Le pape Léon XIV l’a souligné dans l’homélie de la première messe qu’il a célébrée devant les cardinaux après son élection, dans la chapelle Sixtine : « Aujourd’hui encore, nombreux sont les contextes où la foi chrétienne est considérée comme absurde, réservée aux personnes faibles et peu intelligentes », précisant qu’on lui préfère « d’autres certitudes, comme la technologie, l’argent, le succès, le pouvoir, le plaisir »… De fait, une manière fréquente d’attaquer le christianisme est d’en faire une caricature outrancière, censée en montrer l’absurdité : « Je suis sincèrement navré, mais je n’arrive pas à croire en un Dieu qui s’unit à une Vierge pour se donner naissance à lui-même afin de se faire crucifier pour expier les fautes d’un homme mort 4 000 ans auparavant – à cause d’un fruit qu’il a mangé –, puis mourir, puis être à nouveau vivant, puis manger du poisson sur la plage, puis s’envoler, etc. » Mais cet artifice rhétorique est vieux comme le monde ! Abondamment employé par les « Lumières » – par Voltaire en particulier – il prend une vigueur nouvelle dans notre culture du ricanement permanent, où les hommes se moquent si facilement de ce qu’ils ne comprennent pas.
Une présentation tendancieuse
Au fond, l’astuce est simple : elle consiste à détacher artificiellement la description des faits de tout ce qui pourrait leur donner sens. À présenter les faits sous un angle étrange. Cela donne une impression d’absurdité. Sartre décèle ce procédé dans L’Étranger d’Albert Camus : « Si je veux décrire un match de rugby et que j’écrive : “J’ai vu des adultes en culotte courte qui se battaient et se jetaient par terre pour faire passer un ballon de cuir entre deux piquets de bois”, j’ai fait la somme de ce que j’ai vu ; mais j’ai fait exprès d’en manquer le sens : j’ai fait de l’humour […]. [M. Camus] ment […] parce qu’il prétend restituer l’expérience nue et qu’il filtre sournoisement toutes les liaisons signifiantes, qui appartiennent aussi à l’expérience. »
Sartre, il est vrai, ne résiste pas non plus à utiliser cette technique pour faire ressortir l’absurde de la condition humaine et attaquer l’Église. Il écrit par exemple dans La Nausée : « Dans les églises, à la clarté des cierges, un homme boit du vin devant des femmes à genoux »… Par cette méthode, tout peut être ridiculisé, même le plus sérieux. Même le plus sacré.
Un merveilleux réel
Ceux qui réduisent l’Évangile à une fable n’ont pas saisi que la réalité est elle-même un foisonnement ininterrompu de merveilles. Peut-on honnêtement nous reprocher de tenir pour réel ce qui semble extravagant quand le réel lui-même est extravagant ? L’histoire de Jacques et le haricot magique peut nous sembler absurde : ce n’est rien de plus qu’un conte pour enfant. Mais si on nous montre un pépin de pomme et qu’on nous dit qu’en le plantant en terre et lui donnant un peu d’eau, il donnera un pommier de 10 mètres, avec des fleurs magnifiques et qui produira des centaines de pommes, nous le croyons sans difficulté. Sans nous en émerveiller. Pourquoi ? Parce que nous sommes habitués ; nous ne percevons plus le prodige de la Création. Ni de l’enfantement.
Que l’union d’un homme et d’une femme puisse donner naissance à un troisième être humain qui, minuscule au départ, grandira, grandira, jusqu’à devenir, par exemple, une petite fille sautillante, puis une adolescente déroutante avant d’enfanter un jour à son tour… tout cela peut nous sembler banal. Ce n’en est pas moins prodigieux. Que ces faits scientifiquement établis soient désormais admis comme une évidence ne change pas leur caractère fabuleux.
Saint Augustin à la rescousse
Reconnaissons-le cependant, le christianisme est une provocation pour l’intelligence et les Écritures contiennent maints passages en apparence absurdes. Saint Augustin – dont Léon XIV dit qu’il en est « un fils » – a senti avec une vive acuité ce passage d’une impression de non-sens à l’illumination.
Car au départ, le futur évêque d’Hippone (354-430) s’en tenait à une lecture superficielle du christianisme : « Avec toute l’intelligence de notre jeunesse et son étonnant besoin d’enquête rationnelle, sans avoir même feuilleté ces livres, sans chercher de maîtres, sans incriminer tant soit peu notre lenteur d’esprit, sans faire crédit d’un bon sens même ordinaire à ceux qui ont voulu que de tels écrits fussent si longtemps lus, conservés, maniés par le monde entier, nous avons jugé qu’il n’y avait là-dedans rien à croire, nous nous sommes laissés impressionner par les dires de leurs ennemis » (De utilitate credendi).
C’est la rencontre avec Ambroise qui détacha peu à peu Augustin de ses préventions envers la foi. Grâce au saint évêque, il changea de regard sur les Écritures, notamment en découvrant leur sens spirituel : « On ne me demandait plus de les lire de cet œil qui leur trouvait auparavant un air absurde, quand j’incriminais tes saints comme s’ils pensaient ainsi ; mais en réalité ils ne pensaient pas ainsi. Et, comme s’il recommandait une règle avec le plus grand soin, souvent dans ses discours au peuple, Ambroise disait une chose que j’entendais avec joie : “la lettre tue mais l’esprit vivifie” » (Confessions VI). C’est progressivement, dans la paix intérieure, que le Seigneur ouvrit l’intelligence d’Augustin à la compréhension des Écritures. Il découvrit alors leur clé d’interprétation, celle qui révèle leur sens : l’amour éternel de Dieu. Car étudiés sans le Saint-Esprit d’amour qui les vivifie, les divers mystères de l’Évangile demeurent incompréhensibles. Seul celui qui accepte de se laisser enseigner par Lui pourra découvrir leur richesse cachée.