Par où commencer ? - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Par où commencer ?

Traduit par Pierre

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Selon ma propre expérience — mon unique expérience — il n’est guère facile d’expliquer les croyances catholiques. Et, d’année en année, c’est pour moi de plus en plus difficile.

Mon expérience n’approche pas celle des premiers chrétiens qui évangélisaient le vieux monde païen, malgré mes lectures à leur sujet et mes recherches chez les Pères de l’Église. On pourrait presque dire qu’ils avaient alors la tâche bien plus aisée. Le monde grec et romain avait à un degré remarquablement élevé une faculté de raisonner, et d’être raisonnable. Nombre de ses attitudes étaient incompatibles avec les attitudes promues par les chrétiens, mais il avait l’habitude d’écouter les raisonnements.

La notion du Christ leur donnait le tournis. Je ne parle pas de la personne du Christ, mais de « l’idée » qu’on pouvait se faire de Lui. Les classes instruites étaient instinctivement monothéistes comme on peut le relever au fil des lectures. Dieu pouvait-Il, en principe, envoyer un messager humain ?
Très plausible. Ils pouvaient cultiver cette idée.

Mais alors, pourquoi envoyer ce « Christus » dans un trou perdu de province ? Pourquoi pas directement à Rome, avec au programme : « Prenez-moi pour guide » ? C’est ce qui se fait pour traiter des affaires sérieuses.

Au lieu de quoi Il envoya un messager les diviser par des paradoxes ; un messager semblant indifférent à la politique ; s’exprimant en paraboles ; se mêlant à la plèbe ; capable de proférer des menaces de damnation sans moyens visibles de les mettre en œuvre. La réponse était souvent : «Non ! Sans blague !»

Car il arriva sans la moindre armée d’anges. Un fils de Dieu n’atterrirait pas comme un bébé tout nu dans la pouilleuse Bethleem. Ce serait plutôt le rôle d’un semeur de trouble.

On Le leur présentait comme un avatar ou une incarnation de la plus haute Divinité, et Il peut bien — ou non — avoir fait quelques petits miracles. Il était mort et, selon ses adeptes, ressuscité. Mais le soleil continuait à se lever à l’Est.

Un Romain instruit aurait pu penser : «Très bien j’ai déjà entendu ce genre d’histoires. Mais il faudra attendre pour retenir mon attention. Si Dieu voulait que le monde entier se convertisse à ce nouveau culte plutôt bizarre, pourquoi tant de subtilité ?»

Et s’il y avait tant de subtilité, que pourraient les Chrétiens proposer comme objections à la manière dont le monde est organisé, selon les coutumes et règles confirmées par l’État ? Ils pourraient célébrer leur religion en privé, à condition de payer leurs impôts et de se prosterner devant les statues appropriées. Pourquoi se compliquaient-ils la vie ?

Homosexualité, avortement et infanticide, orgies sexuelles, divorce sans motif, combats de gladiateurs, prêtresses, jeux publics, travaux publics, conscription et autres — le vieux monde païen et notre monde actuel néo-païen avaient bien des points communs. Les premiers chrétiens se reconnaissaient à leur « contre-culture » ou à leur choix « pro-vie ». Mais pour un citoyen romain de bon niveau, de quoi se mêlaient les chrétiens à propos du mode de vie des gens ? Ils vivaient hors du monde, ce n’était pas leur affaire.

Et s’ils étaient tant « pro-vie », pourquoi étaient-ils autant décidés à subir le martyre ? Le sollicitant plus que tout, lorsque leurs accusateurs leur proposaient une issue. Visiblement, il s’agissait de fanatiques, plutôt dérangés. Laissons-les à leurs excentricités, et leur culte disparaîtra bientôt.

Pourquoi donc, puisqu’ils semblaient soutenir que ce Dieu/Homme était une espèce de Juif, les Juifs ne L’acceptaient-ils pas ? Après tout, il y avait (alors) bien plus de juifs que de chrétiens de par le monde, et assez de soucis ainsi. Les juifs ne devaient-ils pas résoudre entre eux leurs chamailleries, et s’occuper de leurs fanatiques « autochtones » ?

Cependant, le monde était ainsi fait que la pensée puisse être universelle — Platon et Aristote, Lucrèce, Cicéron, Virgile… à Athènes, Alexandrie et Rome. Il était ouvert à toute « grande idée ». Il était déjà habité par un « Esprit Universel » — le sentiment qu’une chose mène à une autre, et que toutes doivent être cohérentes. Le monde avait reconnu un « élan inamovible » et, sans le savoir encore, il accueillerait le Christ.

Comment l’ai-je reconnu ? Réponse bien franche : par touches successives, puis tout d’un coup en entier. Le « message » qui semble d’abord irrationnel et trop chargé de paradoxes pour être saisi commence à émerger. Peu à peu il devient irréfutable. Ceci, et donc celà, puis celà et par conséquent ceci, et, en définitive, la splendide expression du Cardinal Sarah : « Dieu ou rien ».

Ce fut une autre affaire, à l’Est de la Grèce et de Rome, quand la Chrétienté s’engagea sur de longues distances, mais souvent déviée ou noyée. La Chrétienté atterrit là dans un environnement dont on peut dire qu’il n’était pas mûr pour l’accueillir. Les avancées étaient souvent plus spectaculaires, mais l’enracinement était terriblement fragile. En bien des endroits, elle atterrit, puis se noya, ne laissant flotter que quelques traces.

Un exemple : l’Éthiopie ; c’était un immense radeau. Séparée du reste de la Chrétienté par le monde arabe, la religion put s’épanouir sur les hauts et inaccessibles plateaux d’Abyssinie. Dix-Sept siècles plus tard, on les découvrit pratiquant toujours une vie Chrétienne sacramentale, avec les autels, les Saints, la liturgie ; et avec un art poétique et musical chrétien d’une puissance extraordinaire.

Les Arméniens et les Géorgiens eux aussi réussirent à se tenir hors de l’eau ; de même, les Coptes et les Assyriens, dans des conditions d’environnement éprouvantes ; et on trouve des traces des premiers siècles en Inde et en Chine. C’étaient des réussites héroïques survivant éternellement devant Dieu.

Cependant, dans l’ensemble, le paradoxe de l’Église naissante fut son épanouissement plus marqué dans le monde occidental que dans l’Orient « mystique ».

Mais est-ce vraiment un paradoxe ? Il est plus facile de faire des fondations puis de bâtir dessus, sur un sol ferme. La Chrétienté a fait avancer la raison ; et la raison a fait avancer la Chrétienté.

Notre monde actuel n’est pas la Grèce ni la Rome antiques. Il ressemble davantage à l’Orient antique : un marécage où la raison ne trouve guère sa place. Pour évangéliser, nous devons éviter les sauts. Nous ne devons pas prendre en compte les principes communs à tous les hommes de sagesse et de raison. Il nous faut commencer par les toutes premières bases.

22 juillet 2016

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/07/22/where-does-one-start/

Illustration : Capriccio de ruines Romaines, par Marco Ricci, vers 1720.
National Gallery of Art, Washington.