En recherche d'une résurrection - France Catholique
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En recherche d’une résurrection

Traduit par Bernadette Cosyn

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Ce qui ne tourne pas rond dans ce monde, selon la célèbre formule de Chesterton, c’est que personne ne demande ce qui est juste. R.R. Reno, théologien et commentateur social doué (également rédacteur de First Things), n’est pas atteint de cette déficience. Son nouveau livre, Resurrecting the Idea of a Christian Society (Ressusciter l’idée d’une société chrétienne) creuse profond dans nos difficultés actuelles.

Reno débute en nous mettant en garde contre ce que Démocrates et Républicains, libéraux et conservateurs ont porté aux nues : « le rêve américain ». Ces derniers temps, ce rêve a beaucoup grandi sur le plan purement économique (consumérisme et niveau social), et beaucoup moins sur le plan des vérités évidentes et des droits octroyés par Dieu. Nos élites économiques et culturelles ont énormément bénéficié de la globalisation et d’un multiculturalisme nébuleux. Le reste du pays – comme la campagne présidentielle actuelle le met en lumière – pas tant que cela. Et le fossé grandissant entre les riches et les pauvres est économique bien sûr, mais également moral, social et religieux.

Reno se tourne vers deux études hautement considérées pour quelques explications de base : « Our Kids » (Nos enfants) de Robert Putnam et « Coming Apart » (La désagrégation) de Charles Murray. Putnam (libéral modéré) et Murray (libertarien conservateur) en arrivent essentiellement aux mêmes conclusions sur ce qui promeut la santé sociale. Reno, qui est plus sophistiqué sur les questions éthiques et religieuses porte plus loin la perspicacité de leur vision. De Putnam, par exemple, qu’il apprécie par ailleurs, il note : « [Putnam] voit les institutions comme le mariage, la famille, les relations de bon voisinage et l’éducation comme bonnes parce qu’elles sont utiles pour ‘réussir’, non comme bonnes en elles-mêmes. »

Reno adopte Fishtown (le nom donné par Murray aux lieux de vie actuel des classes laborieuses) et Belmont (le nom qu’il a donné aux lieux de vie de l’élite) pour ses propres objectifs. L’abandon de l’éthique chrétienne – spécialement dans le domaine du mariage et de la famille – a blessé les adultes et les enfants de Belmont. Mais leur position et leur richesse relative dans une société globalisée leur permettent de gérer les conséquences. A Fishtown, l’effondrement de la famille et – plus encore – l’assaut contre les valeurs et les accords qui assurent la cohésion des familles et communautés fragiles, a été catastrophique.

Certains des problèmes de Fishtown découlent de changement dans l’économie globale. Après la Deuxième Guerre Mondiale, les travailleurs américains étaient dans une position sans pareille : avec la destruction de l’Europe, de la Russie et du Japon, nous avions un quasi monopole dans plusieurs secteurs, spécialement dans le secteur de la production industrielle. Cependant, à mesure où les autres nations se remettaient, et spécialement depuis la globalisation, les Américains se sont trouvés en compétition avec les travailleurs des nations en voie de développement, ce qui a fait baisser les salaires et a parfois supprimé des postes de travail – à Fishtown. Belmont se porte bien.

L’économie mise à part, Fishtown a reçu une grande claque sociale. Comme le dit Reno, la dérégulation de la culture est de plus grave conséquence que la dérégulation des marchés : « le progressisme actuel fait la guerre aux faibles. » Tandis que les élites de Belmont prêchent « le non-jugement », la tolérance et le multiculturalisme – Fishtown agonise.

A Belmont, ils suivent des bribes du vieux code de conduite chrétien. Les divorces sont moins nombreux, de même que l’usage de drogue, les familles mono-parentales, le crime et les naissances hors mariage. Leur étrange enthousiasme pour la « libération » – du christianisme, de l’autorité, de la famille, de l’hétérosexualité, et même de la nature avec le régime transgenre – qui rend de nombreux habitants de Belmont fort satisfaits de leur ouverture et de leur tolérance, est cependant ce qui frappe durement Fishtown. La perte de marqueurs sociaux et une culture d’assistanat exacerbent ses problèmes. Un individualisme autonome ne libère pas des gens avec une formation élémentaire, des compétences au travail et un mariage peu stable à développer leur propre sens de la vie. C’est plutôt le contraire. Ils ont besoin d’encouragements et d’une communauté.

Reno renverse la formule usuelle : « une option préférentielle pour les pauvres requiert ‘de l’esprit critique’, c’est-à-dire le courage de parler avec franchise de ce qui est juste et de ce qui est mauvais. » L’éthique de l’élite est au contraire une option préférentielle pour les riches.

Bien que la société civile devrait en être à chercher des solutions, les gouvernements et les politiques s’en mêlent bien sûr. Le gouvernement s’est développé – tyranniquement – là où les institutions civiles comme la famille reculent. Reno avertit du danger évident d’attendre des politiques qu’elles résolvent tous les problèmes, et de la nécessité de limiter le pouvoir du gouvernement, par le bas en renforçant les institutions de la société civile, et par le haut en reconnaissant qu’il y a des vérités et des biens plus élevés que les politiques.

Nous pouvons prendre courage dans ceci, dit-il. Les gouvernements, les cultures, toutes les civilisations connaissent des hauts et des bas. Ainsi de l’Amérique. Le christianisme, le judaïsme, les églises et les synagogues ont survécu aux millénaires, tout comme les Ecritures. Et tout comme la liberté des enfants de Dieu. Dans son chapitre « rechercher les choses supérieures », Reno explique comment l’ancienne notion hébraïque de herut – avoir la loi de Dieu gravée dans nos cœurs – est la « vraie liberté », une liberté plus riche et finalement plus libératrice.

Donc, malgré la croissance de groupes tels que celui des « Sans » (20% déclarent ne pas en avoir quand on leur demande leur religion) et nos étranges élites, il y a de l’espoir parce qu’il y a une force concrète dans la foi. Il y a toujours des dizaines de millions de vrais chrétiens dont la foi est en lien avec de vastes réseaux de vraies communautés. Par contraste, croit-il, la nouvelle éthique multiculturelle qui ne juge pas, bien que contrôlant pour le moment les hautes sphères de la culture, possède une « foi creuse. »

Les chrétiens ont été au cœur de tous les mouvements réformateurs en Amérique : l’abolition de l’esclavage, l’évangile social, les droits civils, le progressisme et même l’anti-communisme durant la Guerre Froide. Il n’est pas impossible que leur témoignage actuel, à contre-courant de la culture, puisse montrer à beaucoup qui ne deviendront pas eux-mêmes chrétiens que le changement de nos mœurs sociales n’est pas une libération.

Mais c’est un travail de longue haleine. Reno parle de créer une « culture nationale non pas dominée par les chrétiens mais fécondée par eux. » Un but qui en vaut la peine, et qui fonctionnait en partie par le passé. La démocratie chrétienne en Europe, et globalement, les partis et programmes « d’inspiration chrétienne. » Ceux-ci, par leur nature, n’ont jamais été très robustes, mais ils ont préservé l’Europe occidentale de devenir communiste après la Seconde Guerre Mondiale.

Cependant, ils n’ont pas réussi contre un adversaire plus subtil : le sécularisme et le nihilisme en Europe. Peut-être que l’Amérique se montrera une exception dans ce domaine comme dans bien d’autres.

Le physicien Stephen Hawking a un jour posé une question à propos de ses propres brillantes théories : « qu’est-ce qui souffle le feu dans les équations et crée un univers qu’elles puissent décrire ? » C’est un problème pour beaucoup de recherches intellectuelles, spécialement celles qui visent à des réformes sociales : qu’est-ce que ces vérités vont apporter à la vie ?

La réponse évidente est : le feu de l’Esprit-Saint. Si quelqu’un y prête attention.

Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing et président de l’institut Foi & Raison de Washington.

Illustration : le livre évoqué dans l’article

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/08/01/in-search-of-a-resurrection/