Publié le jour de la Sainte-Cécile (22 novembre 1903), le motu proprio Tra le sollecitudini cherche à redonner au chant liturgique son antique beauté. Il énonce les principes qui régissent la musique sacrée ainsi que les prescriptions de l’Église contre les abus les plus courants en ce début du XXe siècle. Le nouveau Pape a en effet constaté une décadence certaine de la musique religieuse. Depuis le XVIIe siècle, une déviation progressive a introduit dans la pratique musicale ecclésiastique des abus devenus choquants.
Surenchère profane
À la fin du XIXe siècle, il est fréquent d’entendre plaquer les paroles des chants liturgiques sur des airs profanes. Ainsi, l’Agnus Dei peut être chanté sur un air extrait d’un opéra de Bizet ; une mélodie de Tchaïkovski est transformée en Ave Maria ; des mariés réclament à l’organiste des extraits de pièces célèbres, Lohengrin ou Roméo et Juliette. Dans les églises cossues, la musique instrumentale est de plus en plus présente et des solistes virtuoses se produisent pendant les messes, dans une surenchère entretenue par un esprit de rivalité entre les paroisses les plus prestigieuses, transformant les offices en concerts, parfois en opéras.
La musique profane répond à des codes, à certaines conventions de genre qui ne sont pas en adéquation avec la liturgie. Les besoins de l’action et les tensions dramatiques font alterner les instruments, les voix en solo, duo, trio, chœur complet. L’une des conséquences de ces abus est que les fidèles ne peuvent plus participer au chant liturgique. Ils deviennent de simples auditeurs, comme dans une salle de spectacle. Le compositeur Richard Wagner avait lui aussi dénoncé ces abus en son temps, regrettant l’utilisation abusive des instruments de l’orchestre qui dénaturent, et même sensualisent l’expression de la musique sacrée. La musique religieuse se doit d’accompagner les sentiments qui montent de l’homme vers Dieu, et le Pape souhaite remettre dans les églises une musique en harmonie avec la sainteté des lieux.
Le motu proprio de Pie X donne une définition précise de la musique sacrée. Elle est « partie intégrante de la liturgie solennelle » et « participe à sa fin générale qui est la gloire de Dieu ainsi que la sanctification et l’édification des fidèles ». Le texte rappelle un point important, qui semble évident aujourd’hui mais ne l’était pas à l’époque, à savoir que la musique sacrée doit servir le texte liturgique et non l’inverse.
Pour que la musique religieuse retrouve sa pureté primitive, il convient de ne conserver que la musique vocale, accompagnée de l’orgue uniquement. Cet idéal musical correspond au plain-chant grégorien remis à l’honneur par les bénédictins français de Solesmes à partir des années 1850. Pie X ne rejette pas pour autant la musique polyphonique mais il souhaite qu’elle soit dépouillée de tout artifice. Et propose comme modèle de chant polyphonique la musique religieuse de la Renaissance italienne. Si l’orgue conserve sa place centrale dans l’église, l’usage des instruments à cordes et à vent est considérablement réduit ; le piano et les percussions deviennent, quant à eux, strictement interdits.
Pie X insiste aussi sur un point assez novateur dans la terminologie musicale. En effet, il souhaite que la musique sacrée conserve les mêmes caractères généraux dans tous les pays où est célébré le rite romain, afin qu’elle puisse témoigner de l’universalité de l’Église. Ainsi, chaque fidèle, dans quelque pays qu’il soit, retrouve des références musicales universelles et peut participer activement à l’office divin.
Grégorien et polyphonie
Les compositeurs chrétiens sont ainsi fortement poussés à l’étude du chant grégorien et de l’art polyphonique italien du XVIe siècle. Pie X encourage les évêques à établir dans chaque séminaire et dans les principales paroisses une schola cantorum, « une école de chant », afin de former maîtres de chapelle, organistes et chantres. Lui-même fonde à Rome en 1911 l’École supérieure de musique sacrée. Ouverte à des élèves de toute nationalité, elle a pour fonction de former des maîtres de chant qui, une fois rentrés dans leur pays, sont à même de diffuser l’art du chant grégorien. Élevé au rang d’université en 1914, cet établissement existe toujours sous le nom d’Institut pontifical de musique sacrée.
Le développement du chant grégorien a permis à la musique sacrée de retrouver sa pureté primitive, et de restaurer la piété dans les églises pendant les offices religieux, particulièrement pendant la messe. L’un des objectifs de Pie X était de rendre le chant liturgique accessible à tous, afin que les fidèles puissent y prendre une part active. Le saint Pape avait repris à son compte l’axiome bien connu attribué à saint Augustin : « Qui bien chante, deux fois prie. »