Le massacre des innocents - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Le massacre des innocents

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Les États-Unis ont donc vécu leur massacre des « saints Innocents », avant que la fête liturgique nous rappelle la tragédie rapportée par saint Matthieu : « Dans Rama s’est fait entendre une voix, qui sanglote et moult se lamente : c’est Rachel pleurant ses enfants, et ne veut pas qu’on la console, car ils ne sont plus. » Ce sont les larmes du président Obama qui ont montré au monde entier la détresse de l’Amérique, son épouse étant elle-même trop éprouvée pour accompagner son mari à Newtown sur les lieux du massacre, afin de prier. Prier, bien sûr, qu’y a-t-il d’autre à faire lorsque se produit l’indicible et lorsque les survivants s’interrogent sur le mystère de ces vies interrompues ? Le peuple américain n’a pas les pudeurs laïcistes de la France républicaine et il serait le dernier à s’effaroucher des signes de croix d’un chef de l’État visitant Saint-Pierre de Rome. La séparation des pouvoirs n’abolit pas l’espace de recueillement où la nation s’incline face à l’invisible.
Comme Rachel, l’Amérique, en pleurant ses enfants, interroge aussi le ciel pour défier l’insupportable énigme du mal surtout lorsqu’il s’attaque aux plus démunis, ce qui indigne la conscience humaine de façon immémoriale. L’Ivan Karamazov de Dostoïevski l’avait exprimé de façon si frappante que sa figure reste fixée comme celle de la suprême indignation morale. Mais Barack Obama se trouve aussi confronté à une indignation de nature politique 1. N’est-ce pas la Constitution même des États-Unis d’Amérique qui se trouve mise en accusation pour avoir érigé en droit inaliénable la possession d’armes par tous les citoyens ? Il y a, de ce point de vue, une réelle exception américaine. La philosophie politique dispose en général que c’est la puissance étatique qui se trouve investie du monopole de la force, et même de la violence, qu’elle est en mesure d’exercer pour la sauvegarde de la paix publique.

L’histoire de la conquête des grands espaces par les colons venus d’Europe a, au contraire, valorisé le principe d’auto-défense des personnes et des familles. On en perçoit les graves conséquences. La présence des armes dans le foyer domestique confère une dimension traumatique à la vie familiale, qui devrait être pourtant le lieu même de la tendresse, de l’accueil gratuit, de l’enfance préservée. Le président Obama se trouve donc dans une situation difficile où, pour prendre des mesures de sauvegarde il lui faudrait contredire une des traditions les plus enracinées de son pays.

  1. Sur cette notion d’indignation, aussi bien morale que politique, on pourra se reporter à l’excellent ouvrage du professeur Jean-François Mattéi, L’homme indigné, Éditions du Cerf.