Adam et Eve, la deuxième chance - France Catholique

Adam et Eve, la deuxième chance

Adam et Eve, la deuxième chance

En s'inspirant de la première de toutes les histoires d'amour, Pascal Obispo nous livre un show époustouflant destiné à bousculer le récit de la Genèse afin d'offrir à Adam et Ève un nouveau départ. Une version New Age du jardin d'Éden qui n'évite aucun des poncifs du Peace and Love biblique.
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Comme l’affiche du spectacle le suggère par son graphisme, l’Adam d’Obispo appartient à la cité futuriste d’Eden, décalque de New York… the Apple, la bien-nommée ! Il est le général en chef de l’armée formatée de Solus qui règne en maître sur le CAC 40 et tient fermement la barre d’une monnaie figurée par un € rappelant l’euro ? Mais non ! € Comme Eden bien sûr ! C’est la capitale du Village Global décrit par Mac Luhan, le fleuron de la mondialisation, la quintessence du « meilleur des mondes ». Autour de Solus et d’Adam, une armée bottée, marchant au pas de l’oie : les soldiers ! La référence au IIIe Reich est sibylline… Solus, interprété par Solal (physique à la Georges Clooney et belle voix puissante), le seul, l’unique, Dieu, figure paternelle et paternaliste, est présenté de façon subversive comme l’incarnation du mal. Il a une fille, Lilith, elle aussi inspirée du récit biblique. En effet, les deux récits de la création de l’homme qui se succèdent dans le livre de la Genèse ont donné à croire qu’il y aurait eu deux femmes : la première, Lilith (Is 30,14) aurait refusé d’être soumise à l’homme ; la seconde Eve, aurait accepté d’être son « aide en face » (Gn 2,18). Or Lilith, figure démoniaque, croqueuse d’hommes et tueuse d’enfants selon la légende, est ici campée par Liza Pastor, blonde sublime, corsetée de guêpières noire ou rouge, n’hésitant pas à entreprendre un numéro lascif et acrobatique de pole dance pour convaincre ce blondin d’Adam de l’épouser : « cash, trash et sex toys ! / I hope you enjoy …J’sais faire gonfler ton bénéfice…for you wanna be my luv ». On est loin d’un divertissement familial quoi qu’en dise Pascal Obispo !

Et la blonde infernale n’hésite pas, quand Adam lui préfère Eve, à « corriger » sa rivale en la saisissant par les cheveux et en la traitant de « conne qui lui a pris (son) homme… sainte-nitouche, avec qui (son) ex couche ! » Rimes riches qui donnent tant de relief à des textes souvent approximatifs où se bousculent les lieux communs d’une pensée boboïsante. A ce titre, la chanson intitulée « et Dieu dans tout ça » se distingue par son affligeante vacuité : « et Dieu dans tout ça ?/Est-ce qu’il a encore la foi ?/Est-ce qu’Il croit en nous ?/Pour y croire si peu/Sans doute qu’on le déçoit/O.K. ! » … K.O Jésus Christ qui crut tellement en l’homme qu’il a donné sa vie pour lui. Il semble que Pascal Obispo ait oublié jusqu’au sens de son prénom !

De l’autre côté :

De « l’autre côté » de cet univers citadin seulement préoccupé de « l’avoir », il y a le monde originel de « l’être », vestige du paradis perdu. Snake (le serpent en anglais) en est le leader incontesté d’autant qu’il est campé par le très charismatique Nuno Resende, dont la voix et la présence scénique sont littéralement hypnotiques. L’arrivée, par les allées du Palais des Sports en début de show de la horde des exclus du système à la suite du conteur dégingandé, Mynt (Sam Stoner) guitare et haut-de-forme, n’est pas sans rappeler les premiers tableaux du musical Notre-Dame de Paris avec le personnage de Gringoire ouvrant la voie aux « sans-papiers ». Cependant ici, il s’agit plutôt d’une troupe haute en couleurs de « bons sauvages » comme Rousseau devait les imaginer, écologie oblige ! Tous danseurs, modernes et classiques, circassiens et acrobates servant avec brio les chorégraphies inspirées de l’univers des arts martiaux du chorégraphe Tokyo Kevin Inouye. Parmi eux, avatar d’Esméralda, Eve, métisse solaire (la brillante Cylia) incarne les idées et les valeurs du nouvel Eden. Ils vont venir troubler la fête nuptiale en enlevant Adam qui, malgré son rôle de général en chef des soldiers, n’oppose étrangement aucune résistance, subjugué par la beauté d’Eve dont le nom signifie pour Obispo « la vie » (c’est plutôt « la vivante »cf. Gn 3,20). Nous assistons au premier coup de foudre de l’histoire humaine avec force éclairs et tonnerres !

Adam et le serpent, même combat :

Adam découvre ce qu’il ne soupçonnait pas, « l’autre côté », un peuple opprimé … ou plutôt une cohorte de « techniciens de surface » car c’est, balai et serpillière en main, que Snake lui fait les honneurs de son royaume ! On aurait aimé voir évoquer les chaînes tayloristes du made in china par exemple, mais ce ballet de balais laisse perplexe et affaiblit considérablement le propos du librettiste. La démonstration perd toute sa force et du coup, la révolte d’Adam, scandalisé par cette injustice sociale, semble complètement factice. A ce titre, sans doute Thierry Amiel, révélé par «  à la recherche de la nouvelle star », prête-t-il sa voix cristalline et ses allures de dandy classieux à un Adam hors normes – Adam signifiant « le rouge » et non « le blond », on s’attendait plutôt à un métis peut-être un peu plus roots ! – pour former avec Ève le couple idéal. Mais, au milieu de cette troupe qui sait si bien « bouger », Thierry Amiel a l’air gauche, emprunté, comme mal à l’aise dans un rôle qui, pour être le premier, lui laisse cependant peu de choses à défendre : «Là où d’autres ont plié et gardent les yeux fermés (parce qu’ils prient peut-être ?)/Là où d’autres à genoux/sont traînés dans la boue/Je serai à leur côté, jusqu’au bout/Je serai un éternel révolté/J’peux pas me taire/Laisser couler les larmes/J’frai pas la guerre, mais j’en frai ma bataille. » La différence est subtile mais l’expérience, hélas, montre que les bons sentiments ont leurs limites. Mais on ne peut lui reprocher d’y croire d’autant plus que Snake, son mentor, est des plus convaincant.

Inversion des valeurs

De Strawberry (« fraise » en anglais) la meilleure amie d’Ève, jouée par la gentille Noémie Garcia, on ne sait que dire sinon qu’au niveau du livret, elle est aussi utile que la fraise sur le gâteau, mignonne figurine d’une boîte à musique géante arrivée on ne sait pourquoi dans ce décor astucieux et volontiers onirique qui se plaît à convoquer pêle-mêle les univers les plus inattendus. La scénographie due à Mark Fisher, habitué des grands shows à l’américaine, tire le meilleur parti des éléments de décors et des costumes très imaginatifs, à la fois sophistiqués et indigènes de Christine Jacquin déjà mise à contribution dans le Roi-Soleil ou Cléopâtre, la dernière reine d’Égypte de Kamel Ouali. Si la création lumière, les chorégraphies souvent acrobatiques et le brillant casting font d’Adam et Ève un grand show, si la forme est séduisante et même bluffante par moment, le fond ne saurait convaincre. Le livret pèche vraiment par sa faiblesse. Il est cousu des fils verts du politiquement correct.

Adam et Eve, en évitant l’écueil fatal qui coûta la vie à Roméo et Juliette, eux aussi transfuges d’univers irréconciliables, par la force de leur amour seront le germe d’une nouvelle civilisation. On ne saurait que souscrire à un projet si fédérateur ! Mais c’est méconnaître les forces limitées de l’amour humain blessé par la faute originelle que Pascal Obispo n’effleure qu’à peine, faisant de la pomme un objet de désir dans la bouche d’Ève déclarant sa flamme à Adam : « si j’étais Eve/Croquerais-tu la pomme… si j’étais Ève/Serais-tu le premier homme ? » Sans doute l’amour est-il notre unique futur. Mais sans la liberté, point d’amour ! C’est la raison d’être de l’arbre au milieu du jardin d’Eden : permettre à Adam et Ève d’opérer un choix : avec Dieu ou sans lui, en faisant alliance avec le serpent par qui la mort est entrée dans le monde. C’est cette mort de l’être qui mine l’amour humain, que le Christ, nouvel Adam est venu régénérer pour faire de l’humanité entière la Nouvelle Eve.

Pascal Obispo a beau mettre à l’œuvre son indéniable talent de mélodiste et toute la palette des couleurs musicales de la pop au musette, il a beau avouer ne pas vouloir faire « une interprétation approximative de la Genèse », il vole néanmoins au secours d’un humanisme convenu qui se sert abusivement des codes de la Révélation judéo-chrétienne pour mieux les subvertir. Quelque soit le brio de la forme, il ne saurait masquer le fond fallacieux. La force des Dix commandements venait d’une relative fidélité au livre de l’Exode et à l’authenticité des enjeux humains. Adam et Eve n’ont pas cette chance. Ne crée pas l’Eden qui veut !

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