Les Très Riches Heures du duc de Berry, la « Joconde des manuscrits » - France Catholique
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Les Très Riches Heures du duc de Berry, la « Joconde des manuscrits »

Joyau des collections du musée Condé, les Très Riches Heures du duc de Berry (1416) sont visibles à titre exceptionnel. Ce manuscrit si fragile et si précieux est parfois surnommé « la Joconde des manuscrits ».
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À gauche, Adam et Ève au Paradis terrestre. À droite, l’Annonciation. © Grand Palais Domaine de Chantilly - Michel Urtado

«Approche, approche ! », dit l’huissier. Les deux mots sont écrits en caractères gothiques. Le vieux duc de Berry, coiffé d’un chapeau en fourrure, est à table avec un cardinal. Il fait signe d’avancer à trois jeunes hommes emmitouflés dans leurs habits d’hiver : ce sont les trois frères Limbourg, enlumineurs du livre. Cette page, illustrant le mois de janvier, est la première des Très Riches Heures. Beaucoup croient que ce calendrier, mondialement célèbre, en constitue les seules illustrations, alors que ce sont seulement les douze premières pages.

« Les Mozart de l’enluminure »

Jean de France, duc de Berry (1340-1416), était le troisième fils de Jean II le Bon. Comme son frère, le roi Charles V, il fut un mécène exceptionnel : l’art français ne retrouvera un tel lustre que sous Louis XIV. Le duc possédait 300 manuscrits enluminés, dont de nombreux livres d’Heures. Les plus beaux sont présents à l’exposition. Les deux chefs-d’œuvre des frères Limbourg sont les Belles Heures (1410), généreusement prêtées par le musée des Cloîtres à New York. Et les Très Riches Heures, un des sommets de l’art français.

Parfois surnommés « les Mozart de l’enluminure », ces trois frères – Pol, Herman et Hennequin (Jean) – étaient des génies artistiques d’une impressionnante précocité. Ils entrèrent d’abord au service du duc de Bourgogne comme enlumineurs rémunérés aux âges de 7, 9 et 11 ans. Puis ils passèrent au service de Jean de Berry qui avait une grande affection pour ces artistes si jeunes. Ils étaient dans l’intimité du vieux duc, qui les comblait de cadeaux, et à qui ils faisaient des farces à l’occasion des étrennes. Hélas, en 1416, une épidémie faucha en quelques jours Jean de Berry et les trois frères, à l’âge de 24, 26 et 28 ans. Après la mort du duc, le manuscrit des Très Riches Heures réapparut vers 1480 entre les mains de son petit-gendre, le duc de Savoie, qui le fit achever par un peintre de la fin du XVe siècle, Jean Colombe, au style très reconnaissable et différent.

Un livre mis au secret

Si cette exposition est exceptionnelle, c’est que personne, en temps normal, ne peut voir ce livre, conservé dans son coffret climatisé dans un lieu tenu secret. Il a été décousu pour être restauré, ce qui permet d’exposer ses pages séparément, par roulement pour des périodes de six jours seulement, afin qu’elles ne voient pas trop longtemps la lumière. Parmi les plus éblouissantes, citons la Multiplication des pains, le Couronnement de la Vierge, la Chute des anges rebelles, la double page de l’Adoration des mages, le Mont-Saint-Michel.

Un autre échantillon remarquable de cet art est exposé au château de Chantilly : le livre d’Heures du maréchal de Boucicaut (1364-1421), d’une beauté hors du commun et richement coloré. Le nom de l’enlumineur est malheureusement perdu. La piété du maréchal était légendaire : ce grand chef de guerre faisait trois heures d’oraison chaque matin, assistait à deux messes quotidiennes et lisait ses Heures tous les jours sans faute. Le vendredi, il se vêtait de noir et jeûnait toute la journée, même à la guerre. Il avait strictement interdit aux soldats et aux officiers de jurer par le Nom de Dieu et de blasphémer. Il est dommage que cet homme éminent soit si oublié aujourd’hui.

Qu’est-ce qu’un livre d’Heures ?

Le livre d’Heures, à la fin du Moyen Âge, est un bréviaire abrégé à l‘usage des laïcs. C’est aussi un recueil de prières, différent du bréviaire des prêtres et religieux. Seuls les laïcs d’une piété hors du commun, comme Saint Louis, possédaient des bréviaires. Le saint roi disait son bréviaire à cheval, quand il était en voyage ou à la croisade. Il chevauchait avec son aumônier à ses côtés, avec qui il alternait la psalmodie.

Les offices des Heures sont priés aux mêmes moments que dans le bréviaire : matines en pleine nuit ou avant l’aube, laudes à l’aurore, prime à 6 h du matin, tierce à 9 h, sexte à midi, none à 3 h de l’après-midi, vêpres à 5 h, et complies au crépuscule. Mais la structure du livre d’Heures est adaptée à la vie des laïcs. Le livre s’ouvre sur le calendrier, une double page par mois, avec une représentation des activités humaines selon les saisons, aussi bien de la vie seigneuriale que de la vie des paysans. Le commanditaire du livre pouvait demander que soient mises en valeur certaines dates, comme les fêtes à souhaiter de sa famille et de ses proches, ou ses dévotions particulières à tel ou tel saint.

Il existe des variantes, mais l’ordonnancement ci-dessous était immuable : les quatre évangélistes ou un passage illustré de leur évangile ; les différentes prières mariales ; les Heures de la Vierge, pour le temps appelé de nos jours « ordinaire », les samedis et les fêtes mariales ; les Heures de la Croix pour les vendredis et le Carême ; les Heures du Saint-Esprit, pour le temps après la Pentecôte ; la vie de certains saints choisis ; l’office des morts ; les litanies des saints ; la prière du voyageur. 
M.-G.L.

Les Très Riches Heures du duc de Berry, exposition-événement. Salle du Jeu de Paume, château de Chantilly, jusqu’au 6 octobre.

Une autre histoire de livres d’Heures, Cabinet des livres du château, mêmes dates. Plus de 50 livres d’Heures manuscrits et imprimés.