Joseph Wresinski - France Catholique

Joseph Wresinski

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Le 14 février, le CESE (Conseil économique, social et environnemental) consacrait une séance plénière solennelle au 30e anniversaire de l’adoption de l’avis du père Joseph Wresinski : Grande pauvreté et précarité économique et sociale. Allocution du président de la République, lecture par Michael Lonsdale d’extraits du rapport de l’avis, témoignages, tables rondes, vote d’une résolution réaffirmant l’engagement du CESE à poursuivre la lutte contre la grande pauvreté. Tout cela était bien, bon et mérité.

Malheureusement, trente ans après, force est de constater que la grande pauvreté est toujours présente en France. Les diagnostics du père Wresinski sont encore d’actualité, notamment quand il dénonce « l’éclatement constaté de solidarités familiales élémentaires » comme cause importante de la grande pauvreté – parce qu’il croit au « rôle fondamental de la cellule familiale, tant dans la constitution de la personnalité que comme lien central de solidarité » – ou lorsqu’il insiste sur la nécessité de « fournir à tous les conditions d’un emploi adapté aux possibilités de chacun et aux besoins de la vie économique. »

Le Père Joseph, comme l’appellent ses proches, c’est du concret, du solide. « Une précarité ne détermine pas à elle seule une situation de grande pauvreté, pas plus que ne peut être identifiée une précarité première qui entraînerait toutes les autres », affirme-t-il. Quand il propose l’attribution d’une allocation pour les plus démunis, c’est en contrepartie d’un contrat de projet, avec engagement réciproque de la part des bénéficiaires et des responsables de l’accompagnement. « Dans tous les cas, il devrait être demandé un effort tenant compte des possibilités de l’intéressé », énonce-t-il. C’est, clairement droits et devoirs, avec un objectif affiché, favoriser à terme l’obtention d’un contrat de travail.

Le rôle de l’école est souligné pour « assurer les apprentissages fondamentaux, lutter contre l’illettrisme », mais aussi celui de la formation professionnelle. Le logement, la santé ne sont pas oubliés. S’il faut traiter l’urgence, « la réponse aux besoins immédiats des personnes et familles ne peut apporter de solution durable à leur situation », martèle-t-il. Il faut s’appuyer, pense-t-il, sur le service national, reconnaître les plus démunis comme des partenaires. Ils sont sujets et non objets.

Trente ans après, la mise en œuvre réelle de ces préconisations est donc bien laborieuse. Je ne parle pas des discours, des effets d’annonces, des mains sur le cœur et des promesses aussi tourbillonnantes que les feuilles mortes. Je parle du concret, pas celui qui consiste à déverser des millions pour calmer, provisoirement, l’agitation dans tel ou tel quartier ; je pense au nécessaire, celui qui consiste en une approche humaine et cohérente. Loin de la diabolisation des uns ou de l’angélisme des autres.

Ce serait faire insulte à tous ceux qui œuvrent au quotidien pour lutter contre la pauvreté que de considérer que rien n’a été fait. Les moyens déployés sont considérables quand on additionne les engagements financiers et humains de l’État, des collectivités locales, des associations et des partenaires sociaux. Mais il y a une faiblesse manifeste dans la philosophie générale.

Au cœur de la démarche du père Wresinski, il y a l’attention aux plus pauvres en reconnaissant leurs capacités à être acteurs de leur avenir. Pour ne prendre qu’un exemple, rénover des habitats insalubres doit pouvoir se faire, pour et avec les habitants, et quand une partie de ceux-ci est sans emploi, notamment des jeunes, c’est l’occasion de les former, de leur remettre le pied à l’étrier même si c’est plus difficile et plus risqué que de débloquer un budget en faisant intervenir une entreprise extérieure sans aucune démarche d’insertion.

L’avis du père Wresinski fut adopté par 154 voix pour, 40 abstentions et 0 contre. Il n’est pas inintéressant de noter que deux groupes se sont à l’époque abstenus : la CGT et le groupe des entreprises privées, dont un certain monsieur Gattaz, pas l’actuel patron du Medef mais Yvon, son père. Rendons hommage aux deux chefs d’entreprise qui ne respectèrent pas la discipline de vote de leur groupe et qui approuvèrent l’avis, messieurs Bocquet et Rebuffel (qui deviendra patron de la CGPME). Sans oublier le groupe des artisans qui comme un seul homme vota l’avis du Père.

L’hommage rendu par la 3e assemblée de la République au travail de son illustre membre reste à mes yeux incomplet. S’il fut rappelé, à juste titre, que le jeune Joseph naquit dans une famille très défavorisée, et qu’il connut dans son enfance la grande pauvreté, silence sur son engagement de prêtre. Or, comment comprendre les motivations profondes du Père en faisant l’impasse sur sa foi, sur son choix d’homme consacré de prêcher et vivre l’Évangile, sur son engagement dans et au service de l’Église ? Contrairement à 1987, en 2017 les documents du Conseil économique, social et environnemental citent Joseph Wresinski et non le Père Joseph Wresinski. L’excès de laïcité nuirait-il à la vérité ?