Démolir les églises, l’Eglise ? - France Catholique
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Démolir les églises, l’Eglise ?

Traduit par Yves Avri

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Il y a deux façons d’abattre un grand édifice. Ou plusieurs, si vous avez des avions et des missiles. Mais avec des outils conventionnels, vieille manière, vous pouvez ôter le toit, brique par brique. Plus astucieusement, essayer de toucher aux fondations. Quelques explosifs judicieusement placés ici et là et la chose tombera toute seule. Comme nous le savons aujourd’hui, grâce aux miracles de la télévision, un grand bâtiment, même un gratte-ciel, s’effondre tout droit, sur son emplacement ; il ne vacille pas comme un chêne. Pour beaucoup de gens, c’est contraire à l’intuition, mais pas pour les ingénieurs. Parce que le matériau tend à se répandre à sa base, vous n’êtes pas en sécurité près de la base d’un gratte-ciel qui s’effondre. Mais vous êtes parfaitement en sécurité du bon côté d’un arbre qui tombe (si vous avez observé correctement de quel côté il va le faire).

L’explication, selon moi, est la suivante. Les hommes construisent des gratte-ciel, mais c’est Dieu qui fait les arbres. Si les hommes pouvaient faire des édifices qui tombent de côté, ce serait des ingénieurs très remarquables. Ils pouvaient l’être, si j’en juge par la Tour penchée de Pise.

Aujourd’hui, on ne sait pas quelle analogie s’applique à la Sainte Eglise. Elle a son côté divin, et son côté très humain. Tombera-t-elle tout droit, comme elle était, ou de travers ? Et l’endroit où nous plaçons les explosifs fait-il une différence ?

Je suppose que nous avons en vue une démolition totale. Ce peut être discutable. Quelques-uns de nos évêques prennent tel ou tel parti, et j’en déduis qu’ils sont en train de négocier entre eux sur ce qu’il vaut la peine de garder.

Mais c’est adopter la méthode « brique par brique », qui, comme je ‘ai dit, est inefficace.

Vous enlevez, disons, le toit et seulement quelques arcs-boutants. Vous gardez une chapelle latérale, mais faites exploser la nef et l’aile nord. Il y en a qui veulent garder la croix de transept, une sorte de voûte mémorielle. Malheureusement elle n’est plus soutenue que d’un seul côté. La façade aussi tend à pencher en avant, puisqu’elle se trouve détachée de l’ensemble.
Il y a un plan pour convertir les cellules en appartements haut de gamme, mais cela veut dire qu’on vide le chapitre pour avoir un accès parking dans le cloître. Le réfectoire, semble-t-il, et les piliers semblent sur le passage. Le patron est contre les murs, totalement.

Cela devient difficile de coordonner tous les plans. Les gens veulent des choses contradictoires. Ils ne peuvent même pas s’entendre sur le projet d’ensemble d’une démolition sélective et d’une réaffectation. Il y a un groupe « rigide » qui aimerait tout conserver comme c’est. Même quand on les insulte, ils refusent de s’en aller.

Considérons le droit canon. Tel qu’il est, ou était, l’ensemble tient. De quelles règles pouvons-nous nous passer ? Ou étant donné l’antiquité de l’édifice, comment savons-nous ce qui est essentiel, et ce qui est simplement décoratif ? Et pour le décoratif, ce qui devait être barbouillé, et ce qui devrait être plâtré ?

Les réformateurs du XVIe siècle étaient face à des problèmes semblables. Pour chaque secte qui prenait le contrôle de son vieil édifice, les décisions de modifications étaient différentes. Toutes firent de leur mieux pour donner un nouvel aspect à l’ancien édifice, mais – étant donné sa dimension – on voyait quand même ses principaux traits apparaître. Aujourd’hui toutes les ruines se ressemblent beaucoup.

Et sont étrangement belles. Quand je voyageais, avant même de devenir chrétien, les ruines de l’Europe du nord m’enchantaient, d’une façon indubitablement romantique. Bien qu’opposé en principe au romantisme, j’étais attiré par leur silence.

Au Québec, par exemple, une partie de l’Amérique du nord, autrefois catholique de façon écrasante, la question est devenue un problème pratique vital. La fermeture des vieilles églises s’est révélée une entreprise d’importance. Heureusement pour la hiérarchie, au Québec comme en Allemagne et ailleurs, beaucoup se trouvaient sur des espaces urbains de premier choix et peuvent être échangées pour « trente millions de pièces d’argent ». Cela a son utilité quand il y a des crimes sexuels pour régler la facture. Et les acheteurs se chargeront des démolitions.

Mais ailleurs, dans les endroits plus ruraux, une question se pose. Est-il mieux de laisser une ruine pour rappeler aux gens leur passé chrétien ? Ou de laisser les cimetières vandalisés et envahis par la nature ? Ou balayer le tout et faire place nette ?

Je suis en train de confondre le local avec l’universel. Ma comparaison est trop lourde de sens : l’Eglise a effectivement une quantité de biens dont elle peut disposer. Aussi récemment que 1965, ces biens étaient encore utilisés ; un demi-siècle de réformes et aujourd’hui il n’y a presque plus rien.
Une génération de catholiques a été remplacée par une génération de « catholiques en rémission », et ensuite, une génération qui n’a rien d’où « se remettre ». L’attachement sentimental aux ruines a disparu, dont il est peu probable qu’il reviendra dans quelques siècles quand les responsables du tourisme reconnaîtront la valeur de tout ce qui physiquement est encore debout.

L’Eglise en tant qu’édifice vivant est pourtant encore avec nous. Les catholiques de nom sont toujours bien nombreux, même en Amérique ; et aussi, ou, dans quelques parties de l’Europe. Qu’est-ce qu’on va faire de leur héritage ? Quels morceaux à garder, lesquels à « recycler » ?

Comme notre Saint-Père en exercice l’a proclamé dernièrement, il vaut mieux être un athée qu’un chrétien hypocrite ; et puisque tout être humain sans exception est hypocrite (voir la doctrine catholique admise), sa décision semble être, de tout balayer et faire place nette.

Dans ce cas, cela n’a aucun sens d‘être sélectif. La réaffectation des lieux saints peut suivre son propre cours. Il y a après tout, un marché ouvert et nous avons tant à vendre. Ou à nationaliser, comme en France, si personne n’a les moyens d’acheter – là où quelques « rigides » se rassemblent encore dans les monuments que l’Etat maintenant possède, après les différentes révolutions françaises.

Mais pour la Sainte Eglise elle-même, remplacer une chose spécifique par une autre paraît être un trop gros travail. La dynamite est placée ici et là dans les fondations, et on peut compter sur la gravité pour faire le reste.

3 mars 2017

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/03/03/notes-on-church-demolition/

Tableau : Les ruines d’une église par John Swete, c. 1800 [Musée Royal Albert Memorial, Exeter]

Le Berry Républicain du 4 mars 2017 : La destruction de l’église de Jussy n’est pas inéluctable

http://www.sppef.fr/2017/02/15/le-berry-republicain-du-15-fevrier-2017-jussy-veut-raser-son-eglise-des-xiiie-xviiie-xixe-siecles/

http://www.sppef.fr/2017/03/04/le-berry-republicain-du-4-mars-2017-la-destruction-de-leglise-de-jussy-nest-pas-ineluctable-notre-reponse/