Universitaire, théologien et historien, pasteur anglican, chef de file d’un vaste mouvement de renouveau de l’Église anglicane connu sous le nom de « Mouvement d’Oxford », converti au catholicisme en 1845 au milieu de sa vie, fondateur en Angleterre de l’Oratoire de Saint Philippe Néri, fondateur et premier recteur de l’Université catholique d’Irlande à Dublin, parmi bien d’autres activités, John Henry Newman (1801-1890) est un homme aux multiples visages. Auteur prolifique, il publia presque une quarantaine de volumes. Homme d’une vie spirituelle profonde, il fut aussi un guide spirituel pour des milliers de personnes. Si, comme l’a déclaré le pape Paul VI, l’homme moderne « écoute plus volontiers des témoins que des maîtres, et s’il écoute des maîtres c’est parce qu’ils sont des témoins », Newman paraît doublement qualifié pour nous venir en aide aujourd’hui, car il est à la fois un maître et un témoin, et même « maître » parce que « témoin ».
Newman fut créé cardinal par le pape Léon XIII en 1879 et béatifié par Benoît XVI en 2010. Le pape François l’a canonisée. Tous les papes depuis Pie XII ont souhaité qu’il soit proclamé Docteur de l’Église.
Le prédicateur
Newman est reconnu comme le plus grand prédicateur de langue anglaise du XIXe siècle. Ses dix volumes de sermons anglicans sont disponibles en traduction française, ainsi que ses deux volumes de sermons catholiques. Quel peut être l’intérêt de ces sermons aujourd’hui ? Il y a d’abord leur qualité littéraire, Newman étant l’un des grands écrivains de langue anglaise.
Deux autres facteurs paraissent cependant plus pertinents pour le lecteur français. Il possède une connaissance profonde de la psychologie humaine et se livre dans ses sermons à une analyse pénétrante et souvent décapante de l’esprit ou de l’âme de ses auditeurs, et il illustre ses propos par une foule d’exemples concrets tirés de la vie de ces mêmes auditeurs (et de ses lecteurs !).
Il possède aussi un sens extraordinaire de Dieu : il est évident en effet que son enseignement s’enracine dans un sens profond de la présence de Dieu au plus intime de lui-même, sens qu’il communique à ses lecteurs.
Le théologien
Newman est reconnu aussi comme l’un des grands penseurs chrétiens des temps modernes. Il a produit plusieurs synthèses puissantes et originales sur, par exemple, la nature de la foi, celle de la justification ou du salut, le développement doctrinal, l’université, la conscience, et l’Église. Beaucoup ont vu en lui un précurseur du concile Vatican II. Le philosophe Jean Guitton l’a appelé « le penseur invisible de Vatican II ». Paul VI l’a qualifié de « génial précurseur » et énumère, parmi les thèmes de sa réflexion qui ont été débattus par le concile, « l’œcuménisme, les relations entre le christianisme et le monde, l’importance du rôle des laïcs dans l’Église et les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes ». Benoît XVI, en parlant de ses propres années de séminaire, a déclaré que la conception newmanienne du développement « nous a mis entre les mains la clé qui nous permit d’inclure la pensée historique dans la théologie, mieux, il nous apprit à penser la théologie historiquement », et que les deux enseignements de Newman sur le développement et sur la conscience constituent une « contribution décisive au renouveau de la théologie ».
L’Oratoire
Envoyé à Rome en 1846 pour « compléter » ses connaissances théologiques, Newman en profita pour réfléchir sur son avenir et celui du petit groupe de disciples qui s’était formé autour de lui. Il crut trouver la solution idéale dans l’Oratoire de Saint Philippe Néri, fondé à Rome au XVIe siècle. Il fut frappé par la belle figure de saint Philippe dont la joie profonde, la simplicité, l’humour espiègle et la spiritualité profonde l’attiraient, et dont il fit son saint patron et intercesseur privilégié. Malgré des différences d’époque et de culture, bien des choses rapprochent les deux hommes. Les oratoriens, pour leur part, vivaient dans de petites communautés indépendantes, ils ne prononçaient pas de vœux religieux mais avaient une vie fraternelle chaleureuse et une vie spirituelle intense, et ils exerçaient une diversité de ministères. La petite taille des communautés, l’absence de vœux et de règles rigides, et la modestie des objectifs créaient aux yeux de Newman une flexibilité qui permettait de conjuguer, d’une part, prédication et vie intellectuelle et, d’autre part, un travail pastoral assidu, y compris auprès des plus pauvres et démunis. C’est à partir de lui que l’Oratoire de saint Philippe a connu au XXe siècle une expansion à travers le monde qui continue aujourd’hui.
Maître et guide spirituel
Dans ses sermons Newman s’adressait à des personnes dont beaucoup étaient en recherche ; et comme anglican d’abord, puis plus encore comme catholique, il fut sollicité par des milliers de personnes demandant des conseils théologiques et spirituels. À tous il répondait en cherchant à prendre en compte la spécificité de chacun. Il possède en effet un sens profond de la complexité et de l’individualité de chaque personne ; et il est persuadé que Dieu, lui aussi, respecte cette individualité. Il insiste sur l’importance de ce qu’il appelle le réel, c’est-à-dire le concret, le vécu, le quotidien, tout ce qui est le contraire des grandes théories ou des déclarations creuses. Il insiste sur l’importance du temps et de la croissance dans tout cheminement religieux, invitant ceux qui s’adressent à lui à avancer à leur propre rythme. Il critique vivement une conception de la conversion comme événement soudain et unique, comportant un grand bouleversement émotionnel : la conversion véritable est un processus dans lequel « la conscience et la raison soumise à la conscience » jouent un rôle essentiel. Il prône l’importance d’une connaissance de soi, tout en mettant en garde contre la « contemplation de soi », le fait de trop centrer l’attention sur nos propres états d’âme et non sur Dieu. Il insiste sur la nécessité du « renoncement », faisant même de celui-ci un critère essentiel de l’authenticité de notre vie chrétienne, car il constitue un chemin d’unité et de liberté. S’il a horreur du péché, il croit que, même au fond de notre péché, la grâce de Dieu n’est jamais loin ; et il est convaincu que même le plus grand pécheur peut devenir un saint, car Dieu peut nous faire avancer vers lui à travers nos erreurs et nos échecs, si bien que souvent « nous marchons vers le ciel à reculons ».
Avec un réalisme profond, il nous propose une spiritualité du quotidien, accessible à tous.
« Beauté de la sainteté »
La nécessité de la sainteté constitue un thème récurrent de son œuvre. Mais il ne s’agit pas d’une pseudo-sainteté purement volontariste, comme si on pouvait se faire saint par ses propres efforts. La vraie sainteté est celle qui nous est communiquée par Dieu, au moyen de son Esprit Saint. Mais, loin de rester passifs, nous devons nous laisser sanctifier par le travail de l’Esprit en nous, et nous devons vouloir, de manière persévérante, l’accueillir en nous.
Une formule, trouvée dans la King James traduction de la Bible, a fasciné Newman : c’est « la beauté de la sainteté ». Elle renvoie à une idée courante chez les Pères de l’Église, celle de la beauté de Dieu qui est lui-même la source de toute beauté. Pour Newman, c’est la découverte de la beauté de Dieu qui fait prendre pleinement conscience de la laideur du péché. Et la beauté de la sainteté possède « une puissance secrète d’attraction ». Ainsi, c’est à travers ses saints, et grâce à « la beauté de leur sainteté », que Dieu agit dans l’histoire.
On cite souvent une formule de Dostoïevski : « La beauté sauvera le monde. » Pour Newman, il serait plus exact de dire que c’est la sainteté qui sauvera le monde, et l’Église.