Le Pape et la culture « slum » - France Catholique
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Le Pape et la culture « slum »

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Le pape François possède ce don rare de traverser le miroir au sens où, contraint par les lourdeurs d’un programme officiel, il réussit néanmoins à faire passer son message spirituel. Son protocole allégé fait choc dans une société habituée au paraître, à commencer par le clergé local : déplacements dans une berline ordinaire et non un 4×4, pas de banquet, pas de trône rutilant, une chambre modeste à la nonciature. Le rituel célébré dans une église en briques et poutres métalliques construite par les paroissiens et conçue pour un maximum de 1 200 fidèles bien serrés l’emporte sur l’incontournable grand-messe multilingue ouverte à tous vents. Le pape François était handicapé par la pauvreté de son anglais qu’il reconnaît humblement. Il s’exprimait en italien et en espagnol avec un traducteur et la messe fut un mélange de latin et de kiswahili. On pouvait s’interroger sur sa capacité à communiquer. Mais la vraie communication n’est pas affaire de langue mais de cœur. Pour ses tout premiers pas en Afrique, timide et hésitant lors de la réception protocolaire à la Présidence, encore formel et si l’on peut dire « scriptural » ou « littéral » lors de l’homélie de la grand-messe du lendemain sous un déluge de pluie, le Pape a trouvé son style le surlendemain et dernier jour en répondant aux préoccupations des jeunes pour enfin se révéler au milieu des plus pauvres, dans un de ces nombreux bidonvilles (« slums ») où s’entasse la majorité de la population de la capitale (55 % de la population sur 5 % du sol).

La visite papale n’aurait mérité qu’un succès d’estime sans ce finale qui l’inscrit parmi les plus grands. Les discours officiels étaient plus ou moins convenus. Le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, s’était préparé à l’admonestation, sachant que le pays est en tête (ou plutôt en queue) de tous les classements internationaux sur la corruption. Kenyatta, catholique pratiquant, s’était même donné le luxe de demander au Pontife de prier pour lui au moment où, dit-il, il lui revient de mener la lutte contre ce fléau. Le Pape se tenait à ce stade encore en retrait, prudent. Chacun s’attendait à ce qu’il soit plus percutant dans sa dénonciation des maux sociaux qui affligent la majorité des gens. Mais il aurait été dans la posture de donneur de leçons. Aux jeunes Kenyans de porter la parole les premiers contre le tribalisme et la corruption. Le Pape renchérit.

Mais une chose est de condamner ces travers, d’ail­leurs universels, autre chose de se convertir au service des plus pauvres, des invisibles, des oubliés, des exclus. Le seul discours intégralement retranscrit dans le principal quotidien kényan au long de ces trois jours fut à juste titre celui que le Saint-Père prononça à la chapelle de Saint-Joseph Artisan à Kangemi. Parlant d’expérience, il y esquisse ce qu’il appelle « la culture des quartiers déshérités », traduit ici la « culture slum » du nom donné en anglais aux bidonvilles. Personne n’avait dit comme François ses aspects positifs, « la sagesse née de la résistance farouche de ce qui est authentique », « la capacité à convertir la congestion en solidarité dépassant l’égoïsme individuel », le choix de la vie contre la mort, le sens du partage, la patience devant l’adversité, bref « toutes les valeurs qui ne sont pas celles de l’argent-dieu », « des valeurs qui ne sont pas cotées en Bourse » (ma traduction libre). Le Pape reprend le thème de la périphérie qui lui est désormais cher pour dénoncer le péché d’indifférence des autorités, le crime du non-accès à l’eau potable, le scandale de l’affairisme immobilier. Il prône un urbanisme « intégré » et en appelle à tous et spécialement aux chrétiens de s’engager plus résolument en faveur de la dignité de chaque homme. Voilà sans doute le langage auquel on s’attendait de sa part mais qui, dans sa forme et son fond, ne manque pas de frapper par sa netteté, sa dureté, mais aussi son invincible optimisme. C’est le seul qui puisse remuer durablement les autorités civiles et religieuses dans un pays si habitué à la litanie de ses défauts et à une rhétorique bien entendue. n