Prendre Virgile pour guide - France Catholique
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Prendre Virgile pour guide

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Récemment dans une interview à la radio on m’a demandé à propos de mes livres pour enfants : « Qu’est-ce qui, concernant le monde que vous avez créé dans les livres, est précisément catholique ». J’avais seulement donné de mes séries un bref argumentaire, expliquant que mon Royaume de Patria avait été fondé par des réfugiés de la Guerre de Troie, il y a quelque 3000 ans et qu’il existait encore, grâce à un traité tout à fait inhabituel avec les Etats-Unis, dans l’Indiana d’aujourd’hui.

Puisque rien dans la synopsis ne suggérait quoi que ce soit de particulièrement catholique, mon interviewer renouvela sa question : mais qu’est-ce qui était catholique dans mes livres ? Ma réponse fut que les livres sont rattachés à la tradition catholique dans un sens littéraire. Exactement comme Dante, dans la Divine Comédie, prend pour guide le poète païen Virgile, moi, dans mes histoires d’enfants – très modestement – je prends Virgile comme guide.

Par exemple, en écrivant le premier livre, je me suis souvenu que Virgile imagine que Rome a été fondée par Enée et d’autres réfugiés troyens. J’ai pensé : « C’est quelque chose que je peux voler – en faire un usage inventif. Le royaume dans les histoires aura un pedigree troyen similaire. L’Empire Romain n’est rien à côté de Patria. »

Comme j’expliquais tout cela à mon interviewer, j’ai senti que ce n’était peut-être pas tout à fait la réponse qu’il attendait, ou désirait. Peut-être avez-vous le même sentiment. Avoir une dette littéraire amusante à l’égard d’un poète païen n’est pas le genre de connexion catholique que la plupart des catholiques attendent quand ils jugent un auteur catholique.

Maintenant je pouvais continuer, comme j’ai effectivement tenté de le faire avant d’être englouti par la musique marquant la pause, à expliquer que dans Patria il y a un monastère de moines irlandais qui ont trouvé leur chemin vers le Nouveau Monde au 5e siècle après Jésus-Christ (jouant sur la légende du Voyage de Saint Brendan). J’ai pu aussi fièrement déclarer que j’avais toujours imaginé Patria comme un royaume catholique bien que ce ne soit pas quelque chose que je puisse faire apparaître ou dire explicitement dans les livres.

Mais pour être tout à fait honnête je suis heureux de ne pas avoir mentionné ces choses. Car je pense qu’il est important de reconnaître qu’un des moyens principaux pour une œuvre d’art ou une œuvre littéraire de payer sa dette à la tradition catholique est d’honorer les éléments non catholiques et même non chrétiens de l’héritage catholique.

Une question voisine s’est posée récemment en parlant avec mon fils des réunions mensuelles auxquelles il se rend pour visionner des films sur les saints. Bien que la motivation spirituelle en soit sans aucun doute admirable, ce que mon fils et ses amis en sont venus à conclure, c’est que la plupart des films sur les saints sont fort mauvais.

Il m’est apparu qu’il vaudrait mieux pour mon fils et ses amis passer un soir par mois à regarder un grand film, en relation ou non avec les saints, que regarder un mauvais film sur les saints. Un grand film sur quelque sujet que ce soit élève toujours moralement l’âme, parce que la Beauté en elle-même est transcendante – fait partie du Bien. Un mauvais film sur un saint cependant a un effet déprimant que ne compense pas les bonnes intentions des réalisateurs. Cela rend notre foi sentimentale ou incompétente.
En parlant avec mon fils aussi bien que lors de l’interview à la radio, je me suis rendu compte de l’inquiétante dépréciation chez mes coreligionnaires catholiques de l’ordre naturel en ce qui concerne les arts, que cet ordre soit représenté par le chef d’œuvre d’un poète païen ou les exigences d’un professionnel du cinéma. Le grand philosophe catholique Jacques Maritain analysant les éléments de l’art a donné un argument similaire pour ce qu’il a appelé recta ratio factibilium (à peu près : «  le bon moyen de faire les choses »)

Une œuvre d’art, en d’autres termes, ne peut avoir de la valeur pour nous en tant que catholiques simplement parce qu’elle emploie explicitement une intrigue ou une imagerie catholique. En tant que gens qui révèrent la voie par laquelle la grâce complète, et ne détruit pas, la nature, nous devrions être préparés à critiquer les œuvres d’art qui, bien intentionnées, échouent à réaliser les exigences de leur domaine.

De semblable façon nous devrions être prêts à célébrer les voies dans lesquelles les artistes catholiques à travers les âges ont été inspirés par les artistes non catholiques ou non chrétiens qui ont eu l’intuition du Beau par la lumière naturelle de la raison. Comme l’a dit le Dr Johnson parlant de la popularité durable de Shakespeare : « Rien ne peut plaire au grand nombre, ou plaire longtemps, sinon les justes représentations de la nature générale »
Je crains que les habitudes critiques des catholiques ne s’atrophient et que peut-être nous perdions toute la capacité de voir la valeur des œuvres d’art, même celles qui sont l’œuvre de catholiques mais qui ne portent pas leur catholicisme en écharpe. Combien de gens aujourd’hui par exemple peuvent lire Vile Bodies [« Corps vils »] d’Evelyn Waugh et reconnaître que, bien que de manière évidente, il ne soit un « roman catholique », il est néanmoins profondément catholique – dans le sens qu’il est adapté aux absurdités d’une vie vécue hors des limites de la raison naturelle.

Les catholiques devraient refuser de s’intéresser à autre chose qu’à l’excellence dans l’art. Bien sûr notre voyage vers le Beau ne peut être achevé que par l’action de la grâce et sous la direction de guides d’un ordre surnaturel. Mais ce ne devrait pas nous entraîner à mépriser les secours que nous recevons de la nature, et de ces guides qui, comme le Virgile de Dante, sont capables de nous conduire vers des hauteurs que, bien que limitées, même les saints admirent.

17 janvier 2015

Source : « Virgil as a Guide ».

Illustration : « Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l’enfer » par Gustave Doré (1861)

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Daniel McInerny est philosophe et auteur de fictions pour enfants et d’adultes. Vous pouvez trouver davantage d’informations sur lui et sur son œuvre sur danielmacinerny.com