible, il y aurait des dégâts collatéraux colossaux, c’est-à-dire d’autres victimes innocentes chez nous et dans l’ensemble du Proche-Orient. Oui, qui dira le nombre d’innocentes victimes — par représailles — de nos manques de respect dans tous ces pays d’Afrique, du Proche et Moyen-Orient 6

Je parie que la majorité des personnes, prenant Charlie pour identité (« je suis »), n’ont jamais vu ses écœurantes caricatures, ces slogans inadmissibles heureusement interdits de reproduction dans d’autres pays.

C’est ce genre de violence verbale et visuelle, comme les aberrations de notre culture de mort, notre immoralisme virant à l’extrémisme qui provoque l’extrémisme islamique. Tu ne titilles pas un ours en train de t’agresser 7.

Je conclus : par simple respect de nos frères musulmans parmi nous, par pitié pour nos frères chrétiens au Proche Orient et en Afrique — qui sont chaque fois les premières victimes des sanglantes représailles —, je vous en supplie, cessez vos agressions ! Pour ne pas avoir du sang innocent sur les mains.

Ayez l’humilité de demander pardon à tous ceux qui en ont été blessés dans leur âme profonde.

Ayez un minimum de respect pour ce qui nous est plus cher que nos propres vies, celui que nous aimons le plus : le Seigneur Jésus pour les chrétiens, le Prophète pour les musulmans. Abraham et Moïse pour les Juifs.

Que l’admirable sursaut populaire ne soit pas anéanti par des récidives relevant de l’inconscience, sinon de l’arrogance. Au nom de beaucoup, je vous en supplie : n’attisez plus la haine, ne provoquez pas la vengeance ! N’engendrez pas la violence ! Servez la paix, la cohésion, la convivialité dans notre peuple et dans le monde !

On ne rigole pas au prix du sang des innocents au Proche Orient. Avec la vie des chrétiens, on ne joue pas ; sur leur corps, on ne danse pas.

  1. Question amusante car il est bon de rire : si l’attentat avait visé le journal La Croix, ou si Notre-Dame ou Montmartre avaient été plastiqués, aurait-on vu fleurir par millions des « Je suis la Croix, Je suis Notre Dame, Je suis Sacré-Cœur » ?
  2. En février 2006, le Conseil musulman de France avait demandé la saisie du n° de Charlie Hebdo du 8 février. Demande déboutée.
  3. Jean Delumeau, « Nous nous trouvons devant une régression de civilisation », Le Point, 10 janv. 2015.
  4. Jacques-Alain Miller, « Le retour du blasphème », Le Point, 10 janv. 2015.
  5. D’ailleurs, la revue danoise Jyllands-Posten refuse de récidiver : « La vérité, c’est que pour nous, il serait complètement irresponsable de publier d’anciennes ou de nouvelles caricatures du prophète maintenant. »
  6. Parmi les victimes tuées suite à la caricature danoise, il faut mentionner le père Andrea Santoro, assassiné au cri de « Allah Abkar ».?
  7. Des jeunes dans nos écoles, ont eu le courage de dire, à contre-courant, ce que leur bon sens juvénile leur inspirait : « Même si ça ne justifie pas de tuer des gens, ils n’avaient pas à faire ces dessins. Je sais qu’ils s’attaquaient à toutes les religions, mais les musulmans étaient particulièrement touchés. » « Je n’ai pas fait la minute de silence. Il ne fallait pas se moquer ». « Je l’ai fait pour ceux qui ont été tués, mais pas pour Charlie. Le mec qui a dessiné, je n’ai aucune pitié pour lui. Il a zéro respect pour nous, les musulmans. » « On ne va pas se laisser insulter par un dessin du Prophète. »  Évidemment, c’est excessif, mais ces jeunes n’ont-ils pas aussi le droit à la liberté d’expression ? » (La Croix).