A propos du mal - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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A propos du mal

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Les « tu dois » et « tu ne dois pas » des Dix Commandements nous ont été donnés, pensait Chesterton, afin que, connaissant les quelques actions à éviter, nous puissions profiter des millions d’autres qu’il est bon de faire. Les Commandements ne nous ont pas été donnés pour nous étouffer. Ils approfondissent presque indéfiniment le champ de ce que nous pouvons connaître et accomplir. Les choses que nous ne devrions pas faire, si nous passons outre, si nous sommes sincères avec nous-mêmes, tournent généralement en amertume dans notre bouche. Elles nous rendent inférieurs à ce que nous devrions être, à ce que nous savons très bien que nous devrions être.

De temps en temps, il est bon de jeter un coup d’œil au mal. Nous vivons dans un monde visiblement abîmé. Nous avons besoin de nous en souvenir précisément de peur d’être pris de court faute d’attention aux vraies raisons qui font que les choses vont mal. De même, le monde est plein de théories désopilantes expliquant pourquoi les choses vont mal. Quand on creuse un peu, la plupart d’entre elles font l’impasse sur la véritable localisation du mal.

Le mal n’est pas une illusion. Quand il s’introduit dans le monde, il change quelque chose. Mais personne ne proclame qu’il n’y a absolument rien de mauvais. L’homme qui vole verrouille sa porte chaque soir. Ou, comme Samuel Johnston l’a un jour souligné, si un homme dans un élégant dîner de gala, déclare solennellement aux invités qu’il ne voit aucune raison théorique à la propriété privée, ses hôtes feraient bien de compter l’argenterie en fin de soirée.

Mais le mal n’est pas non plus une chose différente. Toutes les choses sont bonnes. Nous pourrions parler de mauvais hommes ou de mauvais anges. Ce faisant, nous ne voulons pas dire que ce qui devait être cet homme ou cet ange était mauvais. Cela n’est pas, même si un homme ou un ange donné a agi de façon épouvantable. Le mal existe dans un intermédiaire par ailleurs bon.

Pourquoi cela n’est-il pas juste un pieux double langage ? Cela l’est tant que l’on ne l’a pas examiné plus soigneusement. Cette vision va paraître spectaculaire, mais le mal existe dans le monde des anges comme dans le monde des hommes à cause d’une décision plutôt imprudente de la part du Créateur. Cette décision invitait des êtres qui n’étaient pas des dieux et ne le seraient jamais dans la vie intime de la Trinité. Cette « invitation » était, strictement parlant, « antinaturelle » à la fois pour les anges et pour les hommes. Quoi qu’il puisse leur être « dû », ce n’était sûrement pas une légitime participation à la vie même de Dieu. Pour participer de la sorte, il fallait qu’ils soient invités et élevés dans leur être même.

Mais dès cette élévation, la situation s’est retournée contre Dieu. C’est-à-dire qu’en raison de Son propre choix créateur, Dieu ne pouvait pas faire entrer dans Sa vie quiconque choisissait de ne pas y entrer. Si Il essayait de le faire contre sa volonté, Il irait à l’encontre de Lui-même et de la créature libre qu’Il avait faite.

Donc, Dieu était coincé. Si l’une ou l’autre de ces créatures, en toute conscience, décidait qu’elle se préférait à Dieu et désirait suivre ses propres chemins, il fallait la laisser avec ce qu’elle avait choisi. Toute amitié, en particulier l’amitié divine, requiert d’ être choisie par les deux parties. Du coup, Dieu, voyant un rejet humain au départ, a instauré un plan alternatif. Nous l’appelons la rédemption. Il était basé sur le fait que les hommes avaient toujours à accepter le chemin de la rédemption : à travers la Croix. Bien évidemment, les anges, en raison de leur nature, ne pouvaient pas se voir offrir une seconde chance.
Cette affaire transcendante, qu’a-t-elle à voir avec le mal ? Tout, ainsi qu’il s’avère. Saint Paul nous dit que le monde lui-même « gémit » en raison des désordres apportés par les créatures libres, qui semblent être reliées l’une à l’autre dans le bien et le mal. La localisation du mal se trouve donc dans un être qui n’avait pas besoin de choisir le mal mais qui l’a fait. En d’autres mots, il inscrit dans le monde un acte qui provoque le manque de quelque chose qui aurait dû être là.

Excusez-moi, mais comment peut-ont introduire un manque dans ses propres actions ? C’est extrêmement simple, en fait. Nous n’avons pas besoin de l’exprimer en une « théorie » fantaisiste : nous disposons de nous-mêmes et de nos actions comme d’un laboratoire d’observation. Chaque choix que nous faisons aurait pu être autre. C’est ce que signifie le libre arbitre. Les Commandements nous conseillent, et nous savons souvent par expérience, que certaines choses ne devraient pas être faites.

Comme Socrate l’a dit : « il n’est jamais juste de faire le mal ». Ce que nous faisons n’est pas sans conséquence. Nos vies veulent dire quelque chose pour Dieu et pour tous ceux qui nous entourent. Le mal signifie que par ce que nous faisons en ce monde, nous pouvons choisir explicitement ou implicitement de rejeter l’invitation de Dieu à participer à Sa vie éternelle. Dieu a pris le risque de nous créer libres. Empêcher que cette liberté tourne de travers par le choix du mal aurait nécessité en premier lieu que Dieu ne nous créât point. Cette voie-là n’a pas été choisie.

James V. Schall, qui a été professeur à l’université de Georgetown durant 35 ans, est l’un des écrivains catholiques les plus prolixes en Amérique.

Illustration : La chute des anges rebelles, par Pierre Bruegel l’Ancien, 1562 [Musée des Beaux-Arts de Bruxelles]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/02/28/on-evil/