« Nous sommes tous appelés à devenir des hosties vivantes » - France Catholique
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Carlo Acutis et Pier Giorgio Frassati canonisés
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« Nous sommes tous appelés à devenir des hosties vivantes »

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« Devenir hostie signifie donc se livrer en victime d’amour” » explique le P. Joël Guibert. © Pascal Deloche / Godong

« Nous sommes tous appelés à devenir des hosties vivantes »

« Nous sommes tous appelés à devenir des hosties vivantes »

Bien que disparue des enseignements pastoraux depuis quelques décennies, la spiritualité de l’union au Christ qui s’offre en « victime d’amour » au Père demeure le centre de la vie chrétienne. Explications du Père Joël Guibert, prédicateur de retraites, auteur de Devenir hostie (éd. Artège).
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Que signifie « devenir hostie » ?

Père Joël Guibert : Une préface de la messe dit que le Christ est « l’autel, le prêtre et la victime ». Le Vendredi saint au Calvaire et, depuis, à chaque messe, il s’offre lui-même en victime d’amour au Père, pour réparer ce que le péché avait détruit, pour restaurer l’honneur de Dieu et pour sauver nos âmes de la mort éternelle. Jésus devient « hostie », c’est-à-dire « offrande » – en latin – car il aime le Père, et nous aime, à en mourir, et il meurt par amour sur la Croix. Nous qui sommes devenus d’autres Christ par le baptême, nous sommes appelés à le laisser vivre en nous. Et, comme lui et avec lui, à nous offrir au Père, en réparation de nos péchés et ceux des autres, car nous formons son corps – son Église – et devons donc participer au salut de nos frères, qui font partie de ce même corps. C’est notre vocation de prêtres, par le baptême. Saint Paul exprime cela de manière explicite : « Je vous exhorte donc (…) à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre » (Rm 12, 1). Saint Augustin le confirme en disant : « Ne cherchez pas en dehors de vous l’hostie dont vous avez besoin : cette hostie vous la trouvez en vous-mêmes. » Nous sommes tous appelés à devenir des hosties vivantes.

Est-ce que Dieu ne nous en demande pas un peu trop ?

Au contraire, cela nous donne une extraordinaire dignité, sans laquelle nous ne serions qu’un réceptacle passif de la rédemption. Dans son amour, Dieu a voulu nous faire coopérer à la rédemption. Car, si l’amour de Dieu est gratuit, lui qui n’a pas besoin des hommes pour être heureux, Dieu va jusqu’à mendier notre amour. Devenir hostie signifie donc se livrer en « victime d’amour », comme des époux se donnent totalement l’un à l’autre. Cette spiritualité « victimale » est au cœur de la vie chrétienne. Nous n’osons plus guère enseigner cette veine spirituelle dont parle pourtant le concile Vatican II. La plupart des catholiques n’en ont jamais entendu parler. Il est urgent de revenir à cette source pure de la fécondité et de la joie…

« L’Eucharistie, c’est mon autoroute pour le Ciel », affirmait Carlo Acutis. Que nous dit son amour de l’Eucharistie de la spiritualité victimale ?

Cette spiritualité découle de l’Eucharistie : elle en est même le cœur. En effet, la messe est un mariage : nous y revivons le sacrifice du Christ qui s’est livré pour devenir hostie par amour du Père et de nos âmes et nous sommes appelés à entrer dans ce don total avec lui. Nous le vivons notamment au moment de la doxologie, qui conclut la prière eucharistique : « Par lui, avec lui et en lui. » En offrant le Fils sur l’autel, je m’offre par lui, avec lui et en lui au Père. Puis, au moment de l’action de grâce, après la communion, où je m’offre à Jésus présent en moi. Comme dans le mariage, c’est cette réciprocité du don d’amour qui rend la vie spirituelle féconde…

En dehors de la messe, comment vivre cette spiritualité ?

Très simplement, à travers les événements, car le cœur du cœur en est l’union de volonté dans l’instant présent. Oui, Dieu me veut offert à lui à chaque instant vécu pleinement, dans tous les petits riens de ma vie, sans anticiper et imaginer les soucis d’après. Cela rejoint la spiritualité de l’abandon, qui implique aussi d’arrêter de se regarder soi-même et de quitter sa volonté propre.

Est-ce cela que vivait saint Carlo, lorsqu’il disait que « la sainteté n’est pas un processus d’addition, mais de soustraction : moins de moi pour laisser de la place à Dieu » ?

Oui, exactement, la spiritualité victimale, c’est un décentrement du moi, de l’égo, pour être centré sur le « toi » de Dieu et de mes frères en humanité. L’âme « victime » de l’amour est une âme désintéressée, qui ne veut que la gloire de Dieu et le bonheur de l’homme, dès cette terre. C’est la spiritualité de l’enfance de Thérèse de Lisieux. Il y a un moment, il faut arrêter les « pourquoi » et passer au « pour quoi », en vue de quoi : j’offre tout ce que je vis pour la gloire de Dieu et le salut des âmes.

Sommes-nous appelés à offrir nos souffrances en sacrifice à Dieu ?

Jacqueline Aubry, l’une des voyantes de L’Île-Bouchard, dit : « Toute souffrance qui n’est pas offerte est une souffrance perdue. » Si nous n’offrons pas nos souffrances, elles sont en quelque sorte perdues. Si nous les offrons, elles sont transfigurées en amour et nous ne souffrons plus inutilement : en les offrant pour Dieu et pour le salut des âmes de nos proches, des pécheurs, pour ceux qui souffrent, pour les prêtres… nos souffrances prennent un sens. Cela change tout. Nous avons tous des souffrances, petites ou grandes : nous avons toujours le choix de les subir ou de les transformer en amour. Je peux les vivre en choisissant « sa volonté » qui permet que je le vive, même si cela ne m’enchante pas  : « Puisque tu le veux, Seigneur, je le veux aussi. » Dieu me propose de vivre des micro-conversions à l’amour à travers tous ces événements, en vivant tout en union de volonté avec lui. À moi de choisir d’accepter cela en consentant au réel de ma vie. Si je me braque, ces événements sont inféconds et je me fatigue beaucoup à les refuser car je dois les porter seul. À l’inverse, si je les accueille comme étant l’expression de la volonté de Dieu dans ma vie, c’est extrêmement reposant car Jésus vient lui-même en moi porter ma croix… Alors, unies à lui, mes contrariétés et mes épreuves portent beaucoup de fruit.

La fin de vie de Carlo Acutis semble avoir été une illustration de cette spiritualité de « devenir hostie », lui qui a dit avant de mourir : « Je veux offrir toutes mes souffrances pour le Seigneur, pour le Pape et pour l’Église. »

En effet, Carlo avait tout compris ! Il transforme ce qui paraît dénué de sens – la maladie et la mort d’un adolescent – en offrande d’amour sublime. Il a la certitude que la puissance de la résurrection habite tout, et que la souffrance et la mort peuvent devenir… amour et vie !

Cette spiritualité concerne-t-elle uniquement nos souffrances ?

Non, la bonne nouvelle c’est qu’elle ne se joue pas seulement dans les épreuves de la vie : elle englobe tous les « riens » de ma vie quotidienne. Car Dieu agit dans ma vie à travers tous les petits et grands événements, pénibles et agréables, qui se présentent à moi. Cela comprend donc aussi les événements positifs ! Une bonne nouvelle, un bon moment avec mon conjoint, un bon repas avec des amis… Sa volonté vient à moi à travers tout ce qui m’arrive et je peux tout lui offrir en retour en sacrifice. Et je deviens alors vraiment prêtre et victime : je m’offre moi-même en sacrifice à Dieu. C’est simplement cela, devenir hostie : c’est tout vivre dans l’abandon à la Providence ! Donc la spiritualité victimale n’est pas liée uniquement à la souffrance, elle est beaucoup plus large, Dieu ne coupe pas la vie en tranches !

Sacrifice, pour beaucoup, c’est un mot doloriste et dépassé : qu’en est-il ?

Faire un sacrifice, ce n’est pas se fouetter : cela signifie simplement « faire sacré », sacrum facere. L’action que vous offrez à Dieu, joyeuse ou douloureuse, bascule alors dans le monde de Dieu. Il ne faut surtout pas enfermer le sacrifice dans une notion négative. Il faut juste accomplir toutes nos actions en sacrifice d’amour, dans le but de nous attacher à Dieu. Ainsi, même faire un bon repas avec quelqu’un, offert en union d’amour avec Dieu, devient un sacrifice ! D’ailleurs tout le monde se sacrifie sans le savoir ! Regardez des parents, même non croyants, ils se sacrifient de tout leur cœur pour offrir des études et une vie aussi belle que possible à leurs enfants. De la même manière que des époux qui s’aiment renoncent à beaucoup de choses pour le bonheur de l’autre, au quotidien. Ils connaissent la joie du don dans leurs sacrifices. Donc ce que nous faisons naturellement pour les autres, pourquoi ne pas le faire aussi pour Dieu ? La Croix fait partie de la vie. Un authentique amour ne peut pas faire l’économie de la Croix.

C’est donc l’amour qui est la clé de cette spiritualité ?

En effet, sans cela, c’est insupportable et incompréhensible. Devenir hostie, c’est l’amour porté à haute température. Les saints nous montrent l’exemple : ils dépassent la souffrance et la Croix par l’amour. Cela rend la vie beaucoup plus légère. On s’offre pour la gloire de Dieu et pour le salut du monde, pour la conversion des âmes, pour aider nos frères… Il y a une dimension d’authentique solidarité extrêmement puissante. C’est le mystère de la communion des saints : nos offrandes montent vers le Cœur de Dieu et redescendent en pluie de grâce dans les âmes… Si c’est par excellence la vocation des consacrés, nous sommes tous appelés par le baptême à le vivre à notre mesure.

Faut-il faire aussi des sacrifices volontaires ?

Oui, et c’est ce qu’on appelle la mortification : « mortifier », cela signifie « faire mourir », donc se mortifier, c’est faire mourir… ce qui nous fait mourir ! La mortification est très concrète : je commence à scroller sur mon portable avec les vidéos TikTok et je m’aperçois que cela fait une demi-heure que je suis accro ? Alors je décide de couper court. Idem pour les compulsions vis-à-vis de la nourriture, en mettant par exemple le pot de Nutella dans un endroit difficilement atteignable, afin de me préserver des tentations de gourmandise. Notre société crée des maladies physiques et morales par trop-plein de biens. Dans ce contexte, la mortification devient presque, en réalité, une cause de salut national !

Des « prêtres-hosties » ?

Comment les prêtres doivent-ils vivre cette spiritualité ?

P. Joël Guibert : La vie du prêtre ne peut se réduire au cultuel : le prêtre, à l’image du Christ, son modèle, est aussi appelé à être la victime, l’agneau offert en sacrifice, pour le salut des âmes qui lui sont confiées. Il doit porter dans sa chair un peu de la rédemption, car celle-ci ne peut pas se réduire au cultuel. La Croix doit être plantée dans la vie et le cœur du prêtre, et c’est une bonne nouvelle car le prêtre est configuré au Christ, prêtre et victime. C’est cela qui rend sa vie sacerdotale vraiment féconde : comme une mère souffre par amour pour donner la vie à son enfant, le Christ a souffert sur la Croix pour enfanter nos âmes à la vie éternelle. Quand nous pensons au mystère de la Croix, nous ne pensons qu’à la souffrance. Mais Jésus n’est pas seulement infiniment douloureux dans sa Passion : il est aussi infiniment heureux car il va offrir au Père l’amour qu’il mérite et sauver nos âmes. Comme la femme qui accouche, il nous enfante dans la douleur et dans la joie de donner la vie… Encore une fois, la clé de lecture de tout cela n’est pas la souffrance : c’est l’amour… Annoncer Jésus ressuscité tout en mettant la Croix de côté, c’est l’amputer : c’est cela qui stérilise l’évangélisation. Ce n’est pas avec des techniques d’évangélisation qu’on va ré-évangéliser la France. Il faut d’abord revenir à la Croix rédemptrice : nous n’annonçons pas la religion du bien-être, mais celle du Christ mort sur la Croix par amour. Tous les saints ont vécu cela. Il n’y a pas d’autre chemin ! 

Devenir hostie. Une spiritualité authentiquement évangélique, Joël Guibert, éd. Artège, avril 2025, 340 pages, 20,90 €.