Les « Sermons » de Pagnol : une leçon de charité - France Catholique
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La sainteté : dire oui à Dieu
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Les « Sermons » de Pagnol : une leçon de charité

Avec la réédition de ses « Sermons », l’enfant d’Aubagne transmet un testament spirituel inattendu à (re)découvrir.
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L’acteur Vincent Fernandel interprétant les Sermons de Marcel Pagnol.

Qui l’eût cru ? Marcel Pagnol – l’agnostique, fils d’un instituteur anticlérical, « qui n’a jamais mis les pieds à l’église et a vécu dans l’adultère pratiquement toute sa vie », rappelle Nicolas Pagnol, son petit-fils – nous offre pourtant des pages inspirées à travers les sermons qu’il a rédigés pour les curés de ses films. La Femme du boulanger, Manon des Sources, L’Élixir du Révérend Père Gaucher, Les Trois Messes basses, Le Curé de Cucugnan (contes des Lettres de mon moulin adaptés au cinéma par Pagnol) laissent la part belle à des abbés au franc-parler et au caractère bien trempé, bien décidés à remettre leurs ouailles sur le droit chemin ! En chaire et en soutane, ceux-ci exhortent leurs paroissiens à la contrition avant qu’il ne soit trop tard ; car la mort, écrit Pagnol « d’un seul coup, elle passe devant toi, et du bout de son doigt pointu, elle touche ton cœur qui éclate, et tu tombes sans dire mot ».

S’en suivent des pages édifiantes sur les fins dernières de la part de l’auteur de sermons qui « est peut-être celui qui en a entendu le moins » s’en amuse son ami l’abbé Norbert Calmels (cf. FC N°3866), à qui l’on doit ce précieux recueil de textes en 1967. En cette année 2025, qui marque le 130e anniversaire de la naissance de l’écrivain-cinéaste, le petit-fils de Marcel Pagnol et Jacqueline Bouvier a donc choisi de republier ces savoureux écrits, parce que « ce sont de grandes leçons de vie avec toujours beaucoup d’humour. La langue est truculente, il est question de nous tous et du rapport que nous avons avec ce qui nous dépasse. Vers où allons-nous ? Qu’est-ce qui nous unit ? » confie Nicolas Pagnol.

L’église au centre du village

Car malgré un contexte d’anticléricalisme ambiant, Marcel remet l’église au centre du village : « Lorsque l’on veut montrer le village réuni, où est-ce qu’on peut le trouver ? À la messe ! » répond l’académicien à un journaliste (archive de l’INA). « J’ai mis un sermon dans la plupart de mes films ou pièces, parce que, de mon temps […] il y avait deux personnages importants : le curé étant l’instituteur religieux, et l’instituteur, le curé laïc. C’est de leur confrontation que naissait l’esprit du village » résumait Pagnol à son ami « le Père Norbert ».

Comment expliquer dès lors la profondeur des sermons de la part d’un auteur si éloigné des bénitiers et goupillons ? Par son immense culture assurément. Marcel Pagnol reconnaît s’être inspiré des Sermons de Massillon et de Bossuet pour écrire les siens. Il semble admirer l’Aigle de Meaux qu’il décrit ainsi : « Bossuet, ce n’est pas un écrivain, c’est un orateur qui écrit. » Mais pour l’abbé Calmels, il faut chercher plus loin encore. En préfaçant son recueil, il tient à ne pas présenter un sermonneur « uniquement instruit dans les livres ». Pour l’abbé, si Marcel sait parler de Dieu, c’est qu’« il le connaît ». Par son observation de la nature et de la Création depuis son plus jeune âge, mais aussi par cette qualité d’introspection : « Il a analysé le cœur des hommes en descendant dans son propre cœur. […] De ses réserves intérieures, son intelligence sait extraire des beautés pathétiques. »

Dans des chapelles entourées de thym, de genêts et de romarins, si les personnages de Pagnol ont les yeux levés vers la chaire, ils sont assez vite invités à retrouver le chemin du confessionnal. L’humanité de l’auteur ne peut que toucher le cœur du lecteur. « Et pourquoi en avez-vous peur ? Il y en a beaucoup que c’est par vanité […] et ils s’imaginent que je vais prendre des notes dans ma tête, et que si je les rencontre dans la rue, je vais les regarder d’un œil malicieux en pensant à leur confession. » S’il manie l’humour avec finesse et qu’il sait tourner en dérision les petits travers et gros péchés de ses personnages, l’écrivain n’est jamais irrévérencieux avec la religion. D’ailleurs « pour éviter les erreurs, j’ai toujours soumis mes textes à un prêtre avant de les faire jouer » confesse-t-il. Marcel Pagnol se plaît à caricaturer les malices de ses « pauvres fadas », mais pour mieux les inviter à se jeter avec confiance dans les bras du Bon Dieu. « Ne soyez pas assez stupides pour refuser ce grandiose privilège que nous devons au Sacrifice de Notre-Seigneur Jésus-Christ, exhorte son curé de Cucugnan. Si vous saviez comme on est calme après une bonne confession ! » Et notre théologien des collines du Garlaban de décrire l’infinie miséricorde du Seigneur : « Tu t’es bien puni toi-même, et le Bon Dieu n’aurait pas été aussi cruel que toi… »

Piété populaire

L’œuvre de Pagnol est riche de conseils spirituels : faire son examen de conscience, renouer avec cette piété populaire, les cierges, les pavois, les bouquets et les processions, la « petite prière à la Bonne Mère ». Dans Manon des Sources, l’eau de la fontaine ne coule plus, les villageois sont inquiets et se rassemblent en nombre à l’église. Magnifique occasion pour le curé de s’adresser à tous, y compris ceux qui « d’habitude passent le temps de la sainte messe à la terrasse d’un café, je ne dirai pas quel café, d’autant plus qu’il n’y en a qu’un », à « aller plus loin que les choses visibles ». Pagnol a certainement compris que tout est grâce et que si la source s’est tarie, c’est que « l’administration céleste a fermé le robinet », en attendant le retour des prières et des bonnes actions. Car « la vertu d’agir, c’est de faire le Bien ».

Au soir de sa mort, Marcel a reçu l’extrême-onction, raconte Nicolas Pagnol « mon grand-père a dit “je me sens propre” ». Qu’il crût au Ciel ou qu’il n’y crût pas, son œuvre illustre une France encore unie dont notre société archipellisée pourrait bien s’inspirer. 

Les Sermons, Marcel Pagnol, Éd. Fayard, novembre 2025, 128 pages, 24,90 €.