Le Viet Nam: Rêves et réalité - France Catholique
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Le Viet Nam: Rêves et réalité

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« Tandis que les promesses des faux prophètes de cette terre fondaient en sang et en larmes, la grande prophétie de l’Apocalypse à propos du Rédempteur illumine dans la splendeur céleste : « Regarde, voici que je fais toutes choses nouvelles ». – Divini Redemptoris (Sur le communisme athée.)

Quand Saigon est tombé entre les mains du Viêt-Cong en Avril 1975, la guerre du Viet Nam s’est achevée, et un programme typiquement communiste de dépopulation systématique, de ré-éducation et de redistribution des richesses s’en est suivi. Au cours des deux années suivantes, un million de personnes ont quitté la ville pour la campagne ou pour des rivages plus lointains.

J’étais née 9 mois plus tôt dans un hôpital de Saigon. Au mois d’avril, ma mère était de nouveau enceinte de son troisième enfant. Mon père, — ingénieur et président de banque — avait bien réussi. Alors qu’il était né dans une pauvreté crasse (au sens propre du terme : lui, et ses 10 frères et sœurs vivaient dans une maison à la campagne, dont le sol était en terre), il avait été excellent à l’école, travaillant souvent à la lueur d’une bougie, jusque tard dans la nuit. Il avait été major de sa promotion au lycée, et avait gagné une bourse, et entamé une brillante carrière d’ingénieur civil.

Son intelligence, ses succès et sa prestance — accompagnés d’’un manque d’encadrement moral dû à un père absentéiste — l’ont mené pendant quelques années à vivre une vie de plaisirs.. Mais à 31 ans, il rencontra une fille moitié française, moitié Vietnamienne. Avec les yeux et les cheveux noirs d’une asiatique, le nez aquilin et le visage sculpté d’une européenne, elle était d’une beauté renversante. Il la demanda en mariage, elle accepta, ils s’installèrent ensemble et fondèrent une famille.

Nous étions à l’aise et n’avions besoin de rien. En ce printemps 1975, mon père changea de métier, espérant réaliser le rêve de sa vie : devenir médecin. Un accident de motocyclette, des années plus tôt, l’avait laissé avec une hémorragie interne, de nombreuses fractures, et à moitié mort, sur le bord d’une route de province. Mais par coïncidence – ou plutôt par providence – une ambulance de l’armée est passée par là dans les minutes qui ont suivi, et a repéré l’homme qui saignait. On l’a conduit d’urgence à l’hôpital où sa guérison a pris de longues semaines. Le médecins lui ont dit que si l’ambulance n’était pas passée là par chance, il serait mort en une heure.

Ce miracle ne le laissa pas indifférent. Il passa du temps à repenser à sa vie, regrettant le passé, et décidant de suivre une vocation qui aurait plus de sens – qui l’amènerait à soigner les autres. Une fois guéri, il entra à l’école de médecine.

J’étais trop jeune pour m’en souvenir, mais ma famille m’a dit que les communistes nous ont pris tout ce que nous possédions. Après plusieurs mois d’angoisse, voyant les nombreuses personnes qui fuyaient la ville, et sachant qu’il n’avait pas d’avenir ici, mon père prit la décision difficile de quitter sa patrie, et tout ce qu’il connaissait et aimait, pour commencer une nouvelle vie en France.

Nous avons eu de la chance. Nous avions reçu de ma mère la citoyenneté française, car son père était colonel en Indochine dans les années 1950, ce qui nous a permis d’avoir tous des billets d’avion. D’autres Vietnamiens ont été moins heureux. Coincés dans un pays qui était tout à coup devenu étrange et terrifiant, beaucoup devinrent des réfugiés, changeant de l’or au marché noir pour acheter le passage pour Singapour ou les Philippines. Ils fuyaient à la faveur de la nuit vers des sampans peu solides qui les attendaient dans les docks de ce qui s’appelle maintenant Ho Chi Minh ville.

Il y a eu des scènes d’horreur au sud de la mer de Chine, tandis que des pirates de la mer rattrappaient les bateaux, volant et violant les passagers. Ma cousine que mes parents avaient sponsorisée et qui a partagé ma chambre à son arrivée aux Etats Unis, m’a raconté tout bas et d’une voix tremblante de honte comment une nuit, après des semaines d’errance sur l’eau, de plus en plus affamés, les « boat people » survivants dont elle faisait partie avaient participé à du cannibalisme sur les cadavres qui étaient à bord.

Après avoir lutté pour vivre en effectuant des petits boulots en France pendant deux ans, mon père a fait le choix difficile de déménager à nouveau – cette fois pour l’ Amérique. Avec une femme, 3 jeunes enfants, quelques rares biens et pratiquement aucune connaissance de l’anglais, nous sommes arrivés aux Etats Unis. C’est là que nous vivons depuis lors.

Le Vietnam est très différent maintenant de ce qu’il était juste après la guerre, quand le régime corrompu a pris le pouvoir. Une période de rapide déclin avait suivi : Les gens étaient obligés de vivre des maigres allocations du gouvernement ; les routes qui avaient été superbes s’esquintaient faute d’entretien ; mendiants et sans logis — les nombreuses victimes de la guerre — proliféraient dans les rues ; et le clergé catholique était devenu une minorité traquée et persécutée, lui qui avait été libre de pratiquer sa foi dans un pays qui avait été consacré à Notre Dame en 1959, où le drapeau du Vatican s’était autrefois déployé lors d’évènements publics et où les universités avaient à une époque favorisé l’orthodoxie catholique.

Ce n’est qu’à partir des années 1990 que le Vietnam s’est ouvert aux investissements étrangers. Le Saigon actuel ( je préfère l’appeler ainsi) — avec ses tours et ses gratte ciels, ses cybercafés et ses hôtels de luxe — ressemble peu à la ville que le Viêt Cong avait espéré re-former à sa propre image.

Le Vatican, dans l’espoir continu d’établir des relations diplomatiques avec le pays, lui envoie chaque année des délégués, mais le Vietnam insiste pour nommer les évêques sans intervention du Saint Siège, ce qui maintient un obstacle, de même que la prolongation des restrictions à la pratique de la foi.

L’ouverture du procès de béatification du cardinal Nguyen Van Thuan, emprisonné par le régime communiste de 1975 à 1988, sert d’encouragement aux fidèles du pays.

Des milliers de personnes ont manifesté pacifiquement devant l’ancienne nonciature apostolique d’Hanoï , confisquée par les communistes en 1959. La promesse qui avaient été faites de rendre le bâtiment au Vatican n’a jusqu’à présent pas été suivie d’effet, et les relations avec le Saint Siège demeurent tendues.

Mon père retourne au Vietnam chaque année, et il y passe des semaines à enseigner, à visiter des œuvres caritatives, et à voyager. Les visites sont toujours pour lui douces amères. Il rêve de passer les années qui lui restent à vivre là où il est né, à l’endroit dont il a été chassé par le fléau du communisme. Ma mère dont la patrie d’adoption est l’Amérique, n’y consentira jamais, mais dans le fond de son cœur, il continue à rêver.

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Christine Niles, nouvelle collaboratrice de « The Catholic Thing ».


Photo : L’auteur, à gauche, avec sa mère et son frère, 1974.

Traduction de « Viet Nam : Dreams and Reality »

http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/vietnam-dreams-and-reality.html