AU LARGE DE JUPITER - France Catholique

AU LARGE DE JUPITER

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Les chiffres transmis à la Terre par Pioneer 10 à la fin de la première semaine de décembre alors qu’il croisait au large de Jupiter sont maintenant analysés1. Et ces chiffres représentent depuis le lancement du premier Spoutnik la contribution la plus importante de l’astronautique à la réflexion philosophique.

En gros, comme le déclarait dès le 7 décembre le professeur I. Rasool, directeur des programmes planétaires de la NASA, Pioneer 10 nous a révélé que la planète Jupiter est une quasi-étoile, et qu’elle eut, pendant la genèse de notre système solaire, il y a quatre milliards et demi d’années, une véritable activité stellaire ou substellaire2. Pour comprendre la portée de cette découverte, il faut d’abord jeter un coup d’œil sur ce que l’on savait précédemment de l’origine de la Terre et des planètes.

La réflexion des astronomes

Rappelons donc d’abord que notre Soleil est une petite étoile de la classe G. Rien ne le distingue des autres étoiles de sa classe, qui sont des dizaines de milliards dans notre galaxie. On sait aussi qu’une forte proportion des étoiles sont groupées à deux, trois ou davantage, qui tournent autour d’un centre de gravité commun. En fait, il existe sans doute une majorité d’étoiles multiples3. Le Soleil, lui, est actuellement une étoile simple. Autour de lui ne gravitent que des planètes, c’est-à-dire des astres n’émettant apparemment aucune lumière propre.

La forme, la nature et la disposition des neuf planètes de notre système autour de leur étoile le Soleil est l’objet de la réflexion des astronomes depuis des siècles. Les faits les plus remarquables qu’ils ont observés sont les suivants

1. les planètes ont une densité d’autant plus élevée qu’elles sont plus proches du Soleil ;

2. si une planète est petite, elle est au voisinage du Soleil ; si elle est grosse, elle est loin de lui ;

3. si une planète est très petite, elle n’a pas ou presque pas d’atmosphère ; plus elle est grosse, plus son atmosphère est épaisse ;

4. on déduit de tout cela que les planètes trop proches du Soleil ou trop petites n’ont pas ou peu d’atmosphère.

Tous ces faits sont expliqués par l’astrophysique récente, et plus particulièrement par les effets, de pression de radiation et de vent solaire. A l’origine, le milieu cosmique où le Soleil et les planètes se forment par condensation a une composition à peu près homogène.

Dès que le Soleil, suffisamment échauffé par sa condensation, se met à rayonner et à projeter des particules, son souffle chasse loin de lui les éléments légers, hydrogène, hélium, oxygène et autres gaz libres. Les molécules plus lourdes (métaux, oxydes, carbonates, silicates, etc.) restent et forment le noyau des planètes solides (Mercure, Vénus, Terre, Mars, la Lune). Mercure, trop prés du Soleil et trop petit pour contrebalancer l’effet de la pression solaire, perd son atmosphère. Vénus et la Terre, assez grosses, gardent la vapeur d’eau, le CO2, l’azote, quelques traces de gaz lourds. Mars, plus éloignée mais trop petite, ne garde qu’une atmosphère ténue. Au-delà, c’est le grand désert des planétoïdes, puis commence la zone des grosses planètes gazeuses, dont la plus énorme est Jupiter, 318 fois plus massive que notre petite Terre, entourée de son cortège de lunes (une douzaine)4.

C’est ce cortège que Pioneer 10 a traversé au début du mois prenant photos sur photos et un nombre immense de mesures. Le dépouillement de ces mesures et de ces photos montre une fois de plus que comme Pascal disait, « l’imagination se lasse plus tôt de concevoir que la nature de fournir ».

En effet, tout d’abord, la température de l’atmosphère extérieure de Jupiter est anormalement élevée : tous les chiffres recueillis varient entre −215 et −230° F ; cette température est également répartie tout autour de la planète : autrement dit Jupiter est aussi chaude la nuit que le jour ; enfin la planète rayonne deux fois et demie plus d’énergie qu’elle n’en reçoit du Soleil. Elle est donc elle-même, comme les étoiles, source d’énergie, et selon le docteur G. Minch, sa température centrale actuelle doit être évaluée à quelque 10 000 °F5.

Jupiter aurait-elle donc été jadis une étoile ?6 S’il en était ainsi, tout ce que j’ai dit plus haut sur la relation entre la nature des planètes et leur distance au Soleil devrait se retrouver aussi entre les satellites de Jupiter : les plus denses devraient être les plus proches de la « planète ». Or c’est bien ce qu’a observé Pioneer 10. Non seulement les plus proches sont les plus denses, mais on retrouve entre les quatre principaux satellites de Jupiter les mêmes corrélations de densité qu’entre Mercure, Vénus, la Terre et Mars de la part du Soleil. Tout semble donc bien prouver que Jupiter fut d’abord une petite étoile.

Quatre milliards d’années

Voilà qui donne à réfléchir ! Car non seulement se retrouve ainsi directement confirmé ce que Van de Kamp avait déjà établi par l’observation indirecte, à savoir qu’autour de toute étoile il y a des planètes7, mais les densités relatives des satellites joviens mesurées par Pioneer 10 précisent que ces planètes ne sont pas n’importe quoi : la naissance de la Terre telle qu’elle est ne doit rien au hasard, elle est l’effet d’une règle ! Car ce ne peut être par hasard que la configuration si particulière Mercure – Vénus – Terre – Mars se retrouve dans celle des quatre grands satellites de Jupiter, qu’il vaudrait mieux désormais appeler des planètes.

Enfin, si Jupiter fut jadis une étoile, cela répond une fois pour toutes à la question de savoir si la vie peut apparaitre dans les systèmes d’étoiles multiples, puisqu’il existe des traces de vie terrestre remontant à presque quatre milliards d’années, c’est-à-dire justement à l’époque où Jupiter rayonnait encore. Il ne semble pas que l’étoile Jupiter ait empêché la naissance de la vie terrestre ! La nature décidément ne se lasse guère de fournir.

Aimé MICHEL

(*) Chronique n° 166 parue dans France Catholique − N° 1 410 − 21 décembre 1973

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Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 3 décembre 2012

  1. Les sondes Pioneer 10 et 11 qui ont survolé Jupiter à un an d’intervalle (décembre 1973 et décembre 1974) ont été suivies par les sondes Voyager 1 (mars 1979), Voyager 2 (juillet 1979) et Ulysses (février 1992). La sonde Galileo a fait mieux : elle s’est mise en orbite autour de la planète géante en décembre 1995 et a libéré un module de descente qui a analysé l’atmosphère jovienne. En décembre 2000, la sonde européenne Cassini, lancée en octobre 1997, survole également Jupiter en route pour Saturne. Ces observations in situ ont été complétées par celles obtenues à partir du sol terrestre ou de satellites en orbite terrestre, notamment pour les rayonnements dans l’ultraviolet et l’infrarouge qui sont arrêtés par l’atmosphère.
  2. L’hypothèse que Jupiter ait pu être une étoile au début de sa vie n’a pas survécu à l’épreuve du temps, voir note (6). Je me souviens qu’à l’époque Ichtiaque Rasool, qui parlait notre langue, apparaissait régulièrement à la télévision pour commenter les missions spatiales de la NASA. Né en 1930 en Inde, dans une riche famille musulmane, il obtint son doctorat en Sciences atmosphériques à Paris en 1956. Il émigra ensuite aux Etats-Unis et devint citoyen américain en 1970. Chercheur à la NASA, il y reçut plusieurs prix, dont le plus prestigieux, la médaille pour les Réalisations scientifiques exceptionnelles, en 1974. Il s’intéressa ensuite aux cycles du carbone et de l’eau. Il est l’auteur de plusieurs livres dont Système Terre (Flammarion, 1993) et d’une autobiographie (voir son site http://ichtiaquerasool.com). Il vit actuellement à Paris.
  3. Les systèmes formés de deux, voire trois étoiles en orbite les unes autour des autres sont effectivement assez fréquentes. Cela tient à ce que les étoiles naissent de la contraction de nuages de gaz et de poussières et que, le plus souvent, plusieurs noyaux d’effondrement apparaissent au sein du même nuage. Par la suite les étoiles formées peuvent s’éloigner les unes des autres, à moins qu’elles ne soient suffisamment proches ou massives. L’observation des étoiles les plus proches du Soleil a révélé de nombreux systèmes multiples de ce genre. Sur les 7 étoiles les plus proches du Soleil qui ne sont pas des naines rouges, cinq sont doubles ou triples. Bien qu’il ne soit pas facile d’estimer de manière fiable le nombre de ces systèmes multiples, leur proportion semble être de l’ordre de 50-60%. Ainsi dans un rayon de 5 parsecs (16 années-lumière environ) autour du Soleil on a trouvé 46 étoiles dont 27 isolées, 14 doubles et 5 triples. Sur les 258 étoiles situées entre 5 et 10 parsecs, 131 sont isolées, 48 doubles et 10 triples. Les systèmes multiples appartiennent à plusieurs catégories : étoiles doubles aux orbites bien connues, paires éloignées, mais aussi paires si proches qu’on ne peut les séparer visuellement mais seulement par des mesures interférométriques. En outre, les orbites des étoiles d’un système multiple ne sont pas dans un même plan et sont très excentriques, c’est-à-dire qu’elles ne décrivent pas des cercles mais des ellipses très allongées.

    Une planète ne peut subsister durablement dans un système binaire que si elle tourne autour de deux étoiles très proches l’une de l’autre ou bien autour de l’une des deux étoiles, l’autre étant très éloignée. Dans l’état actuel de nos connaissances ces deux situations ne semblent pas favorables à l’éclosion de la vie mais il est certainement trop tôt pour conclure.

  4. Ce scénario de formation des planètes du système solaire est toujours d’actualité. Selon le « modèle standard » actuellement retenu, les planètes se sont formées à partir d’un disque de poussières et de gaz entourant le jeune Soleil. Ces grains de plus en plus gros se sont agrégés (on dit « accrétés ») ce qui permet de comprendre pourquoi les planètes (à la différence des étoiles dans les systèmes multiples) ont des orbites presque circulaires, sont situées dans un même plan et tournent toutes dans le même sens. Toutefois l’accrétion s’est produite de manière différente dans les zones intérieure et extérieure du système solaire, ce qui explique l’existence de deux familles de planètes, les planètes formées de glaces à l’extérieur et celles formées de roches à l’intérieur :

    A grande distance du Soleil, la température était suffisamment basse pour que les glaces formées d’éléments légers (méthane CH4 à base de carbone, ammoniac NH3 à base d’azote, eau H2O à base d’oxygène,…) demeurent à l’état solide. Des noyaux de glace de grande taille se sont formés dont la masse (et donc la gravité) était suffisante pour attirer les gaz environnants principalement formés d’hydrogène et d’hélium. Ainsi sont nées les planètes géantes (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, de 25 000 à 72 000 km de rayon) dont la densité moyenne est faible (0,7 à 1,5 g par cm3) car elles sont composées essentiellement d’hydrogène et d’hélium.

    A des distances plus faibles du Soleil, la température était plus élevée si bien que seuls les éléments plus lourds pouvaient exister sous forme solide (silicates et métaux). Ceux-ci étant bien moins abondants que les éléments légers (C, N, O…) n’ont pu former que de petits noyaux de masse insuffisante pour accréter l’hydrogène et l’hélium. En outre, le vent solaire (un plasma ionisé de protons et de noyaux d’hélium), dont on sait qu’il est très violent chez les étoiles jeunes, atteignait 100 000 fois la pression de radiation actuelle, si bien qu’il a pu balayer les particules les plus petites (jusqu’à quelques centimètres). Il en est résulté les planètes telluriques (Mercure, Vénus, Terre et Mars) de faible rayon (2 400 à 6 400 km) et de densité relativement élevée (3 à 6 g par cm3). Les éléments volatils et l’eau présents aujourd’hui sur Terre pourraient provenir d’un réensemencement ultérieur par des comètes et météorites venant des régions externes du système solaire.

    Cependant la découverte à partie du début des années 1990 des premières planètes extrasolaires, d’abord autour d’un pulsar en 1992 (PSR1257+12 à 300 parsecs de nous) puis d’une étoile en 1995 (étoile 51 de la constellation de Pégase à 15 parsecs), a apporté des surprises. En effet l’exoplanète en orbite autour de 51 Pégase a une masse élevée (au moins la moitié de Jupiter) et une période de révolution courte (4,2 jours) ce qui signifie que, contrairement au modèle, une géante gazeuse peut se situer très près de son étoile, à l’intérieur de la limite des glaces. Une première façon de résoudre la contradiction est de supposer que la planète s’est formée à l’extérieur de la ligne des glaces puis a migré à l’intérieur, divers mécanismes étant invoqués pour rendre compte de cette migration. Une seconde solution s’appuie sur un modèle différent de disque circumstellaire, plus massif, produisant des planètes de structure différente de celles trouvées dans le système solaire.

    Quelle que soit la solution qui s’imposera, il faut garder présent à l’esprit que les méthodes de détection actuelles favorisent grandement la mise en évidence de planètes massives proches de leur étoile. Ces méthodes ne permettent pas encore de détecter des planètes de mêmes caractéristiques que celles du système solaire autour d’une autre étoile, les planètes telluriques étant trop peu massives et les planètes géantes ayant une période de révolution trop longue. Les connaissances actuelles demeurent donc très partielles. Malgré tout elles suggèrent qu’existe une grande diversité de systèmes planétaires et que le système solaire n’en est pas la norme.

    Les lecteurs intéressés par les recherches actuelles sur les exoplanètes et la vie dans l’univers consulteront avec profit les ouvrages de Vincent Boqueho, La Vie, ailleurs ? (Dunod, Paris, 2011, 244 pp.) et de Florence Raulin-Cerceau et Bénédicte Bilodeau, D’autres planètes habitées dans l’univers ? (Ellipses, Paris, 2011, 218 pp.).

  5. Exprimées en degrés Celsius, les températures en degrés Fahrenheit indiquées par Aimé Michel sont : −137 à −146 °C (dans l’atmosphère extérieure) et 5500 °C (au centre de Jupiter). Aujourd’hui, grâce au module de descente de Galileo, on connait le profil thermique de l’atmosphère de Jupiter. A mesure que l’on s’enfonce dans cette atmosphère formée surtout d’hydrogène et d’hélium la température diminue jusqu’à un minimum d’environ −170 °C sous une pression d’un dixième d’atmosphère (cette zone marque la tropopause) puis remonte ensuite. Bien que les zones plus profondes ne soient pas accessibles à l’observation directe, on sait que la température et la pression y augmentent et que Jupiter (comme les autres géantes gazeuses), à la différence des planètes telluriques, n’a pas de surface. On suppose que le cœur central est formé d’hydrogène et d’hélium sous très forte pression entourant un noyau de roches et de glaces. La température à l’interface entre le noyau et l’enveloppe extérieure serait de l’ordre de 23 000 °C bien supérieure donc à la valeur proposée en 1973.

    Par contre, l’existence d’une source d’énergie interne sur Jupiter (ainsi que Saturne et Neptune, mais pas Uranus) découverte en 1969 a été confirmée par toutes les mesures ultérieurs. Comme indiquée à l’époque cette énergie interne est bien du même ordre de grandeur que l’énergie solaire absorbée. On pense que ces planètes, qui étaient à l’origine plus chaudes et plus volumineuses, continuent de se refroidir et de se contracter de nos jours, ce qui serait à l’origine de l’énergie interne observée.

    Pour en savoir plus voir par exemple Thérèse Encrenaz et coll., Le système solaire (EDP Sciences/CNRS Éditions, 2003), notamment le chapitre 8 consacré aux planètes géantes.

  6. L’idée que des réactions thermonucléaires aient pu naître au cœur de Jupiter au début de son existence puis se soient arrêtées par la suite a été abandonnée. Une boule de gaz de ce genre, avec allumage temporaire de réactions thermonucléaires, est appelée une naine brune ; c’est un objet intermédiaire entre une planète géante et une étoile (« substellaire » écrit Aimé Michel). La masse d’une naine brune doit être au moins 13 fois supérieure à celle de Jupiter pour déclencher la fusion du deutérium (isotope de l’hydrogène dont le noyau est formé d’un proton et d’un neutron). En raison de la faible abondance du deutérium cette fusion ne dure que peu de temps (une dizaine de millions d’années). La première naine brune, isolée dans l’espace, a été détectée en 1999.

    Si la masse de la boule de gaz excède 74 fois la masse de Jupiter la naine brune se transforme en étoile : en effet la température et la pression au cœur de l’astre deviennent alors suffisantes pour déclencher la fusion de l’hydrogène (au noyau formé d’un unique proton) en hélium (dont l’isotope le plus abondant comporte 2 protons et 2 neutrons). Cette réaction nucléaire dégage une grande quantité d’énergie qui empêche l’étoile de se contracter davantage. Elle est à l’origine des rayonnements que l’étoile émet et fournit par conséquent l’essentiel de l’énergie nécessaire au fonctionnement de l’écosystème terrestre.

  7. Les observations de Peter van de Kamp sur l’étoile de Barnard (située à moins de 6 années-lumière de nous, donc l’une des plus proches étoiles) n’ont pas été confirmées (voir note d de la chronique n° 8, Combien y a-t-il de terres dans l’espace ? parue ici le 06.07.2009). Néanmoins, sa conclusion pourrait n’être pas si éloignée de la réalité. Même si beaucoup d’étoiles n’ont pas de planètes, la plupart des systèmes en comptent plusieurs ; ainsi le système de Gliese 581 pourrait comporter au moins 7 planètes (voir la chronique n° 103, Avant l’homme et au-delà, Un univers infiniment peuplé de créatures intelligentes, mise en ligne le 13.02.2012).