Lancée en 2016 par une entreprise chinoise, TikTok est une application de partage de courtes vidéos, qui a rapidement connu un succès mondial. Le titre du rapport qui lui est consacré ne souffre aucune ambiguïté : « Quand le divertissement vire au cauchemar : sortir nos enfants du piège algorithmique de TikTok ». Les conclusions de la commission d’enquête, constituée à la fin de l’année dernière après l’assignation en justice du réseau social par un collectif de sept familles, sont en effet alarmantes : « Suicide et automutilation, canons de beauté malsains, désinformation médicale, violences, discriminations, sexisme, pédocriminalité… TikTok diffuse auprès de son public une multitude de contenus néfastes », notent les rédacteurs. Dans la foulée de la présentation du rapport, le président de la commission, le député PS, Arthur Delaporte, a annoncé saisir la procureure de la République de Paris, considérant « qu’il y a des infractions de nature pénale », comme il l’a indiqué à l’antenne de France Info (11/09).
Cette démarche de la commission s’inscrit dans un mouvement d’envergure mondiale, visant à limiter drastiquement l’usage des réseaux sociaux chez les plus jeunes. L’Australie se place à la tête de cette croisade : en novembre 2018, elle a interdit l’usage des réseaux sociaux aux mineurs âgés de moins de 16 ans, avec le soutien des principaux partis politiques et de la population, le Premier ministre Anthony Albanese déclarant vouloir que les jeunes Australiens « lâchent leurs téléphones et aillent plutôt sur les terrains de foot et de cricket, de tennis, de volley et à la piscine ».
Si les critiques concernant les réseaux sociaux ne manquent pas, il en est une qui se fait plus incisive que les autres : elle concerne l’usage effréné d’algorithmes qui créent de véritables addictions dans l’acception médicale du terme.
Des rats et des hommes
Dans un petit livre lumineux, La Civilisation du poisson rouge (Grasset, 2019), Bruno Patino avait expliqué comment les concepteurs de ces algorithmes avaient sciemment recherché à rendre les utilisateurs « addicts » en se fondant sur la théorie des systèmes à récompense aléatoire. Une expérience permet de les comprendre. Elle met en œuvre des rats à qui l’on distribue de la nourriture au travers d’un système automatique. Quand le mécanisme s’ouvre à un rythme régulier, les rats viennent s’y nourrir sans frénésie. En revanche, quand le mécanisme s’ouvre de manière erratique, les rats deviennent fous et se pressent sans discontinuer sous le distributeur, attendant la chute d’une croquette.
Sur les réseaux sociaux, il en va des hommes comme des rats. Le scrolling, qui distribue aléatoirement des contenus intéressants ou non, poussés par les algorithmes, génère des addictions dramatiques, créant des syndromes d’anxiété, de la schizophrénie, de l’athazagoraphobie – la peur d’être oublié par les autres – et des dépressions en tout genre.
Le combat s’annonce difficile. Pour des raisons juridiques d’abord. « Il y a deux ans, les députés ont voté une loi sur la majorité numérique, fixée à 15 ans. Cette loi n’a jamais été appliquée. La France n’est pas sûre qu’elle soit conforme au droit européen », rappelait France Culture (12/09). Pour des raisons économiques ensuite : TikTok compte 27,8 millions d’utilisateurs en France – dont 35,7 % des moins des 11-14 ans – et 200 millions sur le continent européen. « Cela rend la plateforme incontournable auprès des marques, avides de séduire la génération Z et qui courtisent les influenceurs TikTok les plus plébiscités. Cela contribue aussi à doper les revenus publicitaires de l’application, qui génèrent environ les trois quarts de son chiffre d’affaires » souligne Le Figaro. Autant dire que les raisons mercantiles ne manquent pas non plus pour faire obstacle aux initiatives politiques.
On en revient donc toujours aux mêmes conclusions : il est possible – et sans doute indispensable à court terme – de mettre en place des interdictions, de faire pression sur les entreprises pour mettre en place des barrières, des filtres et des modérateurs. Mais c’est encore et toujours dans le cadre familial que réside la première et la plus efficace des ripostes : elle passe par des parents investis, présents, lucides, éduqués et résolus. À la société d’être à leurs côtés.