Le Panthéon : un autre sacré ? - France Catholique
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Le Panthéon : un autre sacré ?

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Le Panthéon, Paris. « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante ».

© Moonik / CC by-sa

Un résistant, fusillé au Mont-Valérien le 21 février 1944, entre au Panthéon le 21 février 2024. Il s’appelle Missak Manouchian. Il est d’origine arménienne. Enfant, il a échappé au génocide de son peuple, mais il est devenu orphelin. Formé dans les institutions religieuses du Liban où il s’est réfugié, il gagnera la France et ne tardera pas à rejoindre les rangs du parti communiste. Engagement décisif pour son destin. À la suite de la rupture du pacte germano-soviétique (1943), il devient combattant de l’ombre, responsable d’une unité offensive contre l’armée d’occupation. Arrêté, il est torturé puis condamné à mort avec 22 de ses camarades. Comment ne pas s’incliner devant le souvenir d’un tel sacrifice, en gardant l’image de son exécution en ce haut-lieu qui domine la capitale ?

Cérémonie sacrale

Quatre-vingts ans plus tard, le président de la République décide que Missak Manouchian sera inhumé là où reposent ceux et celles à qui la patrie veut manifester sa reconnaissance. C’est donc à une sorte de cérémonie sacrale que le pays se trouve invité, avec tout un rituel que l’on ne peut s’empêcher d’interroger pour percevoir sa signification. Malraux avait, un jour, établi le procès d’une civilisation « qui n’avait su construire ni un temple, ni un tombeau ». Pourtant, n’avait-il pas été le chantre inspiré de l’entrée de Jean Moulin dans ce temple républicain ? Peut-être cet événement, sous la présidence du général de Gaulle, avait-il été un rare moment de recueillement, d’autant que l’éloquence du ministre de la Culture avait vraiment ébranlé l’âme de la nation : « Entre ici, Jean Moulin… »

Mais l’auteur des Antimémoires ne pouvait pas ne pas ressentir l’ambiguïté de cette sacralité, où une institution qui se veut laïque, affronte les questions suprêmes, qui relèvent de la métaphysique. Le Panthéon lui-même configure tout le paradoxe de l’église Sainte-Geneviève de Soufflot, désacralisée pour y recevoir les restes des personnages illustres, dépouillés de la grâce baptismale et de l’espérance de la Résurrection. Il est troublant de constater que les chrétiens qui sont admis dans la nécropole se trouvent, en effet, dépossédés de leur croix funéraire pour ne pas déroger au sacré laïque qui règne en ces lieux.

Religion des courants d’air

Peut-être est-il provoquant, pour pénétrer l’énigme de cette sacralité, de se référer aux pages d’une cinglante ironie que Philippe Muray a consacrées au Panthéon dans son essai Le XIXe siècle à travers les âges. Car l’histoire de ce monument renvoie à une série de faits qui frisent le rocambolesque : « On détruit les reliques de sainte Geneviève : immédiatement, cohue de déchets. Et ces restes, ces détritus, ces cadavres, la façon dont on va les fétichiser en les voiturant en grande pompe puis en les précipitant aux poubelles, c’est toute la politique culturelle, la politique du XIXe siècle. Sa cruauté, son cynisme, ses alliances égarées, ses remords et ses longues luttes de succession. »

Certains trouveront sans doute déplacée une telle ironie, mais elle ne se moque de la bien-pensance que pour être plus fidèle aux réalités historiques et aux questions qui ne peuvent pas ne pas se poser. À la religion des courants d’air et des fantômes, Philippe Muray oppose Claudel, trouvant la foi derrière son pilier de Notre-Dame. C’est que l’interrogation métaphysique retrouve ses droits. On objectera que dans un monde déchristianisé, l’absence de transcendance se fait cruellement sentir. Sonia Mabrouk a écrit un bel essai intitulé Reconquérir le sacré qui exprime cette frustration : « Nos sociétés ont besoin de retrouver le goût de la transcendance, l’énergie de la verticalité » et aussi « la grâce d’une vie intérieure, la permanence des rites, la recherche de la vérité ». Il n’est pas sûr que cette quête passe par la religion du Panthéon. Au-delà de la cérémonie du 21 février dernier, on se rappellera peut-être qu’avant d’être fusillé, Missak Manouchian s’est confessé à l’abbé Franz Stock, a reçu la Sainte Communion de la main du prêtre. Et c’est ainsi qu’il est entré dans les bras de l’espérance pour l’éternité.