Quand est née la vie contemplative ?
Mgr Jean Legrez : On dit souvent que la vie monastique est une forme de martyre née après la fin des persécutions, au IVe siècle. Je ne suis pas tout à fait d’accord… Dans les écrits de saint Paul, on voit que des hommes et des femmes se consacrent totalement à Dieu dans les premières communautés chrétiennes. Dès qu’une église locale atteint une certaine maturité, cela fait naître des vocations radicales de vierges consacrés, hommes et femmes, qui donnent totalement leur vie à Dieu, dans le cadre de la communauté ou en partant au désert. La vie consacrée est le fruit de la maturité spirituelle d’une communauté. On observe cela encore à notre époque : en Chine, en Afrique, ou en Asie…
À quoi servent les contemplatifs ?
Il est vrai que leur vie paraît souvent inutile aux yeux du monde : sans la foi, on ne peut en comprendre le sens et encore moins la radicalité. Les contemplatifs vivent totalement le mystère de la communion des saints : leur vie cachée et offerte porte du fruit pour l’Église. C’est ce qui permet à Thérèse de l’Enfant-Jésus d’être patronne universelle des missions, elle qui a vécu enfermée dans une clôture. Sa vie cloîtrée demeure extrêmement féconde pour le monde. Il n’y a qu’à voir le nombre de miracles qui continuent à se produire par son intercession. Comme le grain de blé en terre qui traverse une forme de mort pour se transformer et donner naissance à de nombreux grains. C’est cela la fécondité de la vie contemplative. Mais c’est vraiment un appel particulier de Dieu, on ne décide pas soi-même d’entrer en clôture.
Quelle est leur mission dans le monde et l’Église ?
Les contemplatifs sont « au pied du Père et intercèdent pour toute l’humanité », me disait la Mère abbesse d’un monastère. Actuellement, je vis auprès de moniales contemplatives, dont je suis l’aumônier. Elles offrent leur vie pour l’Église et pour le monde, en priant du matin au soir, seules ou en commun. Bien que cloîtrées, elles sont très au courant de la vie de l’Église et de la société qu’elles portent totalement dans la prière. On rentre en clôture par amour de ses contemporains, dans une confiance totale en la communion des saints. Au début du monachisme, en Syrie, les moines étaient appelés « les pleureurs » parce qu’ils intercédaient dans les larmes pour leurs contemporains par la prière. Certains ordres cloîtrés prient particulièrement pour porter le ministère des prêtres.
Quel est le sens de la clôture ?
Se séparer du monde, est un moyen pour vivre une vie totalement donnée à Dieu. La clôture est nécessaire pour favoriser l’intimité avec lui. Si chaque communauté a une spiritualité un peu spécifique, elles ont globalement toutes la même règle de vie entièrement orientée vers la prière, l’étude, la vie fraternelle, et le travail pour assurer leur subsistance.
Quel est le lien entre la vie cloîtrée et la Croix ?
Il y a une dimension pénitentielle inhérente et constitutive de la vie contemplative. La clôture procure une austérité ; de même que le rythme de vie lié aux nombreux offices, du matin très tôt jusqu’au soir, et même au milieu de la nuit pour les chartreux ; la nourriture ; le manque de confort, une discipline de vie exigeante… Sans la certitude que ces pénitences offertes portent du fruit pour le salut des âmes, leur vie n’aurait pas de sens. La Croix est la quintessence de l’offrande d’amour du Christ.
Quel est l’avenir de ce type de vie religieuse ?
Tous les ordres n’ont pas vocation à durer, il n’y a qu’à voir bien des communautés nouvelles qui sont nées après le concile Vatican II et qui ont disparu. En revanche, les grands ordres, notamment contemplatifs, ont prouvé leur solidité : bénédictins, dominicains, carmes, franciscains, augustins… Leurs charismes sont indispensables à l’Église et traversent les siècles. Il est absolument nécessaire qu’il y ait des contemplatifs cloîtrés pour porter la vie de l’Église par la prière. Ces ordres sont beaucoup plus confidentiels aujourd’hui que dans les siècles passés car la vie qu’ils proposent va totalement à contre-courant du monde et de ce que les jeunes aujourd’hui vivent… Mais il y a quelques monastères contemplatifs en France qui connaissent actuellement un renouveau de vocations. Cependant, les vocations naissent essentiellement dans les familles chrétiennes ferventes. Or celles-ci sont de moins en moins nombreuses. Donc il y a une urgence pour réaliser une nouvelle évangélisation, qui ne manquera pas de faire apparaître un renouveau des vocations…
Quelles sont les principales communautés contemplatives en France ?
Mgr Jean Legrez : Aujourd’hui, il existe toujours des moniales carmélites, dominicaines, clarisses, bénédictins et bénédictines, cisterciens et cisterciennes, trappistes et trappistines, visitandines, rédemptoristines, chartreux et chartreuses, frères et sœurs de Bethléem… Sans oublier les ermites, hommes et femmes. Ce sont souvent des personnes qui ont vécu la vie contemplative en communauté et qui se sentent appelés à aller vers une vie plus radicalement solitaire. Elles font profession dans les mains de l’évêque. Elles vivent la spiritualité du désert. Les chartreux, eux, ont une vie semi-érémitique.
