La place des missionnaires - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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La place des missionnaires

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Il n’y a pas si longtemps encore, quand on parlait du décès d’un missionnaire, cela signifiait qu’il était mort dans de tristes circonstances, dans une contrée lointaine. Depuis peu, cela signifie que plus personne ne se sent très concerné par la nécessité d’ « annoncer l’Evangile à toutes les nations », et que l’œuvre missionnaire est réellement en train de disparaître. Aujourd’hui notre Evangile est bien plus simple : nous sommes tous à peu près de bonnes personnes, n’est-ce pas ? Dans ce cas, pourquoi ne pourrait-on pas respecter et soutenir la façon de vivre de chacun, et tacher de s’entendre.

C’est un peu la mentalité du moment, même chez beaucoup de chrétiens. Nous avons du mal à croire qu’adhérer complètement à l’Eglise puisse nous apporter quelque chose, quelque chose de plus que ce que nous connaissons déjà, qui ne dépende pas d’une institution. De cette constatation découlent beaucoup de choses. Répandre l’amour et la joie du Christ, encourager la Nouvelle évangélisation… tout cela est creux si l’on ne croit pas en une raison bien spécifique à la joie, ou qu’on ne croit pas que la Nouvelle évangélisation, tout comme l’Ancienne, est une question bien réelle de vie ou de mort, et de conséquences pour la vie éternelle.

La récente annonce de la suspension de la publication d’ Ad Gentes, le journal de l’Institut pontifical pour les missions étrangères (PIME) en Italie sur les missions « Pour les nations » n’était donc pas une surprise. Le nombre d’abonnements a considérablement chuté, mais plus préoccupant encore, c’est l’esprit de l’œuvre missionnaire dans son ensemble qui s’essouffle. Il est bien loin le temps où les enfants catholiques jeûnaient pendant le Carême, et envoyaient leurs économies aux missions – preuve que les adultes ne s’intéressent pas non plus aux missions. Le P. Piero Gheddo, diacre du PIME à Milan, a récemment publié un article dans lequel il explique la situation actuelle est la conséquence de deux erreurs commises par l’Eglise.

La première a été la diffusion même de la responsabilité missionnaire. « Avec la publication du Fidei donum (1957), puis avec Vatican II (1962-65), on a commencé à dire que toute l’Eglise était missionnaire, et que les instituts missionnaires n’avaient plus de sens ». Il y a un adage, ancien mais non moins vrai, qui dit que la responsabilité de tous n’est la responsabilité de personne. Comment « l’ensemble de l’Eglise » peut-il atteindre des personnes lointaines sans les institutions ni les comportements adaptés ? Les résultats, sans l’ombre d’un doute, confirment que ce n’est pas possible.

La deuxième, d’après le père, a été la politisation de l’œuvre missionnaire. Nous avons du mal à nous accorder sur la notion de sainteté, nous avons même du mal à la comprendre. Mais il est possible d’entreprendre conjointement des projets laïcs concrets. Beaucoup pensaient que dans une atmosphère d’action commune et de bonne entente, les vocations seraient plus nombreuses. Ca n’a pas été le cas :

Quelqu’un peut-il me dire qui, aujourd’hui, s’enthousiasme pour les vocations missionnaires, ou m’expliquer ce qu’est devenu l’appel pour les vocations missionnaires ad gentes ? À notre époque, les missionnaires s’engagent dans des campagnes nationales sur la dette internationale, dans la lutte contre la fabrication d’armes et contre les médicaments contrefaits, pour l’accès à l’eau potable. Dorénavant on préfère parler de « vivre dans le monde », et d’efforts sociaux ou écologiques que de missions pour les nations. Qui peut me dire combien de jeunes gens, hommes et femmes, s’enthousiasment ou deviennent missionnaires, après une manifestation contre la fabrication d’armes ? Personne. En fait, les instituts missionnaires ne comptent presque aucune vocation en Italie. Ne pleurez pas la fermeture d’Ad gentes. Après tout ce que je viens d’expliquer, c’était une conséquence logique.

De la part d’un homme tel que le Père Gheddo, qui a consacré sa vie aux missions, l’analyse mérite qu’on y prête attention, et il est regrettable que son article n’ait pas été traduit dans son entier dans plusieurs langues, et largement distribué. Particulièrement, parce que, comme il l’indique aussi, dans les pays en développement, les communautés catholiques, qui connaissent une croissance rapide, ont besoin de missionnaires, maintenant plus que jamais.

Des esprits malins sont sans cesse à l’œuvre dans le monde et il n’est pas facile de discerner ce qui est vrai de ce qui en a seulement l’apparence. Pourtant, quelles que soient les excuses avancées, l’Eglise est grandement responsable de sa laïcisation au cours des cinquante dernières années. Que tout cela se soit passé à cause de la volonté peu judicieuse de gagner en efficacité, ou à cause d’un véritable abandon n’a guère plus d’importance. La question est maintenant de réparer les dégâts, et rapidement.

Comme bien souvent, la première étape est de reconnaître la vérité. La société dans laquelle nous vivons s’est doublement fermée à l’influence religieuse. La laïcité était auparavant synonyme d’un pluralisme authentique, où toutes les voix (religieuses ou non) pouvaient participer et se faire entendre. Maintenant, le sens de la laïcité est de nous protéger contre l’ignominie d’avoir à nous confronter pour de vrai et en public à des gens d’autres croyances.

Paradoxalement, cette situation est née du désir même de protéger la liberté religieuse. La liberté religieuse n’est pas seulement une chose bonne, c’est une nécessité pour la nature humaine. Mais nous avons subtilement transformé le sens de la liberté religieuse : l’absence d’interférence dans la conscience d’autrui est devenue la soustraction de toute référence religieuse de la place publique. Nous sommes tous « libres » de prendre ce que nous voulons, mais le proposer à autrui, même précautionneusement, revient à « imposer nos valeurs » et à nous montrer « offensifs ».

Evidemment, il s’agit d’une immense escroquerie. Parce que sous le simple prétexte de revendiquer des droits humains élémentaires, beaucoup d’entre nous se voient imposer une morale laïque, et s’en offensent. Une classe intellectuelle à échelle nationale et internationale est née, particulièrement efficace pour ce qui est d’ incorporer l’avortement à la « santé reproductive», la sodomie à «l’égalité dans le mariage», l’euthanasie et le suicide au « droit de mourir».

L’homme se meut dans un monde qui est inévitablement structuré par des lignes de morale. Parce qu’il est de notre nature de poser des jugements sur ce qui est bon ou mal, qu’on l’admette ou non. Et si le débat ne porte pas sur certaines valeurs, il portera sur d’autres. Notre culture se résume dorénavant à un diner WASP (Ndt : anglo-saxon blanc protestant) à l’ancienne, où il serait interdit d’évoquer les thèmes les plus importants, à savoir Dieu, le péché, le pardon et l’éternité. Et sous couvert de diversité, nous sommes de plus en plus sujets à la tyrannie.

Nous n’avons pas perdu le l’élan missionnaire seulement parce nous sommes devenus indifférents. Nous nous sommes nous-mêmes réduis au silence.

Photo : Ecole jésuite dans l’ex-Congo Belge, 1930.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/the-missionary-position.html