Le « Nuage de l’Inconnu » est probablement le traité mystique le plus populaire en anglais, une sorte de best-seller quand il a été écrit dans les années 1300 (quand l’Angleterre était encore catholique), souvent réédité au cours des siècles, et un livre favori de personnalités contemporaines et très perspicaces comme C.S. Lewis. Il est également unique (à mon avis) dans la mesure où son auteur (un moine inconnu) décourage les gens de reprendre son livre : « Ne permettez pas à quelqu’un d’autre de le faire, à moins que vous ne croyiez vraiment qu’il s’agit d’une personne profondément engagée à suivre le Christ à la perfection. »
Alors que le Carême commence aujourd’hui, si vos prières et vos pratiques spirituelles ont besoin d’un nouveau souffle, voici un excellent point de départ – avec la mise en garde de l’auteur.
Ces jours-ci, j’entends souvent dire que le carême ne consiste pas à « abandonner quelque chose ». Je ne suis pas un guide spirituel, mais en l’absence d’autres considérations, il est clair qu’il s’agit d’une demi-vérité. La vie chrétienne consiste à renoncer à beaucoup de choses – non pas comme une fin en soi, comme si les biens créés étaient mauvais – mais pour faire de la place, en quelque sorte, à des biens plus grands et d’un ordre différent pour le corps, l’esprit et l’âme. La tradition offre de nombreuses ressources pour nous guider dans les pénitences concrètes et des pratiques plus profondes.
J’ai moi-même bénéficié de l’étude du « Nuage » parce qu’il est simple et profond. Il enseigne une sorte de jeûne spirituel, ce dont nous ne nous souvenons pas souvent dans nos jeûnes matériels. Selon l’auteur, la contemplation consiste à se placer entre deux « nuages ».
Un nuage d’oubli : vous mettez de côté tout ce qui occupe ordinairement votre esprit, toutes les tâches quotidiennes, les soucis, les responsabilités, les intérêts. Tout. Vous y reviendrez en temps voulu. Mais quand on se rapproche de Dieu, on laisse tout cela derrière soi pendant la prière.
C’est plus facile à dire qu’à faire. Si vous essayez, ne serait-ce que quelques secondes, vous vous apercevrez que votre esprit bourdonne de toutes sortes de pensées, dont beaucoup sont peut-être parfaitement innocentes, voire nécessaires le reste du temps – « seulement humaines ». Mais se détacher de ces pensées ou les laisser passer sans s’y attacher demande beaucoup d’entraînement. L’une des techniques utiles consiste à abandonner et à demander à Dieu de le faire à votre place. Cela fonctionne. Parfois.
L’autre « nuage » est le nuage de l’inconnaissance de Dieu lui-même. Nous ne pouvons pas connaître pleinement Dieu avec notre intelligence humaine limitée. Il est plus que ce que nous pouvons saisir. Mais l’une des façons dont nous pouvons l’approcher n’est pas par la connaissance, qui peut même être un obstacle dans un sens (nous y reviendrons plus loin), mais par l’amour.
Cela aussi est plus facile à dire qu’à faire. Essayez-le et vous verrez que vous voulez toujours parler à vous-même ou à Lui, alors que vous avez plus souvent besoin de vous rapprocher de la seule façon possible : en restant silencieux, en le laissant venir à vous, ce qui signifie attendre la grâce. « La puissance du silence » du cardinal Sarah présente ce processus avec une grande profondeur et une grande beauté spirituelles.
Dante en parle au début du Paradis : « S’élever au-delà de l’humain ne peut être décrit par des mots. Que l’exemple suffise à celui à qui la grâce réserve cette expérience.(Par. I, 70-72) »
De nombreuses personnes à la recherche d’une vie spirituelle plus profonde dans la culture desséchée de l’Occident (une superficialité et une sécheresse qui ont également pénétré l’Église) se tournent vers les religions orientales, les paganismes pré-chrétiens, les retraites ayahuasca, les Pachamamas de diverses traditions, et pire encore. Mais il existe toute une tradition mystique catholique, depuis les Pères de l’Église, en passant par Augustin et Denys, d’Aquin et Bonaventure, jusqu’à des figures plus modernes. L’ouvrage de Jason Baxter, « An Introduction to Christian Mysticism », en est un bon exemple.
Mais l’essentiel est la pratique. « Le Nuage » explique l’importance de trois façons de se préparer : la lecture, la réflexion et la prière. Un guide spirituel peut vous aider dans ces trois domaines, car ils doivent être adaptés particulièrement à chacun.
Certaines personnes peuvent être amenées à la contemplation, par exemple, par la lecture de la Bible – avec l’aide appropriée. D’autres peuvent être motivés par la lecture de la vie des saints. D’autres encore auront besoin d’aborder des sujets plus intellectuels, comme Augustin, Thomas ou Newman, pour faire face aux obstacles conceptuels (qui sont nombreux dans notre monde postmoderne). Et à différents moments de votre vie, l’un ou l’autre de ces types de lecture peut être ce dont vous avez besoin.
(Il serait bon de discerner ce dont vous avez exactement besoin au cours de ce Carême).
Dans ce contexte, « penser » signifie une méditation qui vous amène à vouloir faire l’expérience directe – dans la contemplation – de ce que l’Écriture et la tradition décrivent avec des mots. Les contemplatifs, selon « Le Nuage », doivent continuer à valoriser les prières de l’Église – la messe, les sacrements, la liturgie des heures – et, bien sûr, la confession des péchés.
Mais au fur et à mesure que l’on progresse, pendant les temps de contemplation, il doit y avoir moins de mots et plus de pur désir : « il suffit alors de concentrer son attention sur un simple mot tel que…. Dieu (ou un autre que vous préférez) et, sans l’intervention de la pensée analytique, de faire l’expérience directe de la réalité qu’il signifie. N’utilisez pas une logique intelligente pour examiner ou expliquer ce mot à vous-même et ne vous permettez pas de réfléchir à ses ramifications, comme si ce genre de choses pouvait accroître votre amour ».
C’est un mystère que cette riche tradition contemplative ait été largement abandonnée dans l’Église. Car il est clair que ce qui a manqué à de nombreux catholiques ces derniers temps, c’est précisément ce contact vivant avec Dieu lui-même.
Les ministères de l’Église auprès des pauvres, des prisonniers, des malades, des marginaux, et la poursuite de la justice sociale sont tous, bien sûr, très bons. Mais ils ne peuvent se substituer au premier des deux grands commandements (aimer Dieu de tout son être).
Et comme le fait remarquer l’auteur du « Nuage », il ne faut pas laisser croire que la contemplation n’est qu’une préoccupation égocentrique : « Vos semblables sont merveilleusement enrichis par votre travail, même si vous ne comprenez pas très bien comment ».
Essayez, et voyez.
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Source : https://www.thecatholicthing.org/2025/03/05/lent-and-the-back-of-beyond/
Robert Royal, traduit par Bruno