L’esprit de Vatican II - France Catholique

L’esprit de Vatican II

L’esprit de Vatican II

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On chercherait en vain une définition précise de « l’esprit de Vatican II ». Cette phrase n’est inscrite nulle part dans les documents ou les événements associés au concile qui s’est ouvert il y a 49 ans cette semaine. Les références à cet « esprit » sont souvent connectées à divers aspects de la libéralisation qui a eu lieu dans l’Église à la suite du Concile.
Parmi ceux-ci, on trouve :

• Autour de la liturgie : par exemple l’utilisation des langues vernaculaires au lieu du latin, la messe Novus Ordo, avec le prêtre face aux fidèles, la communion dans la main, le signe de Paix, les filles parmi les enfants de chœur, les ministres de communion, etc. Pour la plupart d’entre nous, d’autres innovations viennent à l’esprit, comme les messes accompagnées à la guitare, les religieuses impossible à distinguer des Lady’s Auxiliary locales 1, les homélies improvisées par le célébrant et le remplacement systématique de toutes les instances de « il », « lui », « homme » par des termes plus « inclusifs ».

• Autour de l’œcuménisme : des juifs, des protestants, et des pratiquants d’autres religions non catholiques ont été invités comme observateurs au Concile, et l’usage d’inclure d’autres religions dans les événements publics catholiques a encore cours aujourd’hui. De nombreux dialogues officiels ont été conduits avec les orthodoxes, les luthériens et les autres protestants, en cherchant les points communs. Des efforts de réconciliation ont été faits, y compris les excuses papales au monde pour l’affaire Galilée, l’Inquisition, etc.

• Les changements d’attitude à propos des mœurs sexuelles : l’opposition très large des théologiens, prêtres et prélats, ainsi que des Catholiques laïcs, à l’encyclique Humanae vitae de Paul VI  contre la contraception, en 1968, est encore dans la mémoire des Catholiques plus âgés. Et non sans lien, comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer ailleurs, on vit des mouvements d’opinion contre le célibat des prêtres et pour l’acceptation de l’homosexualité.

Mais quelle était au juste « l’étiologie » de ce nouvel « esprit » ?

Le philosophe français Jean Borella, un catholique traditionaliste 2 (bien qu’opposé aux extrêmes du traditionalisme comme la fraternité St Pie X fondée par Mgr Marcel Lefebvre), conduit une analyse philosophique exhaustive de ces évolutions dans son livre La charité profanée. Borella souligne que, pour rendre efficiente une réforme de la « réforme », il est important de comprendre les racines métaphysiques qui l’ont nourrie.

La charité profanée présente 3 étapes de la « dégradation de l’âme chrétienne ».

Dans un premier temps, la grâce et la foi sont reçues comme des dons par les Chrétiens, qui les placent à un niveau surnaturel, et qui leur approprient une énergie spirituelle hors du cadre de l’énergie physique qui est sujette, comme tous les éléments de l’ordre physique, à une spirale de réduction entropique.

Cet état de grâce est renforcé pour les Chrétiens par à la fois l’ordre religieux surnaturel et l’ordre religieux naturel des choses, chacun ayant ses propres distinctions et hiérarchies. Ces oppositions entraînent une certaine tension, mais aussi un équilibre qui résiste à la réduction à l’équivalence ou à l’homogénéité. L’unité qui caractérise ces ordres «  ne résulte pas de la nature de ses composants, mais est un principe de hiérarchisation des composants les uns par rapport aux autres. »

L’ordre religieux surnaturel inclut les oppositions suivantes : créateur/créature, sacré/profane, lieu sacré/lieu séculier (ex : temple/bâtiment ordinaire), temps sacré/séculier (ex : dimanche/jours de la semaine), langue sacrée/séculière (latin/vernaculaire), vêtements sacrés/séculiers (ex : soutane ou habit religieux/vêtements ordinaires), fonctions sacrées/séculières (prêtrise/autres métiers) et institutions sacrées/séculières (Église/société civile).

L’ordre religieux naturel inclut pour sa part les différences suivantes : homme/femme, parents/enfants, maître/disciple, prince/sujets, passé/présent, personne droite/indécente, et normal/pathologique.

Voici ensuite ce qui s’est produit, d’après Borella :

« Dans les ordres aussi bien naturels que surnaturels, il n’y a aucune tension et opposition que les réformateurs post-concile n’ait tenté de détruire. […] L’esprit postconciliaire […] veut annihiler tout ce qui établit une distinction entre le sacré et le profane. N’oublions pas quelque chose de plutôt comique – que ces destructions sont opérées au nom de l’esprit de communauté, alors que, comme on peut le voir, rien n’est produit par cet effort si ce n’est la disparition des relations mutuelles et la destruction de toute cohésion entre les éléments des ordres. […] Un clergé « avancé » poursuit ses propres objectifs de modernisation intellectuelle et culturelle […] tentant de transformer les célébrations de l’Eucharistie en célébration de la communauté par elle-même. »

Dans l’ordre naturel, un démantèlement similaire s’en est suivi, rendant floues les distinctions entre homme et femme, enfant et parents, maître et disciple, normal et pathologique, etc.

Les conditions pour de telles pertes de sens ont été réunies quand le magistère, sous le pontificat de Paul VI, s’est trouvé déchiré « entre des factions rivales qu’il soutenait et contentait tour à tour ». Borella propose l’exemple d’un tournant historique : quand le texte – spécifiquement écrit pour le Concile – portant principalement sur le combat de l’erreur, la défense des droits de l’Église et la défense des traditions sacrées fut mis au vote, et ce dernier suspendu/ajourné par le Cardinal Liénart pour des délibérations ultérieures, en accord avec le souhait du bloc « réformateur » présent au Concile.

Dans une troisième phase, ajoute-t-il, après la réussite de l’abolition des distinctions naturelles et surnaturelles et au milieu du désordre entropique qui s’en suivait, des signes « d’entropie négative » (négentropie) sont devenus manifestes – c’est-à-dire des tentatives pour créer des différenciations et des oppositions, particulièrement dans des zones où elles n’avaient jamais été perçues. Borella cite en exemple l’extension de la théorie marxiste de la lutte des classes ainsi que l’emphase freudienne sur l’identité sexuelle dans tous les domaines de la vie.

Cependant, Borella voit des signes favorables annonçant une inversion de la tendance : les initiatives prises ces dernières décennies pour « réformer la réforme ».

Il accueillit avec bonheur l’arrivée sur le trône de St-Pierre d’un « pape exceptionnel », Jean-Paul II, qui entreprit « avec une obstination tranquille et sans renier le Concile Vatican II la réparation de l’unité du Christianisme à travers un retour à l’unité de la Foi » – ce qu’on appelle « la nouvelle évangélisation ». Et il a soutenu avec force l’accession à la papauté du cardinal Ratzinger, qui à une époque avait comparé les liturgies « auto-construites » aux Hébreux adorant le veau d’or, et qui a depuis émis un Motu Proprio pour faciliter le retour de la liturgie traditionnelle.

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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/the-spirit-of-vatican-ii.html


Howard Kainz est professeur émérite de philosophie à l’Université de Marquette. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, incluant le récent « L’existence de Dieu et l’instinct de Foi »

  1. (NdT : association d’aide aux vétérans et aux familles de militaires, cf. https://www.ladiesauxvfw.org/)
  2. au sens guénonien qui n’a donc en effet rien à voir avec Mgr Lefebvre (NdT)