Une critique habituelle de mes épanchements, durant les années où j’étais considéré comme un expert journalistique, était que j’étais une sorte de « néo-conservateur », qui se souciait plus de réduire les effectifs de l’Etat Providence que de quoi que ce soit d’autre, qui aurais laissé les pauvres tirer la langue et traîné les malades au bord de la rivière avant de les achever d’un coup de fusil. On insinuait même que j’aurais été complètement indifférent aux conséquences environnementales en aval du déversement des corps dans la rivière.
Bon , quelquefois la critique était un peu plus subtile, mais pas tant que cela.
Perversement, quiconque propose que nous devrions — surtout les catholiques — nous occuper nous-mêmes de nos voisins plutôt qu’en laisser le soin à l’Etat peut se voir retourner le compliment. La gauche athée a endoctriné avec succès une large part de la population, la persuadant du bien-fondé de la revendication de l’Etat non seulement du monopole de la force, mais aussi de la vertu et de la bienfaisance. Il en résulte que tout bienfaiteur privé se trouve suspecté de marcher sur les plates-bandes de l’Etat.
Et l’Etat a des lois pour imposer ses monopoles. Il m’a frappé qu’à peu près tout ce que Mère Térésa a réalisé dans les rues de Calcutta serait illégal si entrepris dans les rues d’Amérique, et que le réconfort apporté aux mourants par ses religieuses pourrait être poursuivi comme exercice illégal de la médecine.
Et même, une étude récemment publiée ici au Canada soutient que Mère Térésa n’était pas une sainte. Son habitude de « glorifier la souffrance humaine » est en conflit avec les procédures cliniques modernes, son souci de la dépense est considéré comme une pingrerie aux dépens des pauvres et les bavassages du vieux Christopher Hitchens sur son caractère sont diffusés à tous les échos. Mère Térésa est également épinglée pour « ses vues excessivement dogmatiques » sur l’avortement, la contraception et le divorce.
Cette étude, bien que conçue pour une publication dans le journal Sciences Religieuses, a été réalisée par des assitants des départements d’éducation et de psycho-blabla des universités de Montreal et d’Ottawa, et d’après ce que je peux voir, elle incarne une vision complètement débile du catholicisme.
Voilà où se trouve notre problème de communication. Les services sociaux séculiers modernes et l’enseignement de l’Eglise se trouvent à l’opposé l’un de l’autre. L’Etat a envahi le domaine exact où opéraient l’Eglise, la famille élargie et la communauté chrétienne, et a au cours du siècle passé bousculé l’organisation traditionnelle, construisant une immense bureaucratie gaspilleuse pour dispenser les services sociaux, avec un résultat manifestement raté.
Quand je dis « manifestement raté », je vole dans les plumes des encenseurs de l’Etat, qui ne reconnaissent pas la misère morale de la vie américaine contemporaine, n’ayant pas de points de comparaison, ni de sens historique de la dégénérescence de la vie familiale ses dernières décennies. Les conditions de vie des gens sont pour eux seulement des « options » et la pauvreté est mesurée selon des méthodes statistiques arbitraires controlées par l’Etat.
Et maintenant que l’Etat a le monopole, qu’arrive-t-il ? Supprimez les services fournis par la bureaucratie, et il y aura effectivement une terrible souffrance. Cela parce que l’organisation naturelle qui autrefois prenait soin des pauvres des malades, des vieux, des handicapés a été balayée et que la population a été considérablement déchristianisée et sa tendance à la charité tarie par les impôts excessifs. Les pauvres périraient, les malades ne seraient pas soignés, les vieux seraient abandonnés en cas de défaillance de l’Etat-Providence suite à un crash financier.
Faute de précédent historique, nul ne peut prédire combien de temps cela prendrait pour rétablir l’organisation naturelle. Cela finirait par arriver, cela va sans dire, car des organisations complexes de protection sociale se sont créées et développées dans toutes les sociétés, chrétiennes ou non. L’Etat n’y était pas nécessaire, tant qu’il ne s’est pas rendu nécessaire par ses interventions.
Actuellement, nous avons oublié les arguments avancés durant les décennies précédentes contre l’extension des services sociaux, alors que les conséquences étaient prévues. L’argument de danger moral était évident – une pension de vieillesse, même modeste, décourage les gens d’être prévoyant et de prendre des dispositions, toute forme d’assurance publique va nécessairement promouvoir le type de comportement pour lequel elle étend « le filet social de sécurité ».
Ces arguments ont été opposés immédiatement, parce qu’ils sont absolument évidents. Mais d’autres arguments plus subtils ont été ignorés, comme la façon dont l’Eglise , la famille, la communauté ont été minées. C’est précisément parce qu’elles avaient à faire face aux réalités de la vie humaine et tenir bon contre les malheurs que les organisations naturelles ont acquis de la force. Les fondements même de la société humaine ont été démantelés et remplacés par des « théories ».
Les catholiques bien informés n’ont en rien oublié que chaque grande institution désormais soit soumise à la réglementation détaillée soit devenue propriété de l’Etat a été créée par l’Eglise. Cela inclut les hôpitaux en tous genres, les logements pour les pauvres et tout type de sollicitude envers les nécessiteux de toutes croyances, la prévention sanitaire et l’assistance sociale à tous les niveaux, et même des écoles et des universités.
Toutes ces choses sont une part de l’héritage médiéval, elles remontent à plusieurs siècles avant que ne naissent les prémices de l’Etat moderne. Parler comme si l’Etat avait inventé ces choses ou en était le gérant naturel est mensonger.
De même, les catholiques bien informés n’ont aucunement oublié l’ampleur et la portée de ces infrastructures catholiques jusqu’à une époque très récente, autant dire avant-hier à l’échelle de l’histoire. Et d’ailleurs, partout dans le monde occidental, l’infrastructure encore en place a été construite presqu’entièrement par les protestants sur le modèle catholique, poussés, consciemment ou inconsciemment, par la même Ecriture et la même Tradition.
Aucun argument valable n’a été présenté pour justifier cette destruction. Le travail a été fait progressivement et est devenu irréversible une fois que le principe de la responsabilité de l’Etat a été établi.
La question à poser à l’avocat de ce que je persiste à appeler l’Etat Nounou est celle-ci : « Admettez-vous ce postulat ? » Si oui, il n’y a plus à argumenter derrière. Il peut continuer faussement à me qualifier de néo-conservateur. Mon opinion est l’opinion catholique traditionnelle, à laquelle il est opposé.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/neo-conservative-moi.html
David Warren est un ancien rédacteur du magazine Idler et ancien chroniqueur de Ottawa Citizen. Il a une connaissance étendue du Proche et du Moyen Orient.