A propos de goyaves - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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A propos de goyaves

Traduit par Yves Avril

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Wallace Stevens, c’est bien connu, « posa une jarre dans le Tennessee ». (Voir ses Poésies complètes). Elle était ronde, et sur une colline, et c’était une étendue déserte et broussailleuse qui entourait la colline.

Je viens juste de jeter un coup d’oeil sur son « Anecdote de la jarre » dans la Wicked Paedia comme je l’appelle 1, et j’ai découvert à ma surprise horrifiée qu’il y a de très nombreuses interprétations de ce poème. Entre autres, une perspective « nouvelle critique », qui en fait un texte sur la production de textes ; une perspective « poststructurale » sur la disjonction temporelle et linguistique ; une perspective féministe, sur la domination du mâle ; une « critique culturelle » sur l’impérialisme industriel ; et une remarque de style vieille école, littérale, par l’estimée Helen Vender, qui note une allusion à l’ « Ode sur une urne grecque » de Keats, mais ensuite s’égare dans une spéculation sur ce que Stevens a bien pu vouloir dire.

Entre parenthèses, aucune de ces interprétations n’est correcte. Mais je veux cacher l’interprétation correcte par crainte d’exciter une controverse ultérieure.

Qu’il suffise de dire que le poète Stevens disait la vérité. De plus c’est une vérité démontrable, comme il l’affirma justement. ; vraiment une vérité aisément démontrable. Changez légèrement les termes, et tout le monde doit pouvoir le voir.

Placez une tour de 100m de haut au milieu d’une ville dans laquelle la chose la plus haute est le clocher d’une église, et cela changera la nature de cette ville. La ville va commencer à l’entourer. Elle va paraître exister en relation avec cette tour ; et non pas n’importe quelle relation, mais une relation de dépendance. La jarre de Stevens était un geste plus subtil et plus élégant.
Remarquez qu’il n’a pas spécifié quelle sorte de jarre. Aux universitaires suggérant maintenant un bidon de rhum Dominion (apparemment courant dans le Tennessee de 1918) on devrait dire que s’il avait voulu dire un bidon, il aurait dit un bidon. Rond, sur une colline, c’est tout ce qu’il dit. Et « haute, et tenant bien sa place dans l’air ». Son emploi du mot « dominion » aurait été une ironie (typiquement stevensonienne).

C’est peut-être une bonne chose que les facultés de Littérature anglaise s’en aillent tout doucement vers l’extinction. C’était drôle quand les universitaires éprouvaient une crainte respectueuse devant les poètes, n’étant jamais sûrs de bien les comprendre et passant des années à chercher une meilleure interprétation par de petits ajouts cumulés. Mais maintenant qu’ils savent mieux que le poète, ils peuvent tous aller au diable.

Pourquoi ai-je placé l’adjectif « estimée » devant le nom d’Helen Vender, et pourquoi avoir appelé son travail « vieille école ». Je l’ai peu lue, mais j’ai tiré profit de ce que j’ai lu d’elle, même (peut-être spécialement) quand je n’étais pas d’accord avec elle. Elle fournit invariablement quelque petit fait, ou attire l’attention sur quelque petit tour, qui améliore l’appréciation, et donc la compréhension.

En d’autres mots, ce n’est pas l’équivalent esthétique et intellectuel d’une brute. Tandis que nos facultés anglaises semblent être toutes, actuellement, sous la direction de brutes idéologiques, cherchant à réduire la poésie à quelque chose de ((radicalement) non-poétique.

Cependant mon titre promettait quelque chose sur les goyaves, et je ne voudrais pas décevoir la patiente lectrice. De plus, c’est un site catholique, et je ne dois pas négliger l’angle théologique.

Il y a deux jours, à Toronto au marché de la rue Kensington, rue ethnique mélangée, je suis tombé sur un nombre considérable de goyaves, présentées dans une voiure des quatre saisons, et très bon marché. Je préciserai que c’étaient des goyaves d’un vert éclatant, pas mûres. Je fus immobilisé par la vue de ces goyaves et aussi par leur odeur. La lectrice qui n’a jamais senti une goyave devrait immédiatement sortir pour en chercher une.

Plus tard, elle peut envisager de la manger. Elles mollissent comme des poires : la peau est comestible, et la chair on peut en parler rien qu’au toucher. De plus la peau prend une teinte vert plus pâle, tournant au jaune, avec un soupçon de rose. Vraiment si la lectrice fait de l’aquarelle, elle prendra un plaisir infini à l’étude des goyaves, ce qui, en retour, sera un test de son extraordinaire habileté à mélanger les pigments.

Car Dieu, comme je le constate chaque jour, fait, sans y toucher, rougir tous les aquarellistes. Il peint la sorte de beauté qui est cachée au simple regard, et la tâche de l’artiste humain est de la découvrir, et de l’interpréter. Cela demande un génie extraordinaire de voir ce qui se trouve exactement droit devant vos yeux, et une habileté extraordinaire de le révéler aux autres.
Et la couleur en est le début : car Dieu dessine aussi.

Mais laissez-moi prendre un raccourci, comme on dit en Amérique du Nord. J’en achetai une douzaine et en retournant à mon appartement, je les mis dans un plat sur la table de cuisine, pour les laisser mûrir quelques jours.
Mon appartement en ce moment sent la goyave. C’est spécialement vrai de la cuisine. Cela me ramène au paradis, par la voie de souvenirs d’enfance en Asie (bien que la goyave fût originellement un fruit du Nouveau Monde). C’est une nouvelle interprétation de la chaleur d’un été continental, d’une manière tropicale tout à fait sensuelle.

Un bon ami catholique, qui n’a jamais goûté une goyave, m’a demandé d’une façon quelque peu ironique si saint Paul les a incluses dans sa liste de choses bonnes – vrai, beau etc.

Oui, j’y ai réfléchi, saint Paul était très fort sur les goyaves ; bien que pour dire la vérité, les Indiens Arawaks n’ont pas eu la courtoisie d’en livrer aucune à Tarse, et, au temps de Paul, nulle part ailleurs dans le Vieux Monde – si bien que l’ « option préférentielle » de Paul pour les goyaves devait être exprimée dans les termes grecs les plus abstraits et philosophique.

Je suis sûr qu’il doit avoir béni les flottes portugaises et espagnoles qui plus tard cinglèrent vers les Indes occidentales, pour y chercher des goyaves.
Il y a d’autres manières de considérer les goyaves, les jarres, les Arawaks en leur temps et lieu (disparus maintenant comme les chrétiens et les yezidis d’Irak), les navires qui cinglent et bien d’autres choses. Je ne peux aller plus profond dans les ramifications théologiques, je laisse cela à d’autres.
Mais laissez moi dire que l’odeur de mes goyaves pénètre tout cela.

samedi 9 août 2014


David Warren est l’ancien rédacteur en chef du magazine Idler [Oisif] et chroniqueur au Ottawa citizen. Il a une expérience étendue du Proche et de l’Extrême Orient. Son blog Essays in Idleness [Essais en oisiveté] peut être consulté maintenant sur http://davidwarrenonline.com/

Photo : Wallace Stevens.

Source : An aside on Guavas

  1. Evidemment jeu de mots sur Wikipedia : wicked signifie « malfaisant ».