Owen Chadwick - France Catholique
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Owen Chadwick

traduit par Alice Y.

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Je recommanderais à tous l’étude d’Owen Chadwick « The Secularization of the European Mind in the Nineteenth Century » (La sécularisation des esprits en Europe au cours du XIXème siècle) [pas encore traduit en français]. Ces Conférences de Gifford [regroupant une série de conférences selon la volonté testamentaire d’Adam Gifford] furent publiées en 1975. Je m’en souviens encore comme d’hier. J’étais dans une période où je perdais foi en l’athéisme et, mettant le cap vers le christianisme, j’ai d’abord touché terre en son Église Anglicane.

L’ouvrage est un récit concis, merveilleusement équilibré, à propos d’une première dans l’histoire de l’humanité. Cet équilibre est maintenu entre histoire sociale et histoire intellectuelle. Ce concept selon lequel « les idées ont des conséquences » est acceptable en tant que cliché moderne et subtil afin de se donner bonne conscience. Chadwick montre aussi que « les conséquences portent des idées ». Avec le passage à l’innovation industrielle, l’homme du XIXème siècle devenait aliéné par la nature et la société conformiste. Le nouveau « séculier » athéiste et évolutionnaire, quasi-religieux, pourrait bien lui aussi être considéré comme un produit dérivé. Idées et conséquences étaient à prendre comme un tout.

Chadwick, décédé la semaine dernière à l’âge de 99 ans, était considéré comme l’intellectuel le plus formidable de l’Église Anglicane. Il fut professeur à l’université de Selwyn, vice-chancelier à Cambridge, professeur Regius d’histoire moderne et une fois même star de rugby.
C’était un historien du christianisme nullement limité à l’histoire des paroisses. Il embrassait « l’histoire de la culture » presque de la même manière qu’un Christopher Dawson.

Les catholiques romains se souviennent peut être de lui lorsqu’il a pris la défense de la réputation de Pie XII, durant la controverse « pape Hitlerien » de la dernière décennie. Il rassemblait des preuves, principalement provenant des archives diplomatiques anglaises, afin de montrer que les acusations étaient absurdes. Il fournissait un contexte historique plutôt que d’expliquer le « silence » sélectif du pape. Sa maitrise d’analyse était très utile pour démonter certains mensonges pernicieux. Il établissait une chronologie exacte à travers de sombres évènements historiques.

Chadwick m’impressionnait par sa réserve dans la controverse. Calmement, il pourchassait la vérité au nom de la vaste complexité humaine. Son principal intérêt était notre monde moderne, et comment cela se fait qu’il soit ainsi, toujours à la lumière d’une meilleure compréhension de l’histoire. Il écrivait de façon objective des sujets troublés par la passion, et toujours avec sang-froid.

En tant qu’homme qui s’occupe d’affaires pratiques, il était doté d’incommensurables qualités sacerdotales. Dans son université et dans son église, il avait un don pour voir les gens à travers les situations ; encore et encore il trouvait les solutions à des conflits impossibles, où il défendait la minorité. Cela avait tout à fait à voir avec son talent de précision et de qualité verbale.

Dans une des nécrologies anglaises était écrit que Chadwick remplissait par des remarques presque toutes les fiches des étudiants de Selwyn à l’époque où il y travaillait, toujours de manière concise, mais aussi charitable et significative. Cela m’a rappelé ce que j’ai pu admirer à l’époque où l’Église d’Angleterre était à sa meilleur période : des hommes animés par un sens des responsabilités publiques, dans toutes les dimensions de leur caractère.

L’Eglise d’Angleterre fut « fondée » en Angleterres mais aussi en arrière-plan. Chadwick fut parmi les derniers à lutter pour que cela reste ainsi, alors que les gouvernements allaient et venaient — non parce que la séparation aurait été constitutionnellement inconvenante, mais parce que maintenir un lien avec le gouvernement était utile. Chadwick était peut être le dernier à pouvoir expliquer cette position. Ensuite est apparue une campagne pour permettre à l’Église Anglicane d’être le plus indépendante possible des perturbations parlementaires dans ses décisions et ses projets.

Les catholiques étaient nombreux à pouvoir expliquer la position de l’Église dans la société, alors que désormais ils sont rares. Ils sont même presque en voie d’extinction. Nous discutons de la relation « Église – État » dans des termes qui seraient incompréhensibles pour des hommes d’antan, lorsque la religion chrétienne était prise vraiment au sérieux, et que ses positions institutionnelles comme gardienne de la morale et de la spiritualité n’avaient pas encore été usurpées par l’État et les politiciens.

Les évêques avaient une grande importance : ils portaient le poids des responsabilités publiques, un poids qu’ils n’avaient d’autre choix que de le porter. Je m’aperçois que même depuis Rome, nous tenons un langage épiscopal avec des mots volés. C’est comme le reflet des médias, libres de fulminer car ils pensent rarement être obéis.

Chadwick a accidentellement décliné les offres, une par une, d’un évêché Anglican. Peut être préférait-il en rester au domaine qu’il pouvait “maitriser”.
Sa dernière grande œuvre, « From Bossuet to Newman: Idea of Doctrinal Development » (De Bossuet à Newman: Idées de développement doctrinal)(1958) vaut aujourd’hui toujours le détour. En son cœur, il libère Newman des accusations portées par des critiques de sa vision des prémisses libérales. La réserve très anglicane de Chadwick le laissa libre de décrire Newman de l’extérieur :

« De la fenêtre de son sanctuaire à Oriel, à Littlemore, et de l’oratoire, il regardait ce monde et il y voyait la révolution, l’avarice, la dégradation morale, la spéculation athée , et sacrilège, était persuadé que Saint Augustin avait raison à penser que chaque Royaume du monde avait été fondé sur le vol. Personne n’a moins succombé à l’idolâtrie de la découverte matérielle ou à l’enchantement des recherches scientifiques scolaires. Il croyait autant au progrès religieux qu’au progrès séculier, c’est-à dire pas du tout.  »

Mais l’expérience personnelle de Chadwick et sa virtuosité en tant qu’historien ont aussi trouvé en la doctrine de Newman un développement doctrinal. Une dimension non partagée par tout le monde. Il luttait pour que Newman puisse défendre la position catholique que le dépôt de la foi avait conclue avec la mort du dernier apôtre, d’une façon neuve et plutôt historique. Il pouvait tenir face à certaines critiques qui nous paraissent désormais archaïques et datées. Sa vision est plus en accord avec les faits historiques que nous connaissons aujourd’hui que la leur.

Autrement dit, le « progrès » est une pure invention de la modernité. Son intention de vouloir lire à l’envers l’histoire devait nécessairement échouer. Je remercie moi-même Chadwick de m’avoir appris cet utile (paradoxalement moderne) vérité Catholique : il m’a aidé à me libérer du « pur conservatisme ».
Même si j’ai pu parfois être repoussé par un écrivain qui semblait croire un peu au progrès. Il n’était pas réactionnaire, et il jouait un rôle direct dans l’évolution, par exemple dans celle de l’Université de Selwyn qui sous sa garde accepta les hommes, puis les femmes de foi différentes ou même sans foi du tout.

– 24 juillet 2015.

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/07/24/owen-chadwick/

Photo : Le révérend Owen Chadwick.