L'approche interdisciplinaire - France Catholique
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L’approche interdisciplinaire

Traduit par Bernadette Cosyn

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Interdisciplinaire, voilà une charmante description du vraiment minuscule campus où je me suis trouvé enseigner la littérature catholique cette année scolaire-ci. C’est un petit labyrinthe composé de quelques vieilles maisons reliées ensemble autour d’une modeste cour et un cloître, partagés avec l’Oratoire de Toronto. Appelons-le séminaire Saint-Philippe, puisque tel est son nom.

« Philippe » comme Saint Philippe Néri, instigateur de ces Oratoriens qui ont, durant ces derniers quarante ans, fait leur « demeure appropriée » dans Parkdale, l’un des quartiers les moins riches du centre de Toronto.

Je veux vous donner une vision personnelle de quelque chose qui m’a rempli d’espoir pour l’avenir de l’Église. Cela tient en une méthode : l’interdisciplinarité.

Récemment, j’ai écrit sur ce site à propos d’un sondage sur la pratique religieuse, qui donnait des chiffres plutôt bouleversants sur le déclin du catholicisme en Amérique. Dans la mesure où l’Église était devenu « courant dominant », elle a suivi la trajectoire des congrégations protestantes du courant dominant : vers l’extinction.
Sous certains aspects, le Canada est différent des États-Unis, mais pas sous d’autres. Le catholicisme dans le Canada français est une bien triste histoire, comparable à ce qui s’est passé depuis en Irlande. Mais les conclusions de l’enquête collent parfaitement avec la situation du Canada anglophone.

Les petits-enfants de la dernière génération avant Vatican II ont cessé d’aller à l’église. Nous le savions déjà. L’étude montre qu’ils ont maintenant cessé de s’identifier comme catholiques. Ils ont plus que décroché. Ils ne se reconnaissent plus comme héritiers de l’Église.

A une époque de décadence morale – de sport professionnel et de divertissement de masse, de pain bon marché et de cirque post-moderne – l’Église ne peut pas garder un public. Des efforts désespérés pour animer le « spectacle » du dimanche – pour rendre la messe « adaptée » à la vie contemporaine – ne fonctionnent pas. Et même, je le sais par la génération de mes enfants, ces efforts sont rejetés comme « bidons ». Ils ont mis les gens en fuite encore plus vite.

Et ensuite nous sommes confrontés à la crise des vocations, qui va laisser – qui laisse déjà – tant d’enfants des années 60 encore présents livrés à eux-mêmes. Essayez d’imaginer une Église sans prêtres. Comment rattraper cela ?

Laissez-moi noircir encore le tableau. Les prêtre que nous avons encore ont été formés dans la « post-culture ». Pour commencer, ils ne savent plus le latin. Mais ce n’est qu’une facette d’une ignorance plus générale. Ils sont incroyablement peu familiarisés avec l’histoire de l’Église, ou avec les Pères et Docteurs de l’Église, et plus généralement avec l’ensemble de l’héritage culturel de la chrétienté qui gît sous la couche de glace de la « civilisation occidentale » actuelle, émergeant encore ici ou là.

Cela inclut la culture contemporaine aussi bien que la culture antique et la culture médiévale. Laissez moi prendre comme anecdote le cas d’un prêtre à qui je citais les romanciers catholiques célèbres du 20e siècle que j’avais présentés à une classe du séminaire – Flannery O’Connor, Evelyn Waugh, Shusaku Endo, Sigrid Undset. Il n’avait entendu parler d’aucun d’entre eux.

Je connais des athées qui ont lu de tels ouvrages. Je connais des gens intelligents fort éloignés du catholicisme dont les goûts musicaux s’étendent à des morceaux pour la messe que l’on n’entend plus dans nos églises. Egalement un agnostique qui vénère Chartres et Reims. D’autres qui savent que plusieurs de nos plus grands artistes modernes étaient très religieux, et pour la plupart catholiques fervents.

Cependant tous ces gens, de nos jours, rejettent l’Eglise comme quelque chose de périmé, de mort. Aucun n’a été aidé à saisir l’ensemble de la vision chrétienne – à travers l’art et l’architecture, la musique et la liturgie, la poésie et les récits qui inspirent par leurs beautés exceptionnelles. On a perdu le contact avec eux.

Et dans l’ordre mystique de l’Eglise, on compte sur les prêtres, les moines et les chanoines, les abbesses et les moniales pour créer les liens.

Mais comment est-ce possible s’ils n’ont pas été formés, ou si l’enseignement qu’ils ont reçu ne portait que sur des choses superficielles ou passagères ? De telle manières qu’ils soient incapables de faire le lien synaptique entre le moment présent, fugace, et ce qui perdure ? Qu’en est-il de ceux pour qui la théologie n’est qu’une formation maussade mais indispensable.

Comment pourraient-ils transmettre le sentiment de l’élévation et de l’étendue de la religion qu’ils représentent s’ils n’en sont pas convaincus eux-mêmes ?

Avec prévoyance, en 1986, le cardinal Gerald Emmett Carter a demandé aux Pères de l’Oratoire d’établir leur « département de philosophie » dans son diocèse de Toronto, comme moyen de procurer, non seulement une formation intellectuelle de haut niveau, mais également une formation réellement spirituelle et individuelle.

Selon moi, le séminaire Saint-Philippe est le présage d’un futur prometteur. Il est petit, mais le nombre de prêtres qu’il a confirmé dans leur vocation est proportionnellement sans comparaison. Les prêtres ne sont pas simplement diplômés en « sciences de la religion ».

Mais plus que cela, en notre époque de « crise des vocations », le séminaire Saint-Philippe les envoie avec des esprits déliés et des cœurs brûlants. Les étudiants ne sont pas seulement recrutés localement, ils viennent de loin, de communautés religieuses en Angleterre, aux États-Unis, en Allemagne, en Australie, mêlés dans une atmosphère évoquant l’époque où les grandes universités européennes prenaient corps.

L’école est tout en muscles sans une once de graisse : mon minuscule salaire en fait foi. Pourtant les bénéfices, même pour moi, sont énormes.

A enseigner, par exemple, Shakespeare – dans l’intention de donner accès à une compréhension profondément catholique, immortelle, de l’individu en relation avec la politique et la société, même si datant du Moyen-Age tardif – j’ai moi-même appris de jeunes gens vraiment impressionnants.

Et dans un environnement monastique, dénué des habituelles (et débridées) distractions de campus. Cela fait ressortir le meilleur d’eux-mêmes. Comme me le disait un étudiant : « le monde d’où je viens est petit, celui où je vais est immense : je ne pourrais jamais revenir en arrière. »

La remarquable « approche interdisciplinaire » du séminaire Saint-Philippe a été suggérée, il me semble, par Saint Philippe Néri lui-même, via le bienheureux John Henry Newman. Nous sommes dans une cité inconnue, et nous avons besoin d’une carte. Nous devons contempler la ville d’en haut, depuis le clocher de l’église. « Vous devez être au-dessus de votre savoir, et non en-dessous, ou alors il vous écraserai ; et plus vous aurez de savoir, plus vous serez fort. »


David Warren, Canadien, est un ancien rédacteur du magazine Idler et un journaliste à Ottawa Citizen. Il a une solide expérience du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.


Illustration : « Saint Philippe Néri » tableau de Guercino, 1656

source : http://www.thecatholicthing.org/2015/05/29/the-joined-up-approach/