COPERNIC CINQ SIÈCLES APRÈS - France Catholique
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COPERNIC CINQ SIÈCLES APRÈS

Chronique n° 137 parue initialement dans F.C. – N° 1372 – 30 mars 1973

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Portrait de Copernic par Jan Matejko : Conversation avec Dieu.

Portrait de Copernic par Jan Matejko : Conversation avec Dieu.

Il existe encore en Angleterre une Association des partisans de la Terre plate. Ces honorables gentlemen soutiennent calmement que notre planète n’en est pas une, que le bon vieux plancher des vaches s’étend à l’infini dans toutes les directions, et que si, partant tout droit vers l’est en avion ou par tout autre moyen on se retrouve un peu plus tard, venant de l’ouest, à son point de départ, c’est qu’on ne sait pas s’y prendre. Ils affirment qu’en cherchant bien on finira par trouver le moyen de sortir de la petite prison tracée par des géographes ignares. Ils citent des explorateurs qui, disent-ils, auraient aperçu au-delà du pôle Sud (certains disent du pôle Nord) de vastes étendues de terre vierge n’attendant que leurs colonisateurs. Ils dénoncent vigoureusement l’escroquerie des prétendus satellites tournant autour de la Terre, vrais attrape-nigauds qui, Dieu merci, n’ont pas trompé tout le monde.

Il est vrai que tout existe en Angleterre. Une autre association y a démontré depuis longtemps que, certes, la Terre est bien ronde, mais pas dans le sens qu’on croit : les antipodes, d’après ses adeptes, ne seraient pas sous nos pieds, mais bien sur notre tête (il faudrait donc les appeler des anticéphales). Nous marcherions à l’intérieur d’une boule creuse, les pieds vers l’extérieur, le ciel serait à l’intérieur de la boule, et nous vivrions au-dessus d’un univers infini fait de terre et de roche. La Terre ne serait qu’une bulle dans cette plénitude sans bornes.

Recycler Archimède

Il est consolant de penser que de telles théories puissent encore être soutenues par des hommes en liberté, exactement un demi-millénaire après Copernic, né il y a exactement cinq siècles, le 19 février 1473. Elles montrent que la cervelle humaine est capable de tout, et que sa résistance dépasse de loin celle des derniers aciers spéciaux.

Mais, en même temps, quand on se rappelle que pendant des millénaires tous les hommes, y compris les plus grands esprits, ont cru la terre plate, on ne peut s’empêcher de se demander s’il n’y a pas, parmi les « évidences » maintenant acceptées de tous, quelques beaux équivalents de cette théorie.
C’est là un joli sujet de méditation, surtout si l’on y adjoint le fait qu’un bachelier de 1973 sait plus de mathématiques qu’Archimède. Si avec la machine de Wells à remonter le temps, nous pouvions atterrir dans Syracuse assiégée et sauver Archimède cinq minutes avant son assassinat par les soldats de Marcellus, un bon professeur serait capable de lui enseigner en trois jours tout ce que l’humanité entière a découvert en matière de mathématiques jusqu’au milieu du XIXe s.

Archimède serait capable de comprendre la machine à vapeur en dix minutes et le moteur à explosion en un quart d’heure. Il y a donc peut-être des vérités que nous n’atteindrons que dans deux mille ans et qui ne se trouvent pourtant qu’à un quart d’heure de réflexion1 !

Ce quart d’heure de réflexion, pourquoi nous prendra-t-il deux mille ans ?

Je crois que la réponse à cette question est moins compliquée qu’elle n’en a l’air : je crois que nous ne savons réellement jamais si ce qui doit être trouvé dans deux mille ans ne sera pas trouvé, en fait, dans un quart d’heure, tout simplement par quelqu’un qui y aura pensé.

Les tenants du déterminisme historique ont très probablement à la fois raison et tort, en matière de progrès intellectuel. Raison, car tout ce qui est trouvable sera inévitablement trouvé tôt ou tard, et si ce n’est par le génie, ce sera par la patience. La machine à vapeur et le moteur à explosion se trouvaient déjà, à terme, dans les expériences et les calculs d’Archimède.

Mais ils ont tort aussi, parce qu’on a cent exemples historiques, où l’on voit une idée révolutionnaire germer et se développer dans une pensée rigoureusement solitaire et en contradiction avec tout le monde.

Copernic est un de ces exemples. On a beau jeu de dire maintenant que l’époque était mûre, que les grands navigateurs, par exemple, en parcourant les océans, ouvraient les esprits à des théories nouvelles. Mais on pouvait très bien faire le tour du monde sans gêner en aucune façon ceux qui plaçaient la Terre au centre de l’univers. La preuve que Copernic développa ses idées en contradiction complète avec son temps nous est donnée tout simplement par l’histoire de sa vie. Bien qu’ayant vécu soixante-dix ans, il n’osa jamais ni publier ni même diffuser sa théorie2. À peine l’expliqua-t-il à quelques élèves, et ce n’est qu’en 1540 que l’un de ceux-ci (Georg Joachim von Lauchen, plus connu sous le nom de Rhéticus), en publia un petit exposé, la Narratio Prima. Or, ce que l’on trouve dans la Narratio Prima, on a la preuve que Copernic le savait dès avant 1515, peut-être même dix ans plus tôt.

En 1542, Rhéticus obtient de lui qu’il accepte de publier son œuvre. Il a 69 ans. Les éditeurs sont tellement inquiets de ce qu’ils lisent dans le manuscrit que l’impression tarde, que Copernic meurt le 24 mai 1543, sans avoir vu son livre imprimé. Il ne s’en fallut d’ailleurs que de quelques jours. Le livre de Copernic, qui s’appelait, on le sait, Des révolutions des orbes célestes, expliquait pourquoi il est impossible et contraire aux observations que la Terre soit au centre du monde. Il montrait que tous les phénomènes célestes se comprennent bien mieux si l’on admet que ce centre est, non pas la Terre, mais le Soleil. À première vue, il ne s’agissait là que d’une dispute de spécialistes. Après tout, que le Soleil tournât autour de la Terre ou que ce fût le contraire, quelle importance, comme le remarquait Sherlock Holmes ?

Cependant, le scandale (posthume), fut énorme. Il est amusant de lire que ce scandale fut provoqué par l’opposition acharnée de l’Église et de Luther (« Ce nouvel astrologue, ce fou qui prétend bouleverser l’astronomie ! », s’écriait le réformateur.)3 Les Églises (catholique ou luthérienne), jouèrent alors le rôle que le corps constitué de la science s’efforce toujours de faire jouer aux puissances en place, quelles qu’elles soient. C’est la science du temps qui manœuvre les Églises comme elle tend inévitablement à manœuvrer maintenant les mass media, l’Université4.

Combats d’idées

Les savants de l’époque, qui croyaient dur comme fer à Ptolémée, obéirent au réflexe traditionnel de la paresse mentale, et plutôt que d’avoir à changer d’idée, ce qui est toujours fatigant, trouvèrent plus facile de faire condamner la théorie nouvelle.

Il serait temps, un demi-millénaire après Copernic, de comprendre les enseignements psychologiques de la révolution copernicienne. Le premier est sans doute qu’il existe une éternelle contradiction entre la découverte de la vérité et les mécanismes par lesquels elle se transmet. La découverte est destructrice, la transmission est conservatrice. Celui qui trouve agit en révolutionnaire ; celui qui transmet, en défenseur des idées reçues. Notre Université n’est qu’apparemment révolutionnaire : elle peut l’être du point de vue social, en tant que classe. Mais elle reste tout aussi rétive que jadis aux idées nouvelles dans le domaine qui est le sien. Les chercheurs le savent5.

L’autre enseignement est de sagesse : c’est qu’il est bon qu’il en soit, ainsi. Toutes les nouveautés ne sont pas bonnes. Elles ne font leurs preuves qu’à l’épreuve. Que le premier mouvement soit le scepticisme oblige le novateur à s’obstiner, et l’enfantement est une longue obstination. Que deviendraient les idées sans affrontement ? Elles mourraient. Les idées sont comme les êtres vivants. Elles ne grandissent ou ne disparaissent que dans la lutte. Le repos les sclérose et les transforme en fossiles. C’est ce qui explique le retard grandissant pris par les pays où la discussion est interdite6.

Aimé MICHEL

P.S. – Un lecteur, M. Fernand P., de Paris, me demande si la fuite des galaxies ne montre pas que la Terre est quand même au centre de l’univers7.

Non. Car on constaterait cette même fuite de n’importe quel point de l’univers. Les galaxies s’éloignent simplement les unes des autres, uniformément et en tous les points de l’espace, comme les molécules d’un gaz qui explose. Si du moins la théorie de l’expansion de l’univers correspond à une réalité.

(*) Chronique n° 137 – F.C. – N° 1372 – 30 mars 1973 reproduite dans La clarté au cœur du labyrinthe (Aldane, Cointrin, www.aldane.com), chap. 18 « La science et sa méthode », pp. 480-483.


Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 22 octobre 2012

  1. Voir la chronique n° 53, À dix minutes de l’an 4000, (Dix minutes pour comprendre une idée qui ne sera conçue que par un génie de l’an 4000), parue ici le 24.01.2011
  2. Dans la dédicace de son livre au pape Paul III, Copernic (1473-1543) explique ainsi son hésitation à le publier : « Je veux bien présumer, très Saint Père, que certaines gens, en apprenant que, dans mon livre Sur les révolutions des sphères célestes, j’attribue des mouvements à la Terre, vont hurler que pour avoir soutenu une opinion de ce genre, je devrais être chassé de la scène par des sifflets… Ainsi je me suis demandé pendant longtemps si je devais publier par écrit mes réflexions démontrant la rotation de la terre, ou s’il valait mieux suivre l’exemple des Pythagoriciens et d’autres, qui avaient coutume de ne communiquer leurs mystères philosophiques qu’à leurs amis et à leurs intimes, et ceci sans l’écrire, seulement de bouche à oreille… En considérant cette matière, la peur du scandale que la nouveauté de mon opinion et son absurdité apparente, m’attirerait, m’a presque persuadé d’abandonner mon projet. » (cité par Denis Alexander, Science et Foi. Evolution du monde scientifique et des valeurs éthiques, trad. par Jacques-Paul Borel, Editions Frison-Roche, Paris, 2004, p. 112)
  3. Ce propos de Luther sur Copernic (« Ce fou qui prétend bouleverser toute l’astronomie ») a été souvent répété, surtout depuis le XIXe siècle, y compris par les experts universitaires, pour illustrer l’opposition des Églises à l’héliocentrisme. Le célèbre historien des sciences Thomas Kuhn résume bien le sentiment général quand il écrit « Les dirigeants protestants comme Luther, Calvin et Melanchton servaient de guides en citant les Écritures contre Copernic et en exigeant une répression contre les disciples de celui-ci » (La Révolution copernicienne, Fayard, Paris, 1973). Comment résister à une thèse si logique et défendue avec tant d’unanimité ? Pourtant, comme bien souvent en ces matières, le retour aux sources ne confirme pas les opinions souvent tranchées, répétées par tous.

    Luther (1483-1546) avait pris l’habitude, à partir de 1520 environ, de réunir ses disciples chez lui pour discuter de sujets variés au cours de repas bien arrosés. Plusieurs de ces disciples commencèrent à prendre des notes et à les échanger entre eux. Au moins deux recueils de notes ont été publiés.

    Le premier dû à Johann Aurifaber, fut publié en 1566, vingt ans après la mort de Luther, sous le titre de Propos de table. C’est de ce recueil qu’est tiré la phrase « Ce fou qui prétend bouleverser toute l’astronomie ». Aurifaber n’ayant pris de notes lui-même qu’en 1545 et 1546, son recueil se fondait en grande partie sur les notes d’autres étudiants, souvent de deuxième ou troisième main.

    Le second recueil, celui d’Anton Lauterbach, plus soigneux, ne fut publié qu’en 1916. Selon ce dernier, le 4 juin 1539 (un an, donc, avant la publication du De Revolutionibus) Luther aurait parlé d’un « astrologue nouveau » (on ne distinguait pas encore astrologues et astronomes à l’époque) en ces termes : « Quiconque veut être intelligent ne doit être d’accord avec rien de ce que les autres croient. Il doit faire quelque chose de neuf par lui-même. C’est ce que ce garçon fait, qui veut mettre sens dessus dessous toute l’astronomie. Cependant, à propos de ces choses qu’on plonge ainsi dans le désordre, je crois dans les Saintes Ecritures, car Josué a commandé au soleil de rester immobile et non à la terre. » L’astronome en cause est très probablement Copernic, bien que son nom ne soit pas cité. La tonalité du propos est bien différente de celle rapportée par Aurifaber.

    Dans ces conditions il est difficile de savoir ce que Luther a vraiment dit ce jour là. Il est possible qu’il ait réagi avec scepticisme à l’égard de la nouvelle astronomie mais on n’a aucune preuve de son hostilité envers elle et qu’il ait dit « ce fou » (Aurifaber) et non « ce garçon » (Lauterbach). En fait, Luther n’a jamais fait référence à Copernic dans ses œuvres publiées. Loin de se montrer hostile à l’astronomie, il écrit : « les astronomes sont les experts par lesquels il est le plus convenable d’apprendre ce qu’on peut savoir sur ces sujets (soleil, lune, étoiles, etc.). Pour moi, il suffit que dans ces corps célestes (le soleil et la lune), si beaux et si nécessaires à la vie, nous reconnaissons la bonté de Dieu et Son pouvoir. » D’ailleurs, on s’expliquerait mal le développement de la science en terre protestante si elle avait été à ce point en contradiction avec la philosophie des fondateurs du mouvement.

    Quant à Calvin (1509-1564), dans son Commentaire sur la Genèse, après avoir cité le premier vers du psaume 93, « le monde aussi est fondé de façon stable, on ne peut le déplacer », aurait demandé « qui s’aventurerait à placer l’autorité de Copernic au-dessus de celle du Saint-Esprit ? » Cette citation, reprise avec délectation par de nombreux auteurs, n’est qu’une pure invention. Elle apparaît pour la première fois sous la plume d’un certain F.W. Farrar en 1886. En réalité, Calvin dans toute son œuvre n’a pas cité une seule fois Copernic et il n’est même pas sûr qu’il ait jamais entendu parler de lui.

    Cet exemple de la manière dont on écrit l’histoire, en particulier celle du « conflit séculaire entre science et foi », ne manque pas de faire réfléchir. Comme l’écrit avec humour Samuel Butler, cité par Denis Alexander, « Bien que Dieu ne puisse modifier le passé, les historiens le peuvent » !

    Sur Luther et Calvin, voir Denis Alexander (op. cit., chapitre 5) qui s’appuie notamment sur l’article de D. H. Kobe, Copernicus and Martin Luther : an encounter between science and religion, American Journal of Physics, 66: 190-196 (1998). Pour le côté catholique, voir par exemple la note 8 de la chronique n° 103, Avant l’homme et au-delà (Un univers infiniment peuplé de créatures intelligentes), parue ici le 12.02.2012.

  4. Aimé Michel étend cette analyse à Galilée et à Lamarck dans deux chroniques reproduites dans La clarté au cœur du labyrinthe (op. cit.), les chroniques n° 337, Et si l’intelligence acceptait ses limites ? (p. 672, chapitre 26) et n° 485, Avant la naissance de l’homme (p. 163, chapitre 5).
  5. La même idée est exprimée par Jean Fourastié, par exemple : « Je viens de parcourir des manuels de physique et de chimie pour les classes de première et de seconde. Là tout n’est qu’ordre et beauté… Il n’y a pas de place pour l’immensité de l’ignorance humaine, ni pour l’erreur commune aux “raisonnements” cérébraux… (…) Quel contraste entre l’acquisition de la science qui se fait et l’enseignement de la science formée ! Rien dans ces manuels ne peut faire même soupçonner le véritable processus du progrès de la science, le combat qu’il faut mener pour tirer le “faux” du “vrai”, pour vaincre l’évidence au bénéfice de l’expérience ; pour assujettir le rationnel à l’expérimental. (…) Tous les grands débats qui ont fait progresser la science et formé les hommes à l’esprit scientifique sont passés sous silence. Le professeur même les ignore. Il ne reste que la petite bière d’une rationalité sans histoire, sans faille et sans borne. N’importe quel cancre rit avec Pascal des idées du Père Mersenne, n’importe lequel se gausse de ses millions d’ancêtres qui ne savaient pas que la terre est ronde. » (Faillite de l’Université ?, Idées n° 257, Gallimard, Paris, 1973, pp. 113-115). Voir aussi du même auteur Les conditions de l’esprit scientifique, coll. Idées n° 96, Gallimard, 1966.
  6. Ce texte, parmi d’autres de même tonalité, montre le pragmatisme d’Aimé Michel dans les multiples « combats d’idées » auxquels il s’est livré en tous domaines, et que l’ensemble des présentes chroniques illustre. Il sait la limite de ces combats qui l’opposent à des idées conformistes et majoritaires, mais il accepte la règle du jeu sans découragement car « il est bon qu’il en soit ainsi ». Remarquons cependant que cette conception, due à Karl Popper, de la lutte darwinienne des idées – que la « meilleure » idée gagne – ne présente pas que des côtés positifs. En réalité, ce sont les partisans de ces idées qui se combattent ! Ce qu’André Pichot résume ainsi : « le vainqueur est celui qui laisse le plus de descendants (c’est-à-dire le plus de disciples au sein de l’institution), les armes utilisées n’ont souvent rien de scientifique et, parfois, elles confinent même à la malhonnêteté, la fraude et la falsification. » (préface du livre de G.N. Amzallag, la Raison malmenée. De l’origine des idées reçues en biologie moderne, CNRS Editions, Paris, 2002, p. 6). Pichot et Amzallag fondent leur argumentation sur l’histoire de la biologie. On comprend mieux dans ce contexte le sort de disciplines controversées comme la parapsychologie, voire inexistantes (institutionnellement parlant) comme l’ufologie…
  7. Suite à la chronique n° 133 La création à pile ou face (Est-on sûr que l’univers a eu un commencement ?, parue ici le 14.03.2011) où Aimé Michel expose la théorie de Jean-Claude Pecker et Jean-Pierre Vigier selon laquelle la masse du photon ne serait pas nulle. Cette théorie (abandonnée semble-t-il) permettait d’expliquer le rougissement de la lumière des galaxies lointaines. L’explication couramment admise est que ce rougissement est dû à l’expansion de l’univers.