Vincent Hervouët : « Le déclin européen est un fait » - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Vincent Hervouët : « Le déclin européen est un fait »

Le désengagement des États-Unis oblige les pays européens à réagir et à se réarmer. Mais pour défendre quelles valeurs ? Entretien avec Vincent Hervouët, éditorialiste, spécialiste de relations internationales.
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© Mediamodifier – Pixabay

La mobilisation européenne pour une défense commune est-elle un trompe-l’œil ?

Vincent Hervouët : Les 27 ont endossé le plan d’Ursula von der Leyen « Réarmer l’Europe ». Il s’agit d’accroître substantiellement l’effort de défense. Reste à trouver les fonds. Et à passer à l’acte. On attend les propositions concrètes de la Commission. Mais un premier pas a été fait. C’est nouveau et ce n’est pas négligeable.

En revanche, c’était bien un trompe-l’œil de laisser croire qu’il s’agissait de sauver l’Ukraine. De recevoir Volodymyr Zelensky en prétendant lui épargner une capitulation. De lui accorder une nouvelle séance de câlinothérapie, avec force embrassades, pour prouver que la Lanterne du bâtiment Europa qui accueille les 27 est plus civilisée que le Bureau ovale, où le héros serait tombé dans une embuscade sous l’œil des caméras. Car Volodymyr Zelensky cumule deux statuts admirables : héros et victime. Il est interdit de le voir comme un dirigeant qui profite de la loi martiale pour se maintenir au pouvoir en réduisant au silence l’opposition, qui ne veut plus entendre parler de diplomatie et qui est arrivé éreinté à une négociation qu’il a ratée en défiant son créancier irascible.

Le discours officiel et de nombreux médias entretiennent l’illusion que les Européens vont venir à sa rescousse après le lâchage des États-Unis. Que les Français, les Britanniques, épaulés par quelques autres pourront garantir un cessez-le-feu, déployer une force sur place et ainsi geler la situation en attendant la signature d’un véritable accord de paix ou l’effondrement du régime russe. On ne parle pas d’une trêve, mais d’un rêve éveillé !

Dans la réalité, les Européens ne sont pas associés aux négociations en cours entre Russes et Américains. Et jamais le Kremlin n’acceptera, après un éventuel cessez-le-feu, que des pays membres de l’Otan déploient
en Ukraine, c’est-à-dire à sa frontière, une force d’intervention, alors que la Russie est entrée en guerre précisément pour empêcher l’Ukraine d’adhérer à l’Otan ! Ses buts de guerre n’ont pas changé.

« La patrie a besoin de vous », a dit Emmanuel Macron aux Français le 5 mars. Que pensez-vous de ce ton martial ?

La patrie est un mot nouveau dans la bouche d’Emmanuel Macron. La France n’a jamais cessé de guerroyer sur les « théâtres d’opérations extérieures » depuis l’époque de la décolonisation : des guerres avec l’Otan contre la Serbie ou en Afghanistan, des dizaines d’interventions en Afrique qui s’apparentent à des opérations de police comme on l’a fait au Sahel, la participation à des conflits aux côtés des Américains au Moyen-Orient…

Mais jamais depuis De Gaulle, un chef d’État n’avait ainsi sonné le tocsin en mobilisant l’opinion… Gouverner par la peur est un confort. La tentation est grande de rééditer l’exploit du Covid – « la France est en guerre contre le Covid ! » disait-on d’ailleurs. Mais il est paradoxal d’enseigner aux Français que les frontières ukrainiennes sont sacrées, que les défendre est vital, qu’il faut obliger les Russes à les respecter quand la République reste impuissante à faire respecter les siennes par les OQTF, même quand elle les ramène chez eux en Algérie.

Dans son discours de Munich, J.D. Vance a attaqué l’Europe qui remet en question la liberté d’expression et même la liberté de conscience. Partagez-vous cette vision d’une décadence morale de l’Europe ?

Le déclin européen est un fait. Sa décadence morale est un jugement. À chacun de savoir s’il le partage ! Les exemples choisis par J.D. Vance méritaient mieux que le mépris qu’ils ont suscité. Le tabou de l’avortement, l’étouffant ordre « moral » qui censure les esprits déviants, la peur que suscite l’électeur en colère sont autant d’évidences aux yeux des étrangers. Les Européens, et les Français en premiers, ont voulu voir dans ce réquisitoire du vice-président américain à Munich la fin de l’Occident. Ils refusent de regarder le miroir qu’il leur tend. Ils n’imaginent pas que le wokisme est la révolution qui mine l’Occident et contre laquelle les nouvelles autorités américaines ont été élues.

Pour retrouver un nouveau souffle, sur quelles valeurs pourrait s’appuyer l’Europe ?

Ce ne sont pas ses valeurs si floues qui posent problème aux dirigeants de l’Europe. C’est l’état de leur défense. Et de leurs finances. L’Union européenne s’est faite en répétant « plus jamais ça ». L’utopie européenne, c’est de croire que le commerce, la libre concurrence non faussée désarmeraient les belliqueux. Que la guerre était l’affaire des générations passées et des passions nationales. La chute du mur de Berlin et la fin soudaine de l’Union soviétique les ont convaincus qu’ils avaient raison, qu’ils avaient gagné. Plus de guerre à l’horizon, juste des opérations de police avec mandat de l’Onu, commandement Otan, et la CPI pour juger les crimes de guerre…

La plupart des armées en Europe sont donc faites pour ne pas faire la guerre. Elles servent à parader. Et encore, aucun pays démocratique n’organise de défilé comme nous le 14 Juillet ! Dans la plupart des pays européens, il n’y a ni armée, ni industrie de défense, ni esprit de défense.

Il y a toutes sortes de raisons à cela. La plus évidente : l’Allemagne écrasée par sa culpabilité et connaissant son cœur romantique qui l’a conduite à mettre deux fois le monde à feu et à sang, s’est interdit d’avoir une armée digne de ce nom. Cela la démange mais elle ne s’y résout pas encore.

D’autres pays ont cherché à devenir le meilleur ami de l’Amérique, son client le plus fidèle. Ils ont trouvé sous le parapluie américain l’assurance tous risques dont ils rêvaient, sans plus se soucier des conséquences. À l’est, les pays échappés du pacte de Varsovie ont pour la plupart décidé de troquer le mauvais maître qui leur avait été imposé contre un autre plus lointain, plus riche et plus avenant. Au bout du compte, les seuls à garder une armée sont les pays hantés par l’histoire : leurs empires disparus pour les Britanniques et les Français ; et l’amère leçon des dépeçages successifs pour les Polonais.