Voltaire était-il un justicier ? - France Catholique
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Voltaire était-il un justicier ?

Des générations d’élèves ont appris à voir en Voltaire le héraut de la justice et de la Raison dans un Ancien Régime marqué par l’« arbitraire » et le « fanatisme religieux ». Qu’en est-il vraiment ?
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Portrait de Voltaire, 1732, Quentin de La Tour, château de Ferney-Voltaire, Ain. © Fred de Noyelle / Godong

On lui pardonne ses saillies violemment antisémites, son racisme exécrable – après tout, qui peut totalement s’extraire des préjugés de son temps ? On lui passe ses défauts, son orgueil, sa vénalité ou ses fréquents mensonges. On ferme les yeux sur ses rapports très ambigus à la traite négrière. La Lumière déversée à flot sur l’humanité par Voltaire contrebalancerait toutes ses parts d’ombre. Il serait le symbole d’une lutte contre l’« obscurantisme » et le « fanatisme religieux ». Cependant cette image d’un Voltaire soucieux des causes perdues et luttant contre un système juridique absurde et inhumain appelle de sérieuses nuances. Les recherches historiques les plus récentes démantèlent, en effet, deux légendes symétriques : la légende noire du système judiciaire de l’Ancien Régime – en réalité beaucoup plus juste et performant qu’on l’a imaginé – et la légende dorée d’un Voltaire, cavalier blanc luttant de toutes ses forces contre ce système.

Voltaire n’est pas un héros

S’il eût trouvé la mort avant ses 68 ans, on n’aurait jamais entendu parler d’un Voltaire s’engageant pour les persécutés. C’est, en effet, à la fin de sa vie et pour des raisons idéologiques qu’il va s’intéresser au sort de Jean Calas. Le fils de ce huguenot avait été retrouvé étranglé. Sans qu’il y ait suffisamment de preuves décisives, Jean Calas avait été reconnu coupable d’avoir tué son fils pour l’empêcher de se convertir au catholicisme. Il avait fini roué et étranglé, avant d’être brûlé vif. Voltaire, sollicité par la famille de Jean Calas, avait rapidement entrevu dans cette affaire une formidable occasion d’« écraser l’infâme » – c’est-à-dire de combattre le « fanatisme » – et qu’importe qu’il fût protestant ou catholique, pourvu qu’il fût religieux. Si le père Calas était coupable, alors son fils était mort à cause de la barbarie calviniste de son père. Mais s’il était innocent, il avait été injustement condamné à mort à cause du fanatisme catholique des juges. Dans tous les cas, la religion était flétrie. Voltaire s’était engagé dans la bataille, employant sans scrupule l’exagération, la déformation des faits, l’insinuation, voire le mensonge, et avait fini par faire réhabiliter Calas.

Puis, ce fut le combat pour Sirven, affaire dont les ressorts sont à peu près identiques. Au même moment, Voltaire s’émouvait du sort du chevalier de La Barre, condamné à la mort pour blasphème et sacrilège. Il faut dire que l’écrivain était impliqué dans l’affaire : son Dictionnaire philosophique aurait inspiré ce blasphémateur. Voltaire craignait pour sa liberté, voire pour sa vie. À la fin de sa vie, l’écrivain s’intéressera épisodiquement à des affaires judiciaires, luttant contre un système qu’il estimait fondamentalement injuste, irrationnel et négligeant les droits des prévenus car « entièrement tiré de la jurisprudence ecclésiastique »

Une justice pas si mauvaise

Mais comme le montre Benoît Garnot – universitaire spécialiste du système judiciaire au XVIIIe siècle – dans le très éclairant C’est la faute à Voltaire…, les affaires dont s’occupe Voltaire ne sont absolument pas représentatives du système judiciaire de son temps dont il a une connaissance superficielle. Par exemple, Voltaire conteste sans cesse le système des témoignages, car les juges s’appuieraient sur des « rumeurs ». Cependant, à une époque où une « investigation scientifique » était inconcevable, le rôle des témoins était crucial. En l’absence de témoins directs, on pouvait – dans des cas rares, exceptionnels – utiliser des « demi-témoins ». Par exemple, un déposant rapportant des propos tenus par un témoin direct mais décédé. Comme il fallait deux témoins oculaires irréprochables pour condamner un accusé, quatre demi-témoignages avérés pouvaient constituer une preuve. Ce n’était ni absurde, ni parfait. Mais on était loin de s’appuyer sur des ragots.

De la même manière, Voltaire présente tendancieusement le secret des procédures, comme s’il servait de paravent à tous les abus. Or, ce secret avait entre autres pour fonction de garantir la confidentialité des témoignages, afin d’éviter les pressions ou les représailles sur les témoins. Par ailleurs, le secret ne concernait que les grandes affaires criminelles, c’est-à-dire une infime minorité du contentieux. Et dans les faits, il « restait limité et n’était le plus souvent qu’un leurre », car la publicité était assurée par les factums, les libelles ou la transmission orale.

Génie polémique

Enfin, Voltaire fustige fréquemment l’usage de la torture et des châtiments corporels. Mais, chiffres à l’appui, Garnot montre la rareté de cette pratique : « La question n’est presque plus appliquée au XVIIIe siècle et l’était rarement auparavant. » D’ailleurs, la sensibilité de l’écrivain à ce sujet varie grandement. Lors du supplice de Damiens, torturé abominablement puis écartelé pendant plus de deux heures par quatre chevaux – il avait attaqué Louis XV au canif –, Voltaire resta parfaitement indifférent : c’était un fanatique qu’on martyrisait, tant pis pour lui. Il ne méritait pas qu’on s’émeuve sur son sort. Quant à Calas, le polémiste écrivit : « Calas méritait son supplice si l’accusation eût été prouvée. » Et ailleurs : « Il est vrai que les assassinats prémédités, les parricides, les incendiaires, méritent une mort dont l’appareil est effroyable. »

Débarrassons-nous donc de cette mauvaise caricature pour lycéens. Le XVIIIe siècle n’est certes pas sans défaut, ni Voltaire sans mérite. Son indignation est réelle ; son génie polémique et son acharnement ont permis des réhabilitations. Mais les cas traités par le « philosophe » sont exceptionnels. Ils ont été fautivement généralisés et exagérés. Contrairement à l’image qui en est restée, le catholicisme n’a pas engendré un système d’abus insupportables. Au contraire, au fil des siècles, le souci pour les victimes a été sans cesse grandissant.