Parlons bibliothèques - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Parlons bibliothèques

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Artemis Kirk est bibliothécaire universitaire à l’université de Georgetown. « Les gens croient parfois que les bibliothèques ne font qu’un travail d’information » m’a-t-elle récemment écrit. « Mais notre véritable objectif est d’aider à la création, à la critique et à la sauvegarde de la culture passée en vue de prévoir le futur. Selon moi, il y a une grande différence entre l’information, l’éducation, le savoir et la sagesse. Espérons que nous serons assez chanceux pour acquérir au moins une once de sagesse durant notre vie. »

Thomas d’Aquin a un jour écrit : « Sapientis est ordinare. » Le devoir de l’homme sage est de mettre de l’ordre. La sagesse est la connaissance des choses dans leurs causes, y compris la prise de conscience que la cause première n’a nécessairement pas de cause.

Les bibliothèques peuvent êtres classées en plusieurs catégories : les publiques, les privées, les personnelles. Dites-moi quels livres occupent les rayonnages de votre bibliothèque, je vous dirais qui vous êtes. Jadis, une bibliothèque signifiait une place réservée pour des livres et des textes imprimés. De nos jours, de petits dispositifs électroniques contiennent sans peine l’équivalent d’une bibliothèque de belle taille. De fait, presque tous les livres de quelque catégorie que ce soit sont également disponibles sous forme électronique.

Les livres pèsent lourd ; leur version électronique est légère. Avec un petit appareil et un minimum de compétence, n’importe qui peut accéder à quasiment toutes les bibliothèques du monde. Tout le savoir de l’humanité est à portée de clic. Mais c’est seulement de « l’information » si je n’ai aucune idée de comment l’ordonner : ce qui est important, ce qui est sans intérêt, ou même ce qui est corrupteur. Une information réduite est une chose dangereuse. De même une information pléthorique. Mais l’information en tant que telle est une bonne chose.

Quelle différence cela fait-il d’entendre dire quelque chose, de le lire dans un livre ou de le trouver en ligne dans une autre langue ? Quand je réfléchis aux bibliothèques, je pense à l’archevêque de Mossoul, en Irak. Ses églises, bâtiments, bibliothèques, monastères et paroissiens ont été détruits par l’Etat Islamique au nom d’Allah. Comme les bibliothèques semblent fragiles tout à coup !

Les barbares ont été autrefois décrits comme ceux qui ne connaissaient rien aux livres qu’ils détruisaient. Nous avons maintenant des hommes qui savent ce que sont les livres. C’est pour cela qu’ils les détruisent. L’idée même que des livres, même les plus infects d’entre eux, devraient être conservés est elle-même un produit de la civilisation qui présuppose l’existence d’une raison à l’origine des livres.

Une bibliothèque, selon les mots d’Artemis Kirk, existe pour « seconder » la culture. Les seize millions d’ouvrages de la Bibliothèque du Congrès, sont entreposés là à attendre. Les livres ne sont que des objets physiques. En tant que tels, ils ne « savent » rien. Il faut un esprit pour les relier entre eux. Il faut un esprit pour les déchiffrer. Le savoir n’existe que lorsque quelqu’un connaît réellement quelque chose. Techniquement, ni les livres ni les idées n’existent indépendamment des esprits.

Universités, écoles, gouvernements, entreprises, églises et institutions ont des bibliothèques. De nos jours, les bibliothèques sont fréquentées par des gens qui ne regardent pas des livres mais un écran d’ordinateur. De fait, il est souvent plus rapide de trouver un texte de Platon en ligne que dans une bibliothèque. Les bibliothèques peuvent sembler être des entrepôts pour des livres délaissés.

Apprend-on plus en écoutant la question de Socrate à un sophiste ou en lisant le dialogue de Platon dans lequel la même rencontre est mise en scène ? Encore une fois, les bibliothèques existent pour nous « seconder ». Toute bibliothèque digne de ce nom préserve infiniment plus d’information qu’il n’est possible de comprendre au cours d’une vie humaine. Nous sommes chanceux si nous connaissons ne serait-ce qu’une discipline raisonnablement bien. Personne ne peut connaître dix discipline, hormis, ainsi que le laisse entendre Aristote, un groupe de dix amis.

Le passage le plus sobre, et portant réconfortant sur les livres, et par là sur les bibliothèques qui les contiennent et les classent, se trouve à la fin de l’Evangile de Jean : « il y a beaucoup d’autres choses que Jésus a faites, mais s’il fallait les décrire une par une, je ne crois pas que le monde dans sa totalité pourrait contenir les livres qu’il faudrait écrire. »

Le point important de ce passage mémorable, c’est que « le monde dans sa totalité » a son origine dans une Parole vivante. Notre destinée ultime n’est pas de lire un livre, quand bien même il serait écrit par Jean ou Platon, mais de connaître face à face ceux qui les ont écrit et ceux dont ils parlent. Pourtant, les livres accumulés dans toutes les bibliothèques, passées et présentes, rassemblés par l’humanité, représentent une noble entreprise, l’œuvre de l’homme et un reflet de l’univers.

La raison pour laquelle nous pouvons être satisfaits d’avoir « une parcelle de sagesse » n’est pas que nous ne désirons pas tout savoir. C’est la prise de conscience reconnaissante qu’aucun de nous n’est un dieu. Il n’y a pas d’indication dans le christianisme que la sagesse qui n’est pas contenue dans tous les livres non écrits dont parle Jean ne sera pas nôtre un jour.

Ce que contiennent les bibliothèques de ce monde, ce sont les archives, ou peu s’en faut, de notre espèce, car elles expliquent pourquoi chaque être humain n’est pas satisfait tant qu’il ne sait pas tout. Son problème immédiat est que, pour paraphraser Platon et Saint Augustin, il sait que pour le moment il ne réside pas dans la Bibliothèque de la Cité Mythique, la Cité de Dieu Lui-même.


James V. Schall, qui a été professeur à l’université de Georgetown durant 35 ans, est l’un des auteurs catholiques les plus prolifiques en Amérique.


Illustration : rayonnages de la bibliothèque de l’université de Georgetown, par Jack Boucher en 1969

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Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/08/30/on-libraries/