L'histoire édifiante des 50 bienheureux martyrs du STO - France Catholique
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Le journal de la semaine

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L’histoire édifiante des 50 bienheureux martyrs du STO

Quatre-vingts ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, 50 catholiques français – clercs, religieux et laïcs – seront béatifiés ce 13 décembre. Au-delà de la reconnaissance de leur sacrifice sur l’autel de la folie meurtrière du nazisme, leur itinéraire est riche d’enseignements pour notre temps.
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Départ de travailleurs français pour l’Allemagne. © Bundesarchiv – CC by-sa

De son balcon du Ciel, Mgr Charles Molette (1918-2013) devrait contempler avec émotion la cérémonie qui se tiendra ce samedi 13 décembre sous les voûtes restaurées de la cathédrale de Paris : la béatification de 50 prêtres, séminaristes, jocistes, scouts et laïcs, morts durant la Seconde Guerre mondiale « en haine de l’Évangile ». Durant des années en effet, ce prélat n’a eu de cesse d’entretenir la mémoire de ces hommes, disparus dans la grande tourmente concentrationnaire, et de nourrir le dossier qui va leur valoir les honneurs du calendrier désormais. Ses nombreux ouvrages (En haine de l’Évangile, 1993 ; Prêtres, religieux et religieuses dans la résistance au nazisme, 1995 ; Martyrs de la résistance spirituelle, 1999 ; L’abbé Pierre de Porcaro, 2005 ; Gérard Cendrier, scout et franciscain, mort à Büchenwald en 1945, 2006…) ont en effet largement contribué à faire rayonner le souvenir de leur sacrifice oublié. En réalité, ils seront désormais 51 bienheureux martyrs du STO car ils ont eu un précurseur, Marcel Callo, jeune jociste de Rennes, mort le 19 mars 1945 à Mauthausen, béatifié le 4 octobre 1987 à Rome par Jean-Paul II. De quoi parle-t-on ? Le décret, publié le 20 juin dernier par le dicastère des Causes des saints, pose le cadre. « Pendant la domination nazie, de nombreux prêtres, religieux et laïcs engagés dans des associations catholiques ont suivi les travailleurs français sur le territoire allemand pour leur apporter un soutien moral et spirituel », expose le document. Il s’agit là d’un cas de figure bien spécifique : ces hommes ont connu un destin singulier dans le système de persécution mis en place par les autorités du IIIe Reich : ils n’étaient ni des résistants arrêtés et déportés ès qualités, ni des prêtres persécutés en tant que tels, comme le fut par exemple le clergé polonais, ni bien sûr des victimes de persécution raciales. Pour la plupart, ils ont été réquisitionnés dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO) mis en place en septembre 1942, et durci en février 1943, pour faire tourner les usines du Reich. D’autres les ont volontairement rejoints. Et c’est dans ces circonstances qu’ils se sont tous attachés à entretenir et développer une vie chrétienne parmi les ouvriers.

Souci missionnaire

Cette activité missionnaire était pensée et coordonnée. L’initiative est imputable au cardinal Emmanuel Suhard (1874-1949), nommé archevêque de Paris en 1940 en pleine débâcle. Comme beaucoup de penseurs chrétiens de l’époque, le cardinal est très sensible à la question de la présence de l’Église auprès des ouvriers et travailleurs – le célèbre livre La France, pays de mission ?, rédigé par les abbés Henri Godin et Yvan Daniel, sera publié en 1943. À ce titre, influencé notamment par la figure de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, le prélat a été un acteur essentiel de la création de la Mission de France en 1941, afin de lutter contre la déchristianisation du pays. C’est donc logiquement qu’il se soucie d’accompagner les ouvriers envoyés en Allemagne, non plus officiellement cette fois-ci, mais dans le secret. À ses côtés, l’abbé Jean Rodhain (1900-1977), ancien aumônier de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), combattant de 1940, qui, pour sa part, œuvre à l’accompagnement des prisonniers de guerre détenus dans les stalags et les oflags (camps de prisonniers de guerre non officiers et officiers) depuis la défaite. Leur décision est prise : la mission Saint-Paul est créée. Pourquoi Saint-Paul ? En référence aux emprisonnements que connut l’Apôtre des Gentils, qui furent aussi de puissants moments d’évangélisation.

Discrètement, on se met alors à identifier des jeunes réquisitionnés ou à chercher des volontaires pour partir outre-Rhin, comme, dans cette dernière catégorie, le Père Pierre de Porcaro, à qui son évêque demande personnellement de partir en Allemagne en avril 1943. Les hommes qui vont prendre le chemin du départ viennent de tous les horizons. L’Église a voulu souligner cette diversité dans les documents diffusés depuis juin dernier : pour des raisons de simplicité et de lisibilité, ne pouvant détailler la biographie de tous les futurs béatifiés, venus de cinquante diocèses différents, elle a choisi d’isoler quatre noms qui incarnent les quatre principales trajectoires des membres de la mission Saint-Paul : le Père Raymond Cayré, le Frère franciscain Gérard Cendrier, le séminariste Roger Vallée et le laïc Jean Mestre.

Des trajectoires variées

Un prêtre diocésain, un religieux consacré, un séminariste et un jociste… La synthèse est parlante.
Le Père Raymond Cayré est fait prisonnier durant les combats de 1940. Il assure l’aumônerie de neuf kommandos de travail dépendant de son stalag, avant d’entrer en contact avec les réseaux clandestins de l’Action catholique à Cologne, ce qui le conduira à Büchenwald où il mourra.

Le Frère Gérard Cendrier, profondément marqué par son expérience de scout et de routier, a quant à lui été requis par le STO en raison de son âge et de son statut d’étudiant : il va profiter de cette « aubaine » pour évangéliser ses camarades dans le réseau clandestin des Alouettes, ce qui lui vaudra aussi la déportation et la mort à Büchenwald.

Roger Vallée, séminariste, est lui aussi réquisitionné par le STO. Il rejoint son frère André – futur béatifié lui aussi –, présent en Allemagne où il avait volontairement remplacé un père de famille requis pour le travail : tous deux mettent en place un réseau jociste, qui sera démantelé par la Gestapo. Déportés, André meurt à Flossenburg et Roger à Mauthausen.

Jean Mestre, enfin, est un tout jeune travailleur : né en 1924, cet enfant de la Goutte-d’Or, à Paris, est tourneur-fraiseur dans une usine de banlieue et militant actif de la JOC. Sa mère, qui a perdu six de ses sept enfants, est concierge chez les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul. Malgré son statut d’enfant désormais unique, il ne peut résister au désir d’accompagner ses camarades envoyés en Allemagne. Sur place, il monte lui aussi un réseau chrétien clandestin. Arrêté, il est envoyé au camp disciplinaire 21 de Watenstedt-Hallendorf, qui relève du camp de concentration de Neuengamme. Il s’y éteint en mai 1944.

Le prix à payer

Il faut bien mesurer ici que les hommes qui seront béatifiés le 13 décembre étaient tous conscients du risque qu’ils prenaient, qu’ils fussent contraints ou volontaires pour partir dans les usines. Leur déportation et leur mort ne furent pas le fruit de circonstances fortuites, mais bel et bien la conséquence d’une politique explicite des nazis qui virent très vite le risque que représentait pour eux une présence chrétienne, communautaire et/ou sacramentelle, parmi les déportés du travail. Certes, les hommes de la mission Saint-Paul ne sabotaient pas les lignes de production, mais ils contribuaient, par leur résistance spirituelle, à rendre leurs camarades imperméables à la doctrine nationale-socialiste.

C’est à ce titre qu’Ernst Kaltenbrunner, qui dirige le Reichssicherheitshauptamt (Bureau principal de la sécurité du Reich, RSHA) – et que les mouchards qui pullulent abreuvent d’informations sur la mission Saint-Paul – publie le 3 décembre 1943 un décret très clair pour éradiquer toute activité chrétienne chez les déportés du travail : « Par de nombreux renseignements récents, il est désormais établi que l’Église catholique de France a entrepris sur une vaste échelle, par des procédés illégaux, non seulement de gagner aux idées catholiques les travailleurs civils français, mais encore de les influencer d’une façon intensive dans le sens de ses objectifs politiques anti-allemands », s’y inquiète-t-il, avant de formuler ses consignes : « Dans la mesure où des prêtres, séminaristes, etc., français se sont d’une manière quelconque manifestés par des actes ou des déclarations préjudiciables, je prie de les arrêter et de m’en exposer les circonstances. »

Le décret de Kaltenbrunner n’obéit pas à une seule logique policière : il s’inscrit dans une idéologie antichrétienne inscrite dans le national-socialisme depuis son origine, que la célèbre encyclique de Pie XI, Mit brennender Sorge, avait dénoncée sans ambiguïté en mars 1937. Cette haine puise loin dans l’histoire du nazisme, puisque dès 1920, le Deutscher Arbeiter Partei défendait un « christianisme positif », débarrassé de ses origines juives, c’est-à-dire profondément incompatible avec le christianisme. Dans cette hostilité générale, l’Église était particulièrement visée par les autorités du Reich qui n’avaient pas manqué de constater que, plus les régions étaient catholiques – la Rhénanie, la Bavière… –, moins elles votaient pour Hitler aux élections.

Dans les circonstances de l’époque, l’arrestation annonçait presque à coup sûr la déportation dans les sinistres camps de concentration du Reich. Celui de Büchenwald fut le plus meurtrier avec 22 décès, dont 10 enregistrés pendant l’abominable évacuation du camp au printemps 1945. Parmi les autres camps tristement célèbres où s’éteignirent les martyrs du STO, on retrouve Mauthausen, Bergen-Belsen, Flossenbürg et Dachau, le « camp des prêtres », où moururent le Père de Porcaro et le Père Victor Dillard, jésuite, le plus âgé des cinquante futurs béatifiés – 47 ans…

« Zèle apostolique »

Pour la plupart d’entre eux, leurs dépouilles disparurent à jamais dans les entrailles des fours crématoires. La prière qui fut composée pour obtenir leur béatification permet de comprendre la dimension profonde de leur sacrifice : « C’est le zèle apostolique que tu leur avais inspiré qui les a amenés à affronter – selon l’expression de Pie XII en octobre 1942 – “les débordements du déluge néo-païen” jusqu’à porter journellement ton amour à tous ceux dont ils se trouvaient proches, leurs compagnons de travail, puis leurs compagnons de détention, et jusqu’à leurs délateurs et leurs bourreaux eux-mêmes […]. C’est dans une communauté de destin avec tant d’autres hommes, souvent loin de la foi mais eux aussi victimes de ce déferlement de perversion, de sadisme, de cruauté, qu’ils ont eu à persévérer dans le témoignage qu’ils rendaient à ta divine miséricorde. »