Philippe de Villiers : « La France est une terre de transcendance » - France Catholique
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Philippe de Villiers : « La France est une terre de transcendance »

Dans son dernier ouvrage « Populicide » (Fayard), Philippe de Villiers dresse un bilan sans concessions de l’état de la France. Et insiste sur ses atouts. Entretien.
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© Hannah Assouline /Opale photo

Quelle est votre analyse de l’état de la France dans Populicide ?

Philippe de Villiers :
Je suis hanté par la disparition du peuple auquel j’appartiens. Je vois le gouffre s’ouvrir. On a perdu la matrice. Bientôt la France habitera encore au même endroit mais elle aura changé de résidents. Ce qui caractérise aujourd’hui la terre de France, c’est un mal-être qui traverse toute la société, celle des héritiers et celle des arrivants. Il y a deux peuples côte à côte, livrés tous deux à la souffrance intime : un peuple neuf qui sait d’où il vient mais qui ne sait rien de l’endroit où il arrive, et un peuple sédentaire, exténué qui, cédant à la répudiation de l’héritage, se met à détester sa propre maison. Nous avons des élites consentantes, incapables d’appeler les choses par leur nom, de dire que c’est une guerre de conquête qui nous est faite. Et de désigner le nouveau « missionnaire » qui nous grignote avec méthode. Souvent je me pose la question : que reste-t-il de nos élites ? Toute une branchitude avachie, qui ne se sent plus capable de porter son récit fondateur, qui rêve de sortir de soi et de s’abolir dans une histoire nouvelle, de se donner à une civilisation extérieure virile. Faillite spirituelle. L’hédonisme consumériste achève ainsi sa trajectoire, en venant, par une sorte de ruse hypnotique, se fondre dans son exact contraire [la société islamiste, NDLR].

Dans votre ouvrage, vous analysez la façon dont les peuples meurent. Vous avez trouvé des points communs. Quels sont-ils ?

Le premier point commun, c’est l’oikophobie : la haine de l’endroit où l’on vit. Il n’y a plus personne pour aimer la maison. Les héritiers n’aiment plus leur passé. Les arrivants n’aiment pas leur présent. Et puis, il y a un autre point commun : les peuples meurent mais sans se voir mourir. Ils obéissent tous à la même loi de gravitation : dès qu’un peuple néglige son récit fondateur et qu’il répond aux convoitises extérieures par l’insouciance, il est comme aspiré par le vide, fasciné par le trou noir. L’envahisseur, à son arrivée, trouve des identités molles et dépareillées. Une société boursouflée, où le déclamatoire le dispute à l’emphatique, où les âmes, imbibées de pleutrerie, ne transcendent plus rien autour d’elles. La frontière ne cède que lorsque le cœur a déjà cédé.

Vous évoquez les trois cordes de rappel qui retiennent un peuple dans sa chute. Quelles sont-elles ?

C’est la littérature, la politique et la métaphysique. Ce sont trois fils qui relient le peuple français à son apogée, même s’il dévale la pente. Le peuple français est d’abord un peuple littéraire. La France est une romance qui nous met en contact charnel avec l’épopée, la prosopopée et le panache. Ensuite, le peuple français est un peuple politique. Il s’est toujours arrimé à deux môles qui n’ont jamais vacillé : le tronçon de l’épée et la pensée française. Et puis, le peuple français est un peuple métaphysique, une terre de transcendance.

En quoi le peuple français est-il un peuple politique et pourquoi est-il devenu si léthargique ?

La France n’est rien sans la politique parce que la politique c’est d’abord la frontière. La France n’est pas un acte de la nature, elle n’est pas naturellement protégée. Elle repose depuis deux mille ans sur une réserve d’énergie déployée à veiller sur le pré carré. La politique, c’est d’abord la frontière, c’est ensuite l’État. Pour la France, l’histoire est particulière. Ce n’est pas la nation qui a fait l’État. C’est l’inverse. C’est l’État régalien qui tient le sceptre et la main de justice. Or, aujourd’hui, il n’y a plus de frontières et il n’y a plus d’État. Il n’est pas étonnant que nous vivions une éclipse de la conscience nationale.

Vous affirmez que le peuple français est un peuple métaphysique. Qu’entendez-vous par là ?

Le peuple français est né avec la métaphysique, c’est-à-dire la conversion de son roi païen Clovis. C’est par l’onction baptismale que la France s’est constituée. On a là un symbole fort. La France est née chrétienne. Née de la métaphysique, la France a vécu de la métaphysique. Le nombre d’or du peuple français, la cathédrale, est une déclinaison de la pierre et de la métaphysique. Allons plus loin : la France est née d’une métaphysique des charités élémentaires qui ont irrigué les rouages de l’État. Elle s’est constituée comme un acte de miséricorde, avec l’allégorie de la chlamyde, partagée par un soldat romain, saint Martin, avec le pauvre des pauvres, symbole des charités fondatrices d’un royaume où la potestas ne va pas sans l’auctoritas.

Vous écrivez que « sans la chrétienté la France n’est rien ». Quel rôle peuvent jouer les catholiques dans le sursaut que vous espérez pour la France ?

Il fut un temps, encore récent, où la France vivait à partir de la matrice anthropologique du christianisme. C’est-à-dire que les repères de la vie commune étaient chrétiens. Aujourd’hui, cette matrice s’est effondrée. La foi est devenue strictement privée. La loi légale s’est éloignée de la loi naturelle. Le serment d’Hippocrate est mort. Le droit de tuer est revenu en force et, dans quelques mois, la loi sur l’euthanasie pourrait être votée par le Sénat. On sexualise les enfants dès 3 ans à l’école. Où sont les catholiques sur le Forum ? Où sont les évêques ? On n’entend plus personne. Ceux qui se battent pour garder nos valeurs de civilisation ressentent, croyez-moi, une grande solitude.

Dans le sillage de Populicide sort le livre d’Éric Zemmour : La messe n’est pas dite. L’auteur espère une alliance judéo-chrétienne pour sauver la chrétienté. Qu’en pensez-vous ?

Il a raison. Éric Zemmour est un esprit lucide et je puis témoigner qu’il est profondément attaché à la France. Je me souviens d’un moment, très émouvant, où nous sommes allés tous les deux nous recueillir devant la statue de sainte Clotilde. Tout ce qui est français le touche. Et son dernier livre est tout à fait remarquable. 

Populicide, Philippe de Villiers, Éd. Fayard, octobre 2025, 418 pages, 21,90 €.