Mysterium iniquitatis - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Mysterium iniquitatis

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Cette semaine l’enquête sur le crash de l’avion de Germanwings 9525 a pris un tour inattendu. Si elle prouve que le co-pilote a délibérément dirigé l’avion contre la paroi de la montagne, comme cela semble de plus en plus évident, nous aurons une horreur ajoutée à une horreur : un homme apparemment ordinaire qui, avec un haut niveau de professionnalisme et de sang-froid, utilise une des grandes merveilles techniques modernes pour se tuer lui et 150 personnes, hurlant tout au long de la descente, et qu’il ne connaissait même pas.

Une analyse psychologique va s’ensuivre — pour autant qu’on puisse en faire une, spécialement dans des cas comme celui-ci qui font apparaître comme un modèle de raison l’action d’un djihadiste exécutant une fatwa. Une psychologie, d’espèce grossière et étroite, est tout ce que nous pouvons nous permettre en « enquêtant » sur un tel mal et sur ses effets. Même avant que l’appareil enregistreur du cockpit ait été examiné, des conseillers psychologiques avaient été délégués pour aider les familles des victimes. Des équipes de secours – mais aussi beaucoup de journalistes et de politiciens – étaient partout sur les lieux de l’accident.

Le clergé était absent, étant personae non gratae dans de telles occasions, bien qu’on soit frappé de voir combien les monuments spontanés qu’ont élevés dans plusieurs pays les amis et collègues des morts ressemblent aux rangées de cierges et de fleurs que l’on voit dans l’église catholique devant une image d’un saint — sans le saint — ce qui peut être l’expression de quelque profonde pulsion atavique.

Une des paroles les plus incisives dans la vieille Bible du roi Jacques [King James Bible] est «  Le cœur est trompeur en toutes choses et désespérément mauvais : qui peut le connaître ? » (Jérémie 17 :9). Vous n’entendrez pourtant jamais cela à la messe, parce que dans la « nouvelle édition révisée de la Bible américaine » (NABRE), cela devient : « Plus tortueux qu’aucune chose est le cœur humain, au-delà de tout remède ; qui peut le comprendre ? » Oui, qui peut comprendre cette traduction moderne — qui a torturé un verset qui autrefois faisait référence à la profondeur incontestable du mal dans le monde sans mettre en question l’efficacité de la grâce divine (au-delà de tout remède ?) et l’a rendu en un idiome plus familier, contemporain : i.e. « c’est compliqué ».

Les spécialistes de la Bible peuvent se chamailler sur cette traduction, mais il n’est pas étonnant que tant de gens aient un faible rapport avec une foi qui dit que Dieu devait mourir sur la Croix, comme nous allons le rappeler la semaine prochaine, pour nous sauver ; car nous ne pouvons paraître reconnaître la profondeur du mal, même quand, comme dans le crash de l’avion, il passe de façon si précise sous nos yeux. Il n’est pas pour nous l’Augustin du mysterium iniquitatis (« le mystère du mal »), qui rend compte de bien davantage sans se lancer dans la tentative désespérée d’expliquer, de transformer ce qui est par nature un mystère en quelque problème auquel on peut remédier par un meilleur écran de pilotage, des procédures de vol différentes, ou davantage de financement dans la recherche psychologique.

Il serait difficile de dire si cette peur de reconnaître le mystère du mal est une aberration particulièrement moderne ou si elle a toujours été avec nous à un degré plus ou moins grand. Nous aimerions croire que la perversité humaine peut être réduite à quelque chose comme la physique – dépression suicidaire ou massacre pathologique comme une sorte de tsunami humain biochimique ou intrapsychique — qui donc peut être géré.

Avec tout le respect dû aux psychologues, dont beaucoup font un bien réel, cela devient, à un certain point, quelque chose à peu près d’aussi scientifique que l’astrologie. Au temps de Shakespeare, le méchant — et illégitime — Edmond dans Le Roi Lear se moque de semblables théories

C’est une merveilleuse folie du monde, que

quand nous souffrons d’un revers de fortune – excès souvent

de notre propre comportement – nous rendons responsables

de nos désastres le soleil, la lune et les étoiles : comme si

nous étions méchants par nécessité ; fripons, voleurs et

traîtres par l’empire des sphères ; ivrognes,

menteurs et débauchés, par une soumission forcée

à l’influence des planètes ; et tout le mal qui est en nous,

par une impulsion divine : dérobade admirable

de ce proxénète humain, d’attribuer ses dispositions

lascives à une étoile ! Mon père

s’unit à ma mère sous la Queue

du Dragon et ma naissance eut lieu sous la Grande

Ourse, si bien qu’il s’ensuit que je suis

grossier et lubrique. Je devrais avoir été ce que je suis

même si l’étoile la plus virginale au firmament

avait scintillé quand on me fit naître bâtard.

Il est dur d’admettre le fait que le mal circule parmi nous, un mal dont nous ne pouvons trouver aucune explication satisfaisante. Dans Othello, Shakespeare se débat avec ce mystère et, avec sagesse, il n’essaie pas de fournir une réponse qui serait une fausse consolation et une fausse conclusion. Quand on le presse pour savoir pourquoi il a torturé de jalousie son maître, et orchestré plusieurs meurtres, Iago répond avec deux seuls vers, qui ne font que prolonger le mystère et la souffrance :

Ne me demandez rien : ce que vous savez, vous le savez :
A partir de maintenant je ne dirai plus un mot.

Nous ne connaissons pas d’explication claire ni de justification pour ce qu’un spécialiste de Shakespeare a appelé « la malignité sans motif ». Certains d’entre nous font le choix du mal, et c’est tout.

Ceux-ci et bien d’autres témoignages venant des plus grands de nos artistes — et souvent de bon nombre d’esprits qui ne sont pas, en plus, particulièrement pieux ou théologiques — devraient compter pour beaucoup entre nous. Mais nous avons réduit le mal à quelque chose qu’il n’est pas. Le résultat c’est que nous n’avons plus grand-chose à dire sur certaines réalités, sinon qu’ « elles n’ont aucun sens ». Et elles n’en ont pas parce que nous nous sommes coupés nous-mêmes de toute une gamme de termes sur le bien et le mal, qui autrefois aidaient à rendre compte des actes de l’homme.

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Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing, et président du Faith & Reason Institute [Institut Foi et Raison] à Washington, DC. Son dernier livre est The God That Did Not Fail : How Religion Built and Sustains the West [Le Dieu qui n’a pas failli : comment la religion a construit et soutient l’Occident], disponible aujourd’hui en livre de poche Chez Encounter Books.

Vendredi 27 mars 2015

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/03/27/mysterium-iniquitatis/

Photo : Des agents de bord de la Germanwings déposent des bougies et des fleurs devant le siège de la société à Cologne en Allemagne.