"Abstiens-toi de tout mal." - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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« Abstiens-toi de tout mal. »

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Je suis catholique et médecin. Converti au catholicisme, on m’a souvent demandé d’expliquer ma foi et de donner les raisons des imperfections relevées dans le Credo catholique. « Pourquoi croyez-vous… ?» ou « Comment pouvez-vous justifier… ?» Au lieu de me mettre sur la défensive, je me sens soucieux de répondre à ce genre de questions. Après tout, ces questions, je les ai posées. Je suis venu au catholicisme attiré entre autres par le magnifique environnement de la foi et la raison lumineuse.

Bizarrement, nul ne m’a jamais demandé, en tant que praticien, d’expliquer ma foi en la médecine. Question évidente pour un domaine où l’activité commence par le serment « abstiens-toi de tout mal… » Et pourtant la question est abordée sans discussion car la médecine est une science. En tant que telle, on la prend pour honnête, véridique et capable de se corriger.
Évidemment.

Mais permettez que je propose quelques idées acquises au cours de quinze ans de pratique médicale et de contact avec les merveilles de la science.
La science est un outil splendide. Je pratique la médecine générale depuis quinze ans et je me suis incliné humblement devant ce que la médecine peut réaliser. Un homme amené aux urgences avec une attaque cardiaque peut se faire introduire un cathéter par l’artère fémorale [à l’aine] et installer un stent salvateur dans l’artère coronaire obturée.

Une femme victime d’une attaque peut sentir le soulagement de tout son côté gauche peu après l’injection de thrombolyse (dissolution du caillot). Un enfant éprouvé par la leucémie peut espérer retourner sur le terrain de base-ball grâce à une chimiothérapie moderne. Sans parler des traitements extraordinaires de la septicémie, des troubles cardiaques, ou des prématurés. En vérité, la science peut être un outil merveilleux.

Mais elle peut aussi être lamentable. Des années durant, on a incité les gens à suivre un régime sans matières grasses. Et on avait tort. Un traitement hormonal compensant la ménopause a peu d’effets secondaires, affirmions-nous. Et pourtant, il y en a. Prenez des anti-oxydants, contrôlez votre taux d’homocistéine, n’oubliez pas de prendre davantage d’huile de poisson. Erreur, erreur, erreur. Et je ne parle pas du dépistage du cancer de la prostate, du complément de vitamine D, ni de thalidomide pour femmes enceintes. La science nous a donné des certitudes sur tous ces sujets. Puis y a renoncé. La Science peut être un drôle d’outil.

Je ne suis pas un apostat de la médecine traditionnelle qui va chanter les louanges des cocktails végétaux magiques ou donner un coup de trompette en honneur de l’art oublié de la phrénologie. Non. Je suis simplement réaliste. La Science est un outil merveilleux, mais sujet à erreur. Je parierais bien qu’on dépense davantage que dans n’importe quel autre domaine (sauf la recherche pétrolière et nucléaire) pour avoir une médecine bien d’aplomb. Pourquoi donc ?

Réfléchissons un instant. Dans quel domaine les gens sont-ils touchés plus intimement, avec un impact plus fort en cas d’incident ? Vaccinations, antibiotiques, dépistages, interventions chirurgicales, tout le monde est concerné par la médecine. Et malgré les contrôles aléatoires, les essais en double aveugle, les vérifications avec placebos… on peut encore se tromper.

Un bon ami, chercheur en médecine, le Dr. Michael Cummings, nous rappelle que les préjugés, les repères auxiliaires, une extrapolation mal venue, ou le simple hasard (rappelons que cinq pour cent d’une étude estimée « statistiquement significative » a son résultat dû au hasard) nous fera prendre nos meilleurs efforts pour des certitudes.

Mais est-ce étonnant? Ça ne devrait pas. Un système d’interprétation bâti et mené par de pauvres humains ne sera jamais à l’abri de l’erreur. Notre quasi-certitude n’est qu’une approximation. Une courbe asymptotique n’atteint jamais ld contact, mais s’en approche indéfiniment avec toujours un brin d’erreur incontournable.

Pour que la Science soit opérationnelle, il faut, si j’ose dire, un peu de foi. Il y a incertitude et imperfection. Il reste un mystère qui brouille constamment la recherche scientifique, et nous rabaisse dans nos certitudes. On part de suppositions — il en faut — pour établir les principes scientifiques. Et c’est très bien.

Mais.

Quand on oublie cette vérité première de la science — elle n’est pas infaillible — on va au-devant des ennuis. Quand on croit que nos suppositions sont des faits solides, indiscutables, on devient trop confiant. Et à notre insu nous risquons de voir la science, outil utile, se transformer en dogme intolérant. On refuse les corrections. On évacue les contradictions.

Attention, l’outil de la science en devient l’idéologie. Et le potentiel néfaste va croissant. Hippocrate, père de la médecine, a sans doute mieux dit. À voir les faiblesses et tentations de l’homme et de son art, le premier conseil d’un médecin pourrait se résumer en quelques mots: «Primum non nocere – d’abord, s’abstenir de tout mal.» À juste raison.

Catholique et médecin, je crois encore à la médecine. Je crois aux efforts que je peux fournir pour aider mes patients à vivre une existence mieux remplie, plus riche. Je ne suis pas cynique. Mais chaque jour me rappelle que la pratique médicale est pleine à la fois de merveilles et d’imperfections. Je suis mis en garde, incité à l’humilité dans la pratique et la compréhension. La médecine est une science imparfaite, je suis un être imparfait.

Voici quinze ans que je pratique la médecine. Qu’ai-je appris? La Science est un outil merveilleux… et parfois un outil trompeur. Credo incertain, dogme terrible. Nous devrions nous interroger sur la science aussi souvent que sur notre foi.

Oui, abstiens-toi de tout mal.

17 novembre 2014.


Le Docteur Tod Worner est un nouveau membre de l’équipe The Catholic Thing. Marié, père de famille, conférencier sur l’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale. Ce converti à la foi catholique en explore les aspects mystiques et intellectuels.

Source : First, Do No Harm

Portrait : Saint Luc par James J. Tissot, vers 1890 – Musée de Brooklyn

« La science ne ment pas . . .» Adolf Hitler.

« L’Âge de pierre pourrait revenir, porté par les ailes scintillantes de la science.» Winston Churchill.