Tolkien, Chesterton... la descendance littéraire du cardinal Newman - France Catholique
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Saint John Henry Newman
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Tolkien, Chesterton… la descendance littéraire du cardinal Newman

Auteur prolifique, Newman, qui voyait dans la littérature un puissant outil d’évangélisation, a influencé un grand nombre d’auteurs anglais.
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J. R. R. Tolkien (1892-1973), en 1940.

Lorsque l’éditeur anglais James Burns se convertit à la foi catholique en 1847, sa vie est sur le point de basculer : le départ de ses auteurs anglicans met en jeu la survie même de sa maison d’édition. Quand John Henry Newman, jeune converti qui sait le prix à payer pour une conversion, apprend la nouvelle, il décide d’aider Burns de la seule façon qu’il peut : en lui offrant de publier un roman. Perte et gain, qui paraît pour la première fois en 1848, sauvera James Burns de la faillite. Il lui donnera un autre roman, Callista, en 1855.

Primat à l’imagination

Newman entretient pourtant une relation ambivalente avec la littérature. D’un côté, il semble n’y voir qu’une source de divertissement : « Je n’ai rien d’un saint, comme tout le monde sait. Les saints ne sont pas des hommes de lettres, ils n’aiment pas les classiques et n’écrivent pas de contes » écrit-il dans une lettre. Et pourtant, il prend la littérature très au sérieux, au point d’y consacrer toute un chapitre de son Idée d’université, recueil de conférences publié en 1858. Car Newman a une intuition : pour que la foi se donne plus facilement, il faut qu’il y ait une préparation qui permette de rendre les vérités de foi plus accessibles. Rôle que peut remplir aisément la littérature : « Il y a chez lui un primat à accorder à l’imagination, car elle est un outil dont on peut se servir pour amener le lecteur à l’assentiment à la vérité de la foi catholique » avance Frédéric Slaby.

La tâche qui incombe aux catholiques est d’autant plus urgente qu’il s’agit, en plus d’évangéliser, de mener une véritable reconquête de la langue. « Newman avait le sentiment que la langue anglaise portait la trace du protestantisme car ce sont les grands auteurs protestants qui l’ont forgée, relève Camille Bedeau, auteur d’une thèse sur l’historiographie ecclésiastique chez Newman. Dès lors, il souhaitait l’émergence d’une littérature catholique pour qu’il existe une langue et une culture populaire catholiques. » À l’époque, la littérature catholique était en effet faiblement représentée, cantonnée à la littérature d’édification et aux hagiographies.

Des polémistes aux romanciers

Bien que des contemporains de Newman se soient emparés de ses réflexions sur la littérature, l’élan suscité par le futur cardinal ne trouvera sa concrétisation qu’après sa mort. « Ce sont d’abord principalement des polémistes qui s’emparent de l’héritage de Newman, en cherchant à parler aux sceptiques avec leur langue » explique Frédéric Slaby, soulignant l’influence du cardinal sur des figures comme G. K. Chesterton (1874-1936), auteur d’Orthodoxie, ou Mgr Robert Hugh Benson. L’entre-deux-guerres voit l’avènement d’auteurs catholiques populaires, dont les plus éminents représentants sont Graham Greene (1904-1991) et Evelyn Waugh (1903-1966). « Leur arrivée dans la littérature marque l’arrivée du levain catholique dans le roman, relève Frédéric Slaby. Ils cherchent à faire éprouver aux lecteurs des questions morales universelles, dans un univers fictionnel ouvertement catholique. »

Reste l’énigme J. R. R. Tolkien (1892-1973). Sur le papier, tout son entourage relie l’auteur du Hobbit à Newman et ce, dès ses plus jeunes années : lorsque sa mère Mabel meurt en 1904, le jeune Tolkien est confié, avec son frère, à l’abbé John Norris. Prêtre de l’Oratoire de Birmingham – que fréquentait Mabel Tolkien –, il avait été le secrétaire personnel de Newman. Tolkien fréquentera également l’abbé William Neville, exécuteur littéraire du cardinal, ou encore l’abbé John Norris, prévôt de l’Oratoire à l’arrivée de la famille Tolkien et qui avait connu, lui aussi, Newman.

« Per umbras et imagines »

L’ombre du cardinal plane aussi dans son journal de travail comme le relève Holly Ordway dans Tolkien’s faith (éd. Word on Fire Academic, non traduit). Dans une entrée de 1913, il griffonne cette réflexion : « Per umbras et imagines », « à travers les ombres et les images ». Or, la plaque de marbre en mémoire de Newman, installée dans la chapelle de l’Oratoire, est gravée d’une inscription latine à la proximité troublante : « Ex umbris et imaginibus in veritatem », « Des ombres et des images à la vérité »… « Tolkien a peut être accompli à sa manière le projet que Newman nourrissait envers la littérature, en utilisant l’imagination afin de préparer les lecteurs à la réception de l’Évangile », relève l’universitaire.

Et pourtant. Jamais Tolkien ne semble avoir fait une mention directe du cardinal et de son influence. « Relecture après relecture, Tolkien a cherché à effacer les traces catholiques de son œuvre, afin de permettre une diffusion maximale, continue Frédéric Slaby. Dans cette optique, il est normal qu’il n’ait jamais dit clairement que Newman l’avait influencé… Même si une absence d’influence du cardinal est hautement improbable. » Le Seigneur des Anneaux, écrit entre 1937 et 1949, en serait l’illustration : cette histoire d’un jeune Hobbit, portant sur lui un Anneau concentrant les forces du mal afin d’aller le détruire, d’avilissement par le péché et de rédemption, dont Tolkien disait lui-même qu’il s’agissait d’« une œuvre fondamentalement catholique », pourrait être en effet le chef d’œuvre de la littérature anglaise qu’aurait aimé Newman. Quant aux anglicans de l’université d’Oxford, terre newmanienne par excellence, ne s’y trompèrent pas. À la mort de Tolkien, en 1973, ils tinrent un service en sa mémoire dans lequel l’hymne chanté était extrait du Songe de Gérontius, poème écrit par le cardinal Newman, en 1865. 

Le songe de Gérontius

« Louange au Très-Saint dans les hauteurs,
Louange à Lui dans les profondeurs :
En toutes ses paroles très-admirable,
Très-sûr en toutes ses voies !

Ô sagesse pleine d’amour de notre Dieu !
Quand tout était péché et honte,
Un second Adam au combat
Et au secours vint.

Ô amour très-sage !
il vint afin que cette chair et ce sang
Qui faillirent en Adam
Puissent combattre de nouveau
contre leur ennemi,
Combattre et vaincre ;

Et qu’un don plus élevé que la grâce
Purifiât la chair et le sang,
La présence de Dieu et la Personne même,
Et son Essence toute divine.

Ô généreux amour ! il vint afin que Celui qui frappa
L’ennemi dans l’homme pour l’homme,
Subît la double agonie dans l’homme
Pour l’homme ;

Et dans le Jardin secrètement,
Et sur la Croix dans les airs,
Apprît à ses frères et les animât
À souffrir et à mourir. » 

Hymne tiré du Songe de Gérontius écrit par Newman et chanté lors du service anglican tenu à Oxford en mémoire de J. R. R. Tolkien, en 1973.