Le texte et le contexte - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Le texte et le contexte

Traduit par Antonia

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Le Synode sur la famille de 2015 s’est conclu sur quelques lumières et un bon nombre de points flous. Dans son état actuel, le Rapport final contient de profondes réflexions spirituelles fondées sur l’Ecriture sainte et les traditions de l’Eglise. Il traite aussi de manière réaliste de la vaste variété des situations socioculturelles et politiques des familles de par le monde – situations qui varient grandement, allant de la culture hédoniste et obsédée par la sexualité de l’Occident à la guerre et aux persécutions qui sévissent au Moyen-Orient et en Afrique. Il aurait mieux valu omettre certains paragraphes. Mais le contexte dans lequel le texte a été élaboré est un élément totalement différent qui restera sensible pendant les années à venir.

Un sujet souvent repris par les Pères synodaux pendant les trois semaines du Synode est qu’une Eglise préoccupée par l’avenir de la famille aujourd’hui aurait un point de vue très limité si elle ne tenait compte que des préoccupations occidentales au sujet des homosexuels et des divorcés. L’un des signes du caractère progressiste du synode de 2015 est que, en dépit de problèmes persistants, il n’a jamais été question « d’accepter et valoriser… l’orientation sexuelle [homosexuelle], sans compromettre la doctrine catholique sur la famille et le mariage », un grand pas en arrière par rapport au regrettable rapport à moyen terme de 2014. Pendant la fin de semaine, la BBC a déclaré que le pape François avait subi une « défaite » sur la question des homos, une déclaration assez inexacte puisqu’il n’est pas un partisan du mariage homosexuel. Et en outre, l’Instrumentum laboris original, dans lequel il s’était peu investi, ne parlait guère de l’homosexualité. Mais la BBC n’a pas été le seul média à exagérer pour nourrir ses propres obsessions. Méfiez-vous des reportages de ce type.

Une importante partie du Rapport final est utile et constitue un bon message pour une Eglise universelle désireuse de proclamer la Bonne Nouvelle et d’assumer ses responsabilités envers les familles du monde entier. Quand il aura été traduit [en anglais], ce sera une lecture éclairante pour tous ceux qui s’intéressent aux soucis actuels et aux espoirs concernant l’avenir des familles.

Mais c’est la communion pour les divorcés remariés qui a été le plat de résistance en Occident – surtout dans les médias. Il aurait été satisfaisant de pouvoir dire que nous savons précisément où nous en sommes à présent. Le Wall Street Journal est affirmatif : « Les évêques mettent en échec le pape sur l’ouverture aux catholiques divorcés ». (C’est-à-dire que, comme beaucoup l’ont constaté, l’admission à la communion des divorcés n’est pas mentionnée explicitement dans le document qui n’appuie donc pas une tendance qui s’est manifestée pendant les deux années du processus synodal depuis le message adressé par le cardinal Walter Kasper aux évêques à Rome, à l’invitation du pape François, le 15 février 2014). Le journal romain Il Messagero a une autre version : « Oui à la communion pour les divorcés ». D’autres qui veulent qu’il en soit ainsi le prétendront également. En fait, le résultat final est, comme c’est souvent le cas avec ce pape, beaucoup plus embrouillé.

Les évêques ont décidé de ne pas voter sur le document dans son ensemble, mais seulement sur les paragraphes un par un, si bien que le texte est essentiellement une série de réflexions présentées au pape pour examen et non une déclaration officiellement approuvée par les pères synodaux. Nous allons devoir attendre que le Saint-Père lui-même nous dise ce qu’il considère comme la prochaine étape. Il s’est peut-être compliqué la tâche tant pas la gestion du synode et (voir plus bas) par sa réaction violente aux critiques et aux croyants traditionnels.

En dépit de ce qui sera souvent affirmé dans les jours et les semaines à venir, il convient de répéter cette vérité : le Rapport final du synode ne parle pas de la communion pour les divorcés remariés. Comme nous le rabâchons depuis le début, cette proposition s’est heurtée à un tir de barrage manifeste. Par suite des controverses, les explications concernant les relations entre la conscience et la loi morale sont bien plus claires dans le Rapport final que dans l’Instrumentum laboris. Mais deux paragraphes de ce rapport – ceux qui ont recueilli le plus grand nombre de voix négatives – vont loin dans le « discernement » des circonstances individuelles et invoquent le « for interne », c’est-à-dire la direction de conscience par un prêtre ou un évêque, se situant donc à deux doigts de la communion pour les divorcés remariés, sans l’autoriser en toutes lettres.

Certains journalistes y ont vu un solide appui de l’enseignement de l’Eglise, ce qui est par trop optimiste. Mais ce n’est pas non plus un boulevard pour les catholiques progressistes. Il y a eu des efforts pendant les débats du dernier jour pour bien faire comprendre que ce texte n’était pas une invitation générale à changer la doctrine ou la discipline. Le père Federico Lombardi a délibérément souligné la continuité avec les enseignements de saint Jean-Paul II et de Benoît XVI. Le cardinal de Vienne, Christoph Schönborn, a de façon moins convaincante défini des critères clairs pouvant guider le discernement.
S’il y a bien des critères, leur clarté est loin d’être avérée. Quand vous lisez le texte, voilà ce que vous y trouvez :

85. Saint Jean-Paul II a proposé un critère global qui demeure la base valable de l’évaluation de ces situations. « Les pasteurs doivent savoir que, par amour de la vérité, ils ont l’obligation de bien discerner les diverses situations. Il y a en effet une différence entre ceux qui se sont efforcés avec sincérité de sauver un premier mariage et ont été injustement abandonnés, et ceux qui, par une faute grave, ont détruit un mariage canoniquement valide. Il y a enfin le cas de ceux qui ont contracté une seconde union en vue de l’éducation de leurs enfants et qui ont parfois, en conscience, la certitude subjective que le mariage précédent, irrémédiablement détruit, n’avait jamais été valide ». (traduction non officielle)

Tel est le texte de saint Jean-Paul II utilisé pour appuyer l’idée d’un discernement plus actif, ce qui est déjà un peu en forcer le sens, étant donné l’interprétation actuelle du discernement. Ce qui manque, c’est ce que Jean-Paul II déclare deux alinéas plus bas dans Familiaris Consortio : « L’Eglise réaffirme sa discipline, fondée sur l’Ecriture Sainte, selon laquelle elle ne peut admettre à la communion eucharistique les divorcés remariés. Ils se sont rendus eux-mêmes incapables d’y être admis car leur état et leur condition de vie est en contradiction objective avec la communion d’amour entre le Christ et l’Eglise, telle qu’elle s’exprime et est rendue présente dans l’Eucharistie. Il y a par ailleurs un autre motif pastoral particulier : si l’on admettait ces personnes à l’Eucharistie, les fidèles seraient induits en erreur et comprendraient mal la doctrine de l’Eglise concernant l’indissolubilité du mariage. »

L’indissolubilité est affirmée ailleurs dans le Rapport final et certains passages disséminés dans le texte évoquent ce que saint Jean-Paul II a formellement énoncé. Il contient aussi des références au Catéchisme de l’Eglise catholique sur les cas où « l’imputabilité » et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées (par.1735). Respectées à la lettre, ces citations pourraient faire croire que nous sommes encore sous le même régime que de tout temps dans l’Eglise. Mais quatre-vingts pères synodaux ont voté contre ce paragraphe (la plus forte opposition à un point du texte), parce que, sans autoriser explicitement un changement de discipline, il peut ouvrir la porte à plusieurs dérives.

La question qui se pose est la suivante : le discernement sera-t-il bien guidé par ces fermes principes moraux énoncés par saint Jean-Paul II ? C’est sur ce point que s’établira la ligne de partage entre la position du Wall Street Journal et celle d’Il Messagero. Voici le libellé exact de ce texte :

86. L’accompagnement et le discernement orientent ces fidèles vers un examen de conscience touchant leur situation devant Dieu. La discussion avec le prêtre accompagnateur, au niveau du for interne, est complétée par la formation d’un jugement correct sur ce qui fait obstacle à la possibilité d’une plus pleine participation à la vie de l’Eglise et sur les pas qui peuvent la favoriser et la faire croître. Etant donné qu’il n’y a pas de gradualité de la loi sur ce point (cf. Familiaris Consortio, par.34), ce discernement ne pourra jamais faire abstraction des exigences de la vérité et de la charité telles que proposées par l’Eglise. Pour que cela se produise, il faut que soient garanties les conditions nécessaires d’humilité, de réserve, d’amour de l’Eglise et de ses enseignements, dans la sincère recherche de la volonté de Dieu et dans le désir de parvenir à y répondre plus parfaitement.[C’est Robert Royal qui souligne]

Ce libellé repose sur beaucoup de compromis et les théologiens avertis le retravailleront sans nul doute avec soin. Mais en lisant ces paragraphes dans leur version actuelle et en les séparant du contexte controversé, on pourrait dire qu’ils auraient pu être écrits par Jean-Paul II. La phrase en italiques semble pencher fortement en direction surtout du besoin d’un changement de vie pour éliminer les obstacles. Et quand on affirme qu’il n’y a pas de gradualité dans la loi, on veut dire que les personnes se rapprochent graduellement de la conduite qu’elles sont censées suivre, mais que la loi elle-même est toujours constante et ne saurait être abrogée simplement parce que les personnes ne parviennent que lentement à s’y conformer. Pourtant, il y a une raison expliquant que soixante-quatre pères synodaux ont voté contre ce paragraphe, non pas tant à cause de ce qu’il dit qu’à cause de ses conséquences éventuelles dans le climat actuel de l’Eglise.

Mais considérez aussi ces données : les votes pour le Conseil synodal, le groupe directeur pour le suivi du synode. Comme je l’ai expliqué vendredi (avant la publication des résultats officiels), ceux-ci indiquent en gros une majorité des deux tiers en faveur des enseignements catholiques traditionnels. Sandro Magister a annoncé que c’est l’archevêque Charles Chaput de Philadelphie qui a obtenu le plus grand nombre de voix à lui seul dans l’ensemble du monde – mais les cardinaux George Pell et Robert Sarah ont eu aussi recueilli beaucoup de voix. En Amérique, nous avons le cardinal canadien Marc Ouellet (un citoyen solide) et le cardinal Oscar Maradiaga (un proche conseiller du pape). En Asie, les cardinaux Pell, Oswald Gracias (Bombay) et Luis Antonio Tagle (Manille). En Afrique, les cardinaux Sarah, Wilfred Napier et l’évêque du Gabon Mathieu Madega Lebouakehan.

Ce n’est qu’en Europe que les scores sont plutôt faibles : Schonbörn, l’archevêque anglais Vincent Nichols et l’archevêque Bruno Forte (des cardinaux italiens en bonne position comme Scola, Caffara, Bagnasco ont chacun recueilli un grand nombre de voix et si les Italiens s’étaient concertés et avaient choisi un candidat unique, l’un d’eux aurait remporté la victoire). En tout cas, dans la mesure où le Conseil du synode orientera les futurs événements, on ne peut que constater la prépondérance de personnalités sérieuses, et leur sélection traduit l’attitude générale des pères synodaux.
Le pape lui-même n’était pas de très bonne humeur à la fin du processus, bien que, comme il est naturel pour les événements au Vatican, selon la version officielle, tout se soit terminé dans la fraternité et la synodalité, avec même une ovation lors de son discours de clôture. Mais après de nombreuses affirmations positives, le pape François a toutefois exprimé son irritation à propos de certaines parties du débat : « Au cours de ce synode, les différentes opinions qui se sont exprimées librement, n’étaient parfois, malheureusement, pas entièrement bien intentionnées… »

Et dans ses observations sur les leçons du synode, il a lancé : « L’Eglise ne doit plus juger avec des cœurs fermés qui souvent se cachent derrière les enseignements de l’Eglise ou derrière les bonnes intentions pour s’asseoir sur la cathèdre de Moïse et juger, quelquefois avec supériorité et superficialité, les cas difficiles et les familles blessées ».

C’est un de ses thèmes récurrents. Nul ne nierait qu’il y a des gens trop autoritaires parmi ceux qui insistent sur les enseignements traditionnels – tout comme il y en a aussi parmi ceux qui professent des vues théologiques opposées. Mais ces cas sont rares et marginaux. De nombreux ecclésiastiques et laïcs ont été offensés – et irrités – par cette remarque. Et elle risque d’exacerber les divisions préexistantes.

C’est un fait dont nous devrons probablement tenir compte pendant un bon bout de temps dans l’Eglise. Le Rapport final est un texte acceptable, surtout s’agissant d’un texte rédigé par une commission de 270 membres. S’il avait été adopté sous la papauté de Jean-Paul II, il n’aurait guère suscité d’inquiétude. Mais dans un contexte de méfiance et de ressentiment mutuels, ce qui est acceptable pourrait devenir inacceptable.

Lundi 26 octobre 2015

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/10/26/the-text-and-the-context/

Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing et président du Faith& Reason Institute de Washington.